Pour en parler, quoi de mieux qu’un entretien choral — qui a tout d’un match de ping-pong enlevant — avec trois des vedettes de ce long métrage magique: Catherine Brunet, Virginie Fortin et Catherine Souffront!

C’est en partant du fait qu’il y a un manque flagrant de films de Noël québécois que la scénariste India Desjardins a bûché sans relâche pendant 10 ans pour que 23 décembre puisse voir le jour. Admettons que l’expression «projet de longue haleine» s’applique à merveille ici. Cette comédie romantique, qui se déroule l’avant-veille de Noël, met en scène une multitude de personnages attachants aux destins croisés qui convergeront — tous ou presque — vers un même point, soit Le Château Frontenac, le temps d’une soirée.

Alors, 23 décembre célèbre-t-il l’amour sous toutes ses formes ou met-il une loupe grossissante sur certaines failles de nos relations? Place-t-il sur un piédestal le temps des fêtes en famille ou dénonce-t-il la pression du Noël parfait? À moins que ce soit un peu de tout ça? Vous verrez bien!

Mais une chose est sûre, 23 décembre n’est pas encore en salle qu’on le compare déjà à la comédie romantique britannique de 2003 Love Actually.

CATHERINE BRUNET — Je pense que les gens ont le réflexe de comparer 23 décembreLove Actually parce c’est aussi un film choral, mais la ressemblance s’arrête là. Il y a des scènes de Love Actually qui sont super problématiques quand on les regarde aujourd’hui, en 2022. C’est complètement wrong parce que les actrices n’y sont que «les blondes de»; il y a du fatshaming, une maîtresse un peu nunuche, bref il y a pas mal de choses qui ont mal vieilli… Désolée pour les fans. Alors, oui, on fait un Love actually québécois, mais avec des thèmes féministes.

Ça aura pris le temps de quelques salutations d’usage et de deux ou trois gorgées d’eau pour qu’on plonge dans le sujet qui m’importait tout particulièrement pour cet entretien, soit le souffle féministe qui porte 23 décembre.

C. B. — Quand je pense à vos rôles, au mien, et à ceux de Guylaine [Tremblay], de Bianca [Gervais] et de Christine [Beaulieu], je trouve que ce sont de beaux rôles de femmes fortes. Et c’est rare de voir autant de personnages féminins multidimensionnels au cinéma québécois.

VIRGINIE FORTIN — Personne dans le film n’est «la femme de»…

C. B. — C’est plutôt le contraire! Quand je parle de 23 décembre, on me dit souvent: «Ah, tu fais la blonde de François Arnaud dans le film, hein?» Et je réponds toujours: «Non, c’est lui qui joue mon chum!» C’est weird que les gens aient encore le réflexe de demander si on joue «la blonde de»…

Alexis Belhumeur

CATHERINE SOUFFRONT — Pour vrai, le film va à contre-courant de tous les a priori négatifs qu’on pourrait avoir. En tant que femme, j’ai envie de regarder ce genre de cinéma! On a toutes choisi de participer à ce film parce qu’on souhaite se voir à l’écran comme on est dans la vie, avec nos valeurs actualisées.

C. B. — Lorsqu’on regarde des films en ayant le test de Bechdel en tête [test qui vise à montrer la surreprésentation des protagonistes masculins ou la sous-représentation des personnages féminins dans une œuvre de fiction], c’est éprouvant, parce que les trois quarts des personnages principaux dans les films et les téléséries sont interprétés par des hommes. Et on ne se demande jamais si ces productions ont voulu mettre les femmes à l’écart. On pense que c’est juste normal. D’ailleurs, tout récemment, je parlais avec mes amis gars de la télésérie The Lord of the Rings: The Rings of Power, et ils étaient fâchés que tous les personnages masculins soient plates et niaiseux.

C. S. (ironiquement) — Les gars, est-ce que le temps d’une série, vous comprenez notre réalité des 30 dernières années?

C. B. — C’est fou quand même qu’ils osent dire ça, non?

C. S. — Voyons ça comme un début de conscientisation, un pas dans la bonne direction.

V. F. — On sort d’une longue période où les films n’étaient écrits que par des hommes, et, pour certains, j’imagine que de créer des personnages de femmes unidimensionnelles qui ne sont que les accompagnatrices du héros, ça les confortait dans leur tête. (Elle marque une pause.) En fait, j’ai l’impression que les femmes sont meilleures pour écrire des personnages d’hommes complets et véridiques, parce qu’elles ont consommé de la fiction écrite par des hommes depuis tellement d’années. Les autrices sont plus sensibles. Tandis que les hommes — PAS TOUS LES HOMMES, je sais — risquent davantage d’écrire un scénario où une femme pleure parce qu’elle est SPM…

«Une comédie romantique, qui est aussi un film de Noël? Ça aurait pu être super quétaine, mais quand tu maries les textes d’India Desjardins aux images de Miryam Bouchard, c’était impossible que ça le soit. Elles ont un edge particulier.»

