Une interprétation, une transformation, une présence à couper le souffle. Sous la direction du réalisateur québécois Jean-Marc Vallée (C.R.A.Z.Y., Café de Flore), Matthew McConaughey réussit un véritable tour de force dans Dallas Buyers Club, qui sort en salle ce mois-ci. Il est renversant dans la peau de Ron Woodroof, un électricien texan fan de partouzes, d’alcool fort et de rodéo, qui apprend à 36 ans qu’il est porteur du virus du sida et qu’il ne lui reste plus que 30 jours à vivre. «Just watch me!» hurle Woodroof avant de claquer la porte du bureau de son médecin.

Nous sommes en 1986. La trithérapie n’existe pas encore et les sidéens tombent comme des mouches. Le monde médical fonde ses espoirs sur l’AZT, un antirétroviral controversé aux effets secondaires dévastateurs. Il n’est pas question pour Woodroof de se laisser intoxiquer par ce poison. Avec l’aide d’un transsexuel qui est dans le même bateau que lui (Jared Leto), ce cowboy homophobe parvient à mettre sur pied un centre de distribution de médicaments non homologués par les autorités. Il permet ainsi à un régiment de sidéens comme lui de s’offrir, moyennant rétribution, un traitement alternatif. Celui-là même qui va prolonger sa vie de sept ans. Un miracle.

Pour incarner ce héros faible en gras et haut en couleur, McConaughey a dû se délester de plus de 20 kg et laisser de côté son look de beau gars. «Il s’est livré à un profond exercice d’humilité en se foutant de ce qu’il aurait l’air à l’écran», déclare Jean-Marc Vallée, encore soufflé par la performance de son interprète. «Durant les vingt premières minutes du film, nous ne sommes pas censés nous attacher au personnage. Or, au bout de cinq minutes à peine, le public l’adopte. Matthew dégage une bonté, une humanité… Ça ne tient pas juste à son interprétation. Avec ce rôle, il a prouvé qu’il était plus qu’un beau mec», poursuit le cinéaste.

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Faux départ

Pour bien comprendre la métamorphose de Matthew McConaughey, il faut revenir 20 ans en arrière. Plus précisément à Dazed and Confused, une comédie pour ados signée Richard Linklater (Before Midnight). Au générique, une poignée d’inconnus qui se démarqueront plus tard: Ben Affleck, Milla Jovovich et un certain Matthew McConaughey dans le rôle d’un donjuan stoner qui drague les filles au volant de sa bagnole. Des cheveux d’ange, un doux regard bleu, un rictus de p’tit baveux et un body d’enfer… La cause est entendue: un sexe-symbole est né. Mais rapidement, ça coince. D’abord tonifiés par le succès populaire du thriller A Time to Kill, les débuts de la carrière du jeune Texan sont ensuite ponctués de demi-échecs (Amistad, de Steven Spielberg, Contact, de Robert Zemeckis) et de bides éclatants comme EDtv (un remake de la comédie québécoise Louis 19, le roi des ondes), réalisé par Ron Howard.

Au tournant du millénaire, de guerre lasse, l’acteur enlève sa chemise et huile son six-pack. The Wedding Planner, How to Lose a Guy in 10 Days et Failure to Launch font de lui le nouveau prince de la comédie sentimentale et remplissent son compte en banque. En 2005, il est sacré «homme le plus sexy de la planète» par le magazine People. Est-ce suffisant pour lui? Pas vraiment. Ce fan de Paul Newman aspire au statut d’acteur sérieux. Et s’y prépare, à notre insu.

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Bye-bye, mon cowboy

En 2008, il amorce un virage à tous points de vue. À 39 ans, ce collectionneur de conquêtes (parmi lesquelles Sandra Bullock et Penélope Cruz) fonde enfin une famille avec Camilla Alves, une ex-mannequin devenue femme d’affaires, qui lui donne cette année-là un premier fils (une fille et un autre garçon suivront). Fool’s Gold, une chasse au trésor avec Kate Hudson, sorti sous les huées de la critique, et Ghosts of Girlfriends Past, comédie pas très drôle dans laquelle il partage l’affiche avec Jennifer Garner, annoncent la mise à mort du fantasme pour midinettes. Le malentendu a assez duré.

