Alicia, 35 ans, arrive au studio au naturel, son habituel bandeau en tissu retenant son épaisse tignasse. Sans artifice, elle irradie le calme, le charme et la détermination. D’emblée, j’avoue à la juge de la version américaine de La Voix que, si j’avais des cordes vocales comme les siennes, je ne pour- rais m’arrêter de chanter. «Oh, c’est charmant, répond-elle en rigolant. Je t’assure que, quand je me lève à 5 h 30 pour aller porter mes enfants à l’école, je n’ai pas vraiment envie de faire des vocalises!»

Blague à part, chanter a toujours été la raison de vivre d’Alicia Keys. Après avoir écrit et inter- prété plusieurs des chansons emblématiques de sa génération (de Fallin’ en 2001 à Girl on Fire en 2012, en passant par Empire State of Mind en 2009), l’artiste qui a vendu plus de 35 millions d’albums à travers le monde nous a récemment offert un opus tout neuf. De son propre aveu, Here «marque la naissance d’une version plus confiante et plus posée» d’elle-même.

D’ailleurs, malgré son nouvel album, son engagement dans de nombreuses fondations caritatives et son implication importante dans la dernière élection présidentielle américaine (difficile d’oublier sa prestation dédiée à toutes les mères qui ont perdu un enfant victime de violence, lors de la convention démocrate de juillet 2016), c’est son essai sur le maquillage qui a fait le plus de vagues. Dans ce texte rédigé pour Lenny, l’infolettre de Lena Dunham et Jenni Konner, la musicienne affirme qu’apparaître en public sans fard est le geste «le plus puissant, le plus libérateur et le plus honnête» qu’elle ait jamais accompli. Et que, le visage nu, elle ne s’est jamais sentie aussi belle. «Je me concentre sur ma force intérieure et sur mes convictions profondes, et j’essaie d’en apprendre plus sur moi-même, sur ce que je suis réellement», avoue-t-elle candidement.

Son texte s’est répandu comme une traînée de poudre sur internet, et le mot-clic #NoMakeup (#SansMaquillage) est rapidement devenu viral. Son message a entraîné un débat public houleux, dans lequel certains disaient la trouver courageuse, alors que d’autres la qualifiaient de «fausse féministe». «Il faut comprendre que ce que j’ai dit à propos du maquillage, c’est loin d’être une tirade contre les femmes qui se maquillent. Come on! On devrait toutes pouvoir faire ce qui nous fait nous sentir bien et confiantes, avec ou sans mascara!» Pour sa part, depuis la publication de son essai controversé, Alicia est apparue de nombreuses fois au naturel: sur les tapis rouges, dans les galas, à la télévision et même sur la pochette de son nouvel album. «La musique que j’ai créée pour ce disque est crue, honnête et vraie. L’une de mes chansons porte justement sur le fait que j’ai fini de me cacher derrière des vêtements qui ne me ressemblent pas ou des couches de maquillage. Je trouvais donc parfaitement conséquent de me mettre en scène de la façon la plus naturelle possible sur la pochette», explique-t-elle.

Pour Alicia, qui a longtemps été porte-parole d’un traitement anti-acné, c’était une décision réfléchie. «Ça m’a pris des années pour avoir une peau lisse. Je sais ce que c’est d’avoir le visage plein de boutons et de rougeurs. J’ai vécu cette période sous le regard du public. Mais, la première fois que je suis tombée enceinte (de son fils Egypt, qui a maintenant six ans), j’ai commencé à éliminer les produits laitiers de mon régime et à boire beaucoup plus d’eau. Pour ma peau, ç’a été un énorme changement. Auparavant, je me mettais aussi beaucoup de pression pour me conformer aux normes de l’industrie. Plus maintenant.»

Alicia Keys

Alicia Keys Photographe: Hallihan Kerry

LA FILLE DE FEU

Toute sa vie, Alicia a emprunté le chemin de la rébellion – mais d’une sage rébellion. Enfant unique et musicienne classique de formation, elle a été élevée par sa mère, Terria Joseph, parajuriste, dans un des quartiers les plus pauvres de Manhattan. Depuis ses premiers pas dans l’univers de la musique, elle a toujours eu une vision très claire de ce qu’elle méritait et a plusieurs fois tourné le dos à des offres qui, bien qu’alléchantes, ne correspondaient pas à ses aspirations. Adolescente, la chanteuse a même décliné une prestigieuse bourse d’études pour mieux se concentrer sur un nouveau contrat de disque. Plus tard, elle a catégoriquement refusé d’être modelée par sa maison de disques en une artiste qui ne lui ressemblait pas. Elle a d’ailleurs acheté son propre matériel d’enregistrement par refus d’être produite par quelqu’un d’autre qu’elle-même. Une décision plus qu’audacieuse, surtout en début de carrière! «On doit être fort, un peu fou et combatif pour avoir du succès dans ce monde. J’ai toujours su que j’avais du talent. C’est ce qui m’a per- mis d’arriver là où je suis», confie-t-elle. Elle avoue avoir travaillé tellement fort par le passé que c’en était presque maniaque. «Ma vie était complètement démente. Je passais des heures innombrables à voyager et à composer. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir atteint une vitesse de croisière qui me convient mieux. Avec le temps, j’ai réalisé que je peux aller plus loin en prenant les choses moins au sérieux, en relaxant un peu.»

Mariée depuis six ans au producteur Swizz Beatz, elle est maintenant maman de deux garçons (son plus jeune fils, Genesis, a deux ans). Sur les réseaux sociaux, ils semblent être le parfait exemple d’un couple heureux. «C’est un courant électrique, cet homme! dit-elle, les yeux brillants. Chaque personne qui le rencontre tombe sous son charme.» Alicia est aussi belle-mère de deux garçons de 10 et 16 ans et d’une fille de 8 ans. «J’ai une vision très ouverte et inclusive de ce qu’est une famille. Il n’y a pas de famille parfaite, et il n’y a pas de façon parfaite d’élever des enfants. Il y a du beau dans les imperfections. C’est ça, la vraie vie!»

Avoir une conversation avec Alicia est apaisant, même si sous sa douce apparence se cachent une poigne de fer, une discipline d’enfer et un mordant incroyable. Il est d’ailleurs rafraîchissant de la voir se positionner sans gêne comme féministe, dans une industrie où plusieurs artistes refusent l’étiquette par peur de s’aliéner une partie de leur public. «Être féministe, c’est penser que les femmes ont les mêmes droits que les hommes politiquement, socialement et économiquement. Alors, oui, je suis féministe. Et il faut être fou pour ne pas l’être», conclut-elle. On n’attendait pas une opinion moins tranchée de la part de ce modèle d’authenticité…