On en connaît, des comédiennes qui intellectualisent leur métier à l’excès. D’autres qui dissimulent leur ego, fragile comme un coeur d’oiseau, sous le couvert de la séduction. D’autres encore qui préfèrent se murer dans le silence pour mieux laisser planer le (soi-disant) mystère. Julie Le Breton n’est pas ainsi. Elle est trop authentique pour ça, bien trop occupée à saisir la vie à pleines mains, et à courir vers les plus beaux vertiges que le métier peut lui offrir. C’est ce que je me dis en quittant le petit café branché, à deux pas du TNM, où on vient de passer deux heures à parler de sa rentrée effervescente. Ce qu’il me reste de cette rencontre? Quelques fous rires, des réflexions bien senties et l’impression d’avoir côtoyé une femme vraie, dont la pulsion de vie est palpable. Impossible de ne pas l’aimer. Ou de résister à son aplomb, à son franc-parler, à son intelligence et à sa culture.

En personne, l’actrice aux yeux azur est d’un naturel désarmant. Petit pull marine et jean noir délavé portés négligemment, peau nue du réveil, cheveux en bataille blonds… ou bruns? «Ouais, je suis entre deux colorations!» lance-t-elle en buvant son jus fraises-melon.

Au seuil de la quarantaine, elle a été adoubée par le public au dernier Gala Artis pour son rôle dans la comédie Les beaux malaises. Elle a pourtant mis un certain temps avant d’être connue du grand public. «Si j’avais joué Juliette à ma sortie de l’école [l’Option-Théâtre du collège Lionel-Groulx, à Sainte-Thérèse], ça m’aurait tuée! Rester un peu à l’ombre des projecteurs m’a permis d’apprendre à jouer, d’observer et de prendre de l’assurance», estime celle qui réussit l’exploit de jouer sur scène, à la télévision et au cinéma avec un égal brio. Des preuves? En 17 ans de métier, elle a campé une blonde insatisfaite (Québec-Montréal), l’épouse du Rocket (Maurice Richard – rôle qui lui a valu un prix Génie), une matérialiste cinglante (Mauvais karma), une avocate perfectionniste (Toute la vérité), la compagne i-dé-ale de Martin Matte (Les beaux malaises), et elle a enfilé les habits de divers personnages du théâtre classique (Marie Tudor, Les Liaisons dangereuses, Les trois mousquetaires) sans jamais se perdre. «Sur scène, je me sens comme une vraie actrice, surtout lorsque je fais du théâââtre classique, rigole-t-elle. Ça augmente ma confiance pour tourner devant la caméra.»

C’est ce qu’elle nous prouvera une fois de plus dans le très attendu Paul à Québec, film adapté de la bande dessinée de Michel Rabagliati et réalisé par François Bouvier (Maman Last Call, 30 vies). Elle y incarnera Lucie, la conjointe de Paul (François Létourneau), qui assiste avec toute sa famille au dépérissement inéluctable de son père (Gilbert Sicotte), atteint d’un cancer. Selon Karine Vanasse, la productrice du film, le choix de Julie pour incarner Lucie s’est imposé: «Il nous fallait une actrice capable de poser un regard à la fois admiratif, tendre et amusé sur Paul, un homme contemplatif et maladroit. