Sublime, dans un long manteau ourlé de fourrure, elle s’avance d’un pas allègre dans le café vaguement hipster où elle m’a donné rendez-vous. Ses cheveux noués en un chignon strict laissent la lumière baigner son magnifique visage non maquillé, tandis qu’elle entame immédiatement la conversation avec son sourire légendaire. C’est la troisième fois que je la rencontre pour ELLE QUÉBEC (mais c’est la quatrième fois qu’elle fait notre couverture!), et je la trouve toujours aussi étonnante de naturel.

Comme si sa vie de star internationale n’avait pas d’emprise sur elle. Et pourtant. Karine Vanasse affiche un parcours éblouissant depuis qu’elle a été révélée à 14 ans dans Emporte-moi, le film de Léa Pool. À 32 ans, l’actrice et productrice fait maintenant partie du club très convoité des artistes courtisés par Hollywood et par les plus grands réalisateurs. Son seul nom sur une affiche pèse lourd. Ce qui ne l’empêche pas – fait remarquable et touchant quand on y pense – de tourner au Québec si une proposition l’enchante. À preuve, elle n’a pas hésité une seconde avant de camper le rôle de Justine Laurier, une militaire des Forces armées canadiennes, jetée dans la tourmente de l’agence de sécurité paramilitaire qu’elle hérite de son père, dans la série Blue Moon. Ce thriller haletant, écrit par Luc Dionne (Omertà), réalisé par Yves-Christian Fournier (Tout est parfait) et produit par Fabienne Larouche, est applaudi depuis sa diffusion exclusive à Club illico, en janvier dernier. Dans la foulée, Karine incarnera plus tard cette année une enquêteuse policière dans Cardinal, une série réalisée en anglais par Podz (19-2) pour CTV. Des personnages bien loin d’une certaine Margaux LeMarchal, qu’on a tellement aimé détester dans Revenge, tant au Canada et en France, qu’en Angleterre et en Australie.

Celle qui trace brillamment sa vie de film en film aborde tout ce qu’elle fait avec humilité, amour et exigence. Rien ne l’irrite plus que les gens qui ne se montrent pas à la hauteur du défi qu’on leur lance ou d’une chance qu’on leur donne. Idem pour l’injustice et les ego démesurés: ça l’insupporte. Mais ce qui frappe tout d’abord chez elle, c’est son entière disponibilité aux autres. Elle vous devine d’un seul regard, pressent vos envies même les plus banales ou secrètes, et fait d’exquises virevoltes pour les combler. Pas étonnant que ses amis et sa famille soient prêts à avaler des kilomètres pour la retrouver, où qu’elle soit dans le monde. La voici, saisie au vol, attachante et vraie, lors d’un passage éclair à Montréal…

On ne s’attendait pas à te voir jouer une femme d’action dans une série québécoise! C’est exaltant de camper l’héroïne indomptable de Blue Moon?

Bien sûr! J’adore explorer des univers méconnus: c’est mon moteur. J’ai dû travailler très fort pour camper Justine. Il m’a fallu explorer un univers trouble, d’une gravité assez inhabituelle pour moi… Justine est une femme forte et blessée, qui cache ses émotions. Elle a des rapports complexes avec son père et elle a été traumatisée par le suicide de sa mère. Elle s’est donné pour mission de sauver le monde. C’est un rôle fascinant!

T’es-tu découvert facilement des affinités avec ton personnage?

Contrairement à Justine, je ne pourrais pas désamorcer une bombe – j’ai du mal à brancher ma console Apple TV! Mais je sais qu’en situation d’urgence, je peux faire preuve de sang-froid. C’est épeurant à quel point je peux rester en contrôle!

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Comment t’es-tu approprié l’univers de Justine?

J’ai fait un grand travail de préparation psychologique, puis j’ai appris à la jouer de manière minimaliste, en gardant le visage fermé et la mâchoire crispée. Même ma voix est devenue plus grave. Et comme Yves-Christian (Fournier, le réalisateur) tenait à ce que je sois très musclée afin d’être crédible, je me suis entraînée pendant des mois, avec une discipline de fer. Boot camp, maniement d’armes, techniques de combat, tissu aérien… Je me suis dépassée! Développer des biceps et des abdos fessiers d’acier m’a fait habiter mon corps autrement. Je me suis sentie plus «pleine»… Mais dès qu’on ralentit la cadence, ça part vite! (rires)

On t’a vue grandir à l’écran. Qu’est-ce qui a le plus changé en toi depuis tes débuts, dans Emporte-moi?