Force est de constater que ces trois actrices partagent les valeurs de la scénariste, India Desjardins, avec qui j’avais eu le privilège d’échanger par Zoom quelque temps avant l’entrevue. Quand je lui ai dit que son œuvre m’avait séduite par son humour à saveur féministe assumé, India a d’abord souri, puis a rétorqué, le plus honnêtement du monde: «Moi, je me tape des jokes de mononcles au cinéma depuis que je suis toute petite. Est-ce que j’ai le droit de mettre mon humour, qui est plus féministe et engagé, dans un film sans que ce soit perçu comme du gros militantisme?» Amen.

Lorsque je rapporte les propos d’India aux trois femmes autour de la table, Catherine Brunet n’hésite pas à se mouiller la première: «Ce qui est plate, c’est que ceux qui disent: “On ne peut plus rien dire”, ce sont souvent des hommes blancs hétéros de 50 ans qui ont eu le droit d’ABSOLUMENT tout dire pendant 30 ans. Mais là, maintenant, il ne faudrait surtout pas que les femmes fassent des jokes un peu crunchy

C. S. — En tant que femmes, on a été élevées avec un devoir de réserve: il faut être polies, comprendre les situations pour mieux s’y adapter… Ce sont plein de skills qu’on développe quand on est jeunes! Comme femme noire, je ne peux pas juste me comprendre, moi. Je dois comprendre les hommes autour, m’assurer que je «fitte», que je ne dérange pas…

DES RÔLES EN OR

Très vite, on se met à parler du merveilleux personnage de Catherine Souffront — pour lequel elle a auditionné et a fait verser quelques larmes au passage — et de tout ce qu’il ne faut pas divulgâcher à son sujet. Ce qu’on peut vous dire pour l’instant, c’est que Jessica, le personnage de Catherine, est relationniste de presse de l’autrice jeunesse Elsa Lévesque (Virginie Fortin) et du chanteur Antoine Blouin (Stéphane Rousseau) qui, après avoir fait une pause pour sa santé, tente un retour sur scène. De son côté, Jessica souhaite concilier sa vie professionnelle florissante avec sa vie personnelle et amoureuse qui ne semble pas la combler pleinement.

C. S. — Je ne vais pas donner trop d’info sur mon personnage, afin de ne gâcher aucun punch, mais sachez que Jessica ne réagira pas comme on s’y attendrait. Je trouve ça cool qu’elle se permette d’explorer une relation de façon entière et sincère, et qu’en cours de route, elle réalise que ce n’est pas exactement ce qu’elle veut. Peut-être même qu’elle fera un choix différent de ce qu’elle avait espéré au départ. Ce que je veux souligner, c’est qu’en tant que femmes, on ne se donne pas souvent le droit à l’erreur. Le fait de changer d’idée, ce n’est pas un échec, c’est le propre de la vie. C’est juste qu’on n’a jamais donné aux femmes cette liberté-là. Et en 2022, ce n’est pas encore un acquis.

Catherine Brunet et Virginie Fortin possèdent, elles aussi, deux partitions fort réjouissantes à jouer. La cerise sur le sundae? Elles interprètent deux sœurs; une première dans la carrière de ces deux actrices, qui me surprennent en me confiant qu’on les confond souvent l’une avec l’autre.

V. F. — On m’a souvent dit que je ressemblais à Catherine. Les yeux bruns, la voix rauque et la petite face souriante, j’imagine?

C. B. — Moi aussi, je passe souvent pour toi. On m’a déjà fait un câlin pour me remercier de ce que je faisais pour la cause de la bipolarité dans Trop.

V. F. — Pis moi, lors d’un de mes passages à Tout le monde en parle, il y a une madame qui m’a chicanée parce qu’elle trouvait que je ne me ressemblais plus, que j’avais eu trop de chirurgies dans la face. Et je lui ai répondu que c’était normal qu’elle trouve que j’aie eu plein d’interventions, parce que ce n’est pas moi, Catherine Brunet!

