Interviewer Madonna, c’est interviewer la plus grande star du monde – cherchez, vous verrez. Et c’est d’autant plus remarquable qu’elle s’est hissée au sommet sans avoir de talent particulier (physique quelconque, voix inexistante), mais avec une énergie, une volonté, un travail, une intelligence et une perception intuitive de l’époque qui vous terrassent. Dans une ère résolument warholienne, elle a fabriqué des milliers d’images, pris le nom d’une icône et charpenté son physique comme on le fait d’une œuvre. À 47 ans, Madonna, qui vient de sortir un énième album à succès – Confessions on a Dance Floor –, est une performance live. Elle a eu sa phase virgin, sa phase à poil, sa phase maman, sa phase engagée, et maintenant sa phase Lady Chatterley.

On attend ses vidéoclips, ses entrevues, ses shows comme on attend le messie. Dans un monde où l’on vit de plus en plus vieux, mais où l’on est vieux de plus en plus jeune, Madonna défriche. Elle fait des enfants à 40 ans passés. Elle se marie à un homme de 10 ans son cadet. Elle bosse comme un mec et porte le nom de son époux. Elle a résolu le féminisme. Elle s’offre une deuxième vie, jusqu’ici refusée au sexe faible, et ouvre une nouvelle voie. Madonna est une artiste. D’abord objet de transgression, puis objet de transition qui nous dit que oui, il y a une vie après 40 ans. C’est possible de durer. Enfin, c’est ce que j’essaie de lui expliquer… Et voici sa réponse: «En somme, je suis un troisième sexe? Interesting. Je le prends comme un compliment.»

D’où tenez-vous cette énergie? Franchement, la vie me rend ce que je lui donne.

Vous vient-elle des cours de gym aussi? Pas tant que ça, je me suis fêlé les côtes dans un accident de cheval il y a trois mois.

Comment avez-vous survécu? À mon accident?

Non, à votre notoriété. Quand vous grandissez dans ce monde, que vous êtes une star, que vous divertissez les gens, personne ne vous dit que tout ça n’est qu’une illusion et que, au bout du compte, ça n’a aucune signification. Personne ne vous explique qu’il s’agit d’un bonheur temporaire. Au contraire, on vous pousse à en demander plus. Et on vous donne plus. Dès lors, vous êtes non seulement pourrie, mais piégée, parce que vous pensez qu’il s’agit de la réalité. Le seul moyen de survivre à tout ça, c’est d’en sortir. Voilà l’histoire.

CLIQUEZ ICI POUR VOIR LES PHOTOS VOIR LES PHOTOS DU CONCERT CONFESSIONS TOUR J’imagine qu’il vous a fallu du temps pour en arriver à cette conclusion. Beaucoup de temps, en effet. Avoir des enfants, me marier, découvrir une vie plus spirituelle m’a aidée à savoir ce qui était important et vrai. L’erreur, c’est de penser que vous êtes à l’origine de ce qui se trame autour de vous. Si vous pensez que vous êtes le Créateur, vous êtes mort. Je sais que je ne suis pas la propriétaire de mon talent. J’en suis la «manageuse». Et si je le gère bien, il continuera de circuler. Comme l’argent.

C’est la kabbale qui enseigne ça? Kabbale vient du mot kebel qui signifie recevoir. Il s’agit de recevoir pour redonner. En gros, la kabbale dit que tout ce que vous faites, tout ce que vous dites, a un impact sur le monde. Une fois que vous avez réalisé ça, vous devenez plus responsable. On réfléchit à deux fois avant de faire quelque chose, et toute notre vision de la vie s’en trouve alors changée.

Vous initiez vos enfants? Oui, je dis à ma fille qu’il y a deux voix au-dessus de sa tête. Celle du bad guy qui est, pour résumer, notre ego. Et celle du good guy, qui est connecté aux autres. Je lui explique que lorsqu’elle n’est pas gentille avec quelqu’un, c’est comme si elle n’était pas gentille avec elle-même. J’essaie de lui apprendre des choses simples.Ça ne doit pas être facile d’être la fille de Madonna… ni son mari, d’ailleurs! Non. Mais je pense que Guy [N.D.L.R.: Ritchie, le réalisateur] sait que tout ce qui se passe autour de lui n’est que le résultat de ce qu’il fait et non la raison pour laquelle il le fait. J’expérimente la célébrité depuis bien plus longtemps que mon mari et j’ai fait des choses beaucoup plus provocantes que lui. Maintenant qu’il s’y met, je lui dis: «Alors, qu’est-ce que ça fait de pousser les limites des gens? Qu’est-ce que ça fait de les rendre si furieux? Tu comprends ce que je traverse à présent.» J’ai beaucoup de respect et de compassion pour lui et pour la manière dont il s’accommode de ça.

Et votre fille? Ça la rend malade quand les gens essaient d’être copains avec elle juste pour lui poser des questions sur moi. Pour elle, je suis sa mère, un point c’est tout. Ça ne doit pas être facile, mais j’ai confiance en elle; c’est un bon juge.

Vous vivez à Londres? Par amour. Mais je vais beaucoup à New York et à Los Angeles pour le travail. Je suis une gypsie. J’ai un lien spécial avec New York, comme s’il s’agissait d’un premier amant. Vous voyez ce que je veux dire? [Elle semble émue.] C’est là que j’ai pu goûter à l’indépendance, matérialiser mes rêves, devenir une artiste. Vous savez, je me suis beaucoup battue à New York, j’y ai beaucoup souffert. [Tout d’un coup, elle a les larmes aux yeux, la fatigue sans doute.] J’ai dû me débrouiller seule là-bas. Et quand on a traversé ça, on ne l’oublie jamais. [Elle se reprend.] Aujourd’hui, ça fait 20 ans que j’évolue sous l’œil du public. Et j’ai envie de dire: restez armés, croyez en ce que vous faites, peu importe ce que les autres disent. Foncez!

Avez-vous des regrets? Aucun. Je n’ai que de l’espoir.

Elle se lève. Il est 19 h. Sa journée de pop star est terminée. Elle enfile son petit blouson noir Gucci, ses lunettes noires. Elle passe dans le couloir, et c’est comme si on avait branché l’électricité. Les poils se hérissent. Les regards s’allument. Les gens s’écartent pour éviter d’être brûlés par ces filaments invisibles de la célébrité.

A star is reborn.