«L’industrie l’enfermait dans une petite case», explique Richard Linklater, qui l’a dirigé récemment dans Bernie, mettant aussi en vedette Jack Black et Shirley MacLaine. «Matthew ne refusait pas les beaux rôles; on ne les lui offrait tout simplement pas. C’était un acteur de composition enfermé dans un corps de jeune premier.» Durant deux ans, Matthew refuse toutes les propositions, se laisse désirer. Puis, en 2011, il passe à l’action. Dans The Lincoln Lawyer, où il joue un avocat en crise de conscience, il prouve qu’il est capable d’un jeu plus intérieur. Vient ensuite un quartet de personnages colorés, souvent excentriques et excessifs, dans des films indépendants remarqués. Bernie, Killer Joe, The Paperboy, et, surtout, Magic Mike transforment radicalement le regard que l’industrie pose sur lui. L’acteur cueille les fruits de son audace l’année suivante alors que Cannes applaudit à tout rompre son interprétation nuancée d’un Robinson en fuite dans l’excellent Mud, signé Jeff Nichols. Un nouvel horizon s’ouvre à lui. Le tournage de Dallas Buyers Club est à peine terminé qu’il est réquisitionné par Martin Scorsese pour donner la réplique à Leonardo DiCaprio dans The Wolf of Wall Street (sortie prévue le 25 décembre). Puis, il décroche un premier rôle dans la série policière True Detective, qui sera diffusée à HBO dès le 12 janvier, ainsi que dans Interstellar, le nouveau film de Christopher Nolan (Inception, The Dark Knight Rises) attendu sur nos écrans à l’automne 2014.

Dans l’intervalle, on prévoit que Matthew aura reçu sa toute première nomination aux oscars grâce à sa performance remarquable dans Dallas Buyers Club, un film réalisé par un gars de chez nous. Dire qu’il y a trois ans à peine, personne n’aurait cru ça possible. Sauf Matthew, peut-être…

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5 films pour (re)découvrir l’acteur

1. A time to kill (1996) Dans cette adaptation par Joel Schumacher d’un roman judiciaire de John Grisham, McConaughey «première époque» campe un avocat débutant et idéaliste du Mississippi qui, au risque de sa vie, assure la défense d’un Noir accusé du meurtre des deux hommes qui ont violé sa fille.

2. The newton Boys (1998) Notre gars du Texas joue… un gars du Texas dans ce western à la sauce gangster. Il incarne Willis Newton, un brigand qui, dans les années 1920, a entraîné ses frères dans plus de 80 braquages de banques. Un opus méconnu de Richard Linklater, le réalisateur du «grisant» Dazed and Confused.

3. Killer Joe (2011) Matthew incarne dans cette épatante comédie noire de William Friedkin (The Exorcist) le personnage le plus effrayant de sa carrière: celui d’un shérif corrompu, tueur à gages à ses heures, forcé de réclamer son dû à un client.

4. Magic Mike (2012) Avec une énergie folle teintée d’ironie, l’acteur laisse définitivement derrière lui les rôles sans relief dans ce film signé Steven Soderbergh (Erin Brockovich). On le découvre en proprio exhibitionniste et «croche» d’un club de danseurs nus dans lequel se déshabille aussi Channing Tatum.

5. Mud (2012) Le McConaughey «nouvelle époque» campe, dans ce grand film de Jeff Nichols, un beau parleur au coeur d’enfant, recherché par la police pour avoir descendu le conjoint violent de la femme qu’il aime (Reese Witherspoon). Son meilleur rôle à ce jour, avec celui de Ron Woodroof dans Dallas Buyers Club.

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