Hilarité générale. Pas mal certaine d’avoir ri autant pendant cet entretien qu’en regardant le film. Et ce n’est pas peu dire.

Alexis Belhumeur

APPRENDRE ENSEMBLE

Alors, oui, on se dilate solidement la rate grâce à 23 décembre, mais pas que. Comme l’intrigue se déroule pendant le temps des fêtes, moment où la parenté se côtoie, toutes générations confondues, India a pensé mettre à l’écran certains sujets tabous, qui sont parfois maladroitement abordés entre membres plus ou moins rapprochés d’une même famille. Pensez-y, ça arrive dans presque toute bonne réunion familiale: conflits récurrents, conseils non sollicités, commentaires inappropriés, sexistes, voire parfois racistes.

«J’ai écrit un film de Noël, une comédie romantique où il y a parfois des moments cyniques, qui traite de sujets plus dramatiques, comme le racisme, dit India. La facilité, ç’aurait été de ne pas parler de ce sujet-là, mais je voulais montrer que certains propos dans les médias échauffent les esprits des gens dans leur salon, et qu’après, tout ça peut avoir des répercussions directes sur une personne, dans la vraie vie.»

Et c’est Normand — joué brillamment par Michel Barrette —, «un homme qui se sent bousculé par le monde moderne», qui porte tous ces biais inconscients.

V. F. — Normand est quasiment attachant dans son ignorance. Et ça, c’est grâce aux mots d’India, qui a réussi à écrire ce personnage sans le juger. On le sait bien qu’il dit des affaires qu’on n’aime pas entendre, mais elle ne l’a pas créé pour qu’on en rie. Il existe, point.

C. S. — Exact. C’est la bienveillance avec laquelle les scènes ont été écrites qui fait qu’on s’attache au personnage de Michel, qui représente d’ailleurs beaucoup de Québécois. Maintenant, ce que j’aimerais que ça provoque chez les gens, c’est que oui, c’est correct d’avoir des préjugés — tout le monde en a —, mais qu’il faut aussi rendre légitime le droit d’apprendre, d’évoluer et de changer d’opinion. Je ne veux plus que les gens se censurent. Je veux qu’ils posent des questions et qu’on apprenne tous ensemble.

V. F. — Qu’on soit dans l’apprentissage, au lieu d’être dans la honte de ne pas savoir…

C. S. — Oui! Récemment, je lisais 101 Essays That Will Change the Way You Think, de Brianna Wiest, et j’ai retenu la phrase suivante: «The obstacle is the way.» Il faut qu’on arrête de voir les sujets épineux comme n’étant que des problèmes. Non, c’est là qu’elle est, la vie!

C. B. — Et l’art, c’est aussi à ça que ça sert! Et ce n’est pas parce que c’est une comédie romantique de Noël qu’on ne peut pas aborder ce genre de sujets. T’sais, peut-être que les gens vont aller voir le film en famille, et que certaines scènes vont faire un chemin en eux ou provoquer des discussions importantes.

C. S. — Dans le milieu artistique québécois, il y a un mouvement: certaines équipes font le choix conscient de mettre la diversité de l’avant. Ça touche beaucoup la petite fille en moi parce que, tranquillement, tous les enfants vont avoir le choix de s’identifier à quelqu’un qui leur ressemble. Plus jeune, quand je regardais des films, je m’identifiais au personnage principal féminin, mais c’était toujours une Blanche. Aujourd’hui, je me dis que je serai peut-être un personnage inspirant pour une petite fille noire. Et que ça se produise dans une œuvre aussi réfléchie que celle d’India — et qui risque de devenir une tradition de Noël —, ça me fait chaud au cœur.

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ELLE QUÉBEC — DÉCEMBRE-JANVIER 2022-2023

ELLE QUÉBEC — DÉCEMBRE-JANVIER 2022-2023Alexis Belhumeur

Photographie Alexis Belhumeur. Direction de création Olivia Leblanc. Styliste Amanda Lee Shirreffs (TEAMM). Coiffure David D’Amours (Folio) et Rudy Cavalier (Folio). Maquillage Geneviève Lenneville (Folio). Production Pénélope Lemay. Assistants à la photographie Frederik Robitaille et Mitchell Wright. Assistantes au stylisme Indianna Bourassa-Petit et Marik Thexton. Assistante au maquillage Pargol Tavasolian.