J’ai longtemps été habitée par la peur du regard des autres. Ça m’a poussée à vouloir aller trop vite, trop loin. Et à relever des défis qui n’avaient pas de bon sens. (Comme son rôle principal dans la comédie musicale Irma la douce, en 2002, et l’animation du gala des Jutra, en 2009, qui lui ont valu de dures critiques.) Mais bon, j’avais besoin de me péter la gueule pour apprendre et avancer. À 20 ans, j’étais prête à me mettre en échec plutôt que de m’enliser dans des mécanismes trop appris…

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Tu as déjà dit que cette audace folle, c’était de «l’autosabotage »…

C’est vrai, mais depuis quelque temps, j’ai moins besoin de «me prouver» pour obtenir à tout prix l’approbation des autres. Je dirais même que j’ai ressenti, dans la réaction à mes posts sur Instagram (où elle se révèle avec candeur), une plus grande reconnaissance des gens envers mon travail. Comme s’ils appréciaient mes efforts, au-delà de la chance que j’ai eue. C’est doux de ne pas toujours avoir à déconstruire l’image que les gens se font de moi.

Parlons de ta vie à Los Angeles, si tu veux bien…

Depuis quelques mois, je loue un appartement dans un quartier cool de L.A. Je le remplis de gros coussins fluffy, d’encens et de chandelles parfumées, et j’aime y recevoir tous mes amis.

Je m’évade souvent à l’extérieur du centre-ville, dans les parcs nationaux. Je pars seule, je marche, je vais me baigner… Quand je reviens à Montréal, j’habite chez mon frère ou chez des amis. Je n’ai ni appartement ni maison à Montréal. Je trimbale tous mes sacs dans la voiture de mon frère! (grand éclat de rire) Dès que je le peux, je profite de mon chalet à Magog. Même si c’est seulement pour y passer quelques heures, pour dormir à la belle étoile ou pour m’enivrer de l’odeur des sapins. C’est mon «ancre»…

Comment concilies-tu ta carrière au Québec et ta carrière sur la scène internationale?

De mieux en mieux. Depuis le jour où j’ai compris que je suis au centre de mon travail, peu importe où je tourne, j’ai cessé de me sentir tiraillée, voire déchirée, notamment à cause de ma crainte de trahir le Québec. Depuis, tout est devenu plus léger.

Entre nous, qu’est-ce que ça change d’être une star à Hollywood?

Franchement? Ça me donne une plus grande confiance en moi. Quand j’ai décroché mon rôle dans Pan Am, j’ai vu ça comme une première chance de percer aux États-Unis. Après, quand j’ai été choisie pour jouer dans Revenge, je me suis dit: «Ma chance se confirme. Ça signifie que je peux décrocher un nouveau rôle, puis un autre…» Ça me permet de choisir vraiment ce que je veux faire, selon mes motivations profondes.

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Est-ce que ça te donne également plus de liberté en tant que productrice?

Sans doute. Quand je produis, ma raison d’être, c’est de croire en une histoire et de mettre une équipe en branle pour la porter à l’écran. Mon but, ce n’est pas de faire de l’argent, mais de produire un film que j’aime et en lequel je crois. J’aimerais aussi que l’humanité soit le fil conducteur de mes productions. Qu’on sente un lien entre Polytechnique, Paul à Québec et le prochain… On a un filon, mais on cherche encore la bonne façon de concrétiser ce troisième projet de film. Chose certaine, j’aimerais bien jouer dedans.

En terminant, comment envisages-tu l’avenir?

Comme comédienne, je veux comprendre les émotions pour les livrer de la manière la plus précise possible. C’est fort de tourner une scène à laquelle tout le monde croit! Pour y arriver, je ne peux pas mentir. C’est pour cette raison que je fuis le Botox et tous les trucs du genre: ils brouillent la pureté du visage. Je ne sais pas tout à fait à quoi les gens réagissent lorsqu’ils voient le mien à l’écran. Mais je sais qu’ils sont moins touchés par la beauté que par l’expression d’une émotion. Pour le reste, j’ai développé une certaine bienveillance envers moi-même. J’ai furieusement envie de me réinventer et d’aller au-devant de mes peurs. Mais plus que jamais, j’écoute mon instinct et ma petite voix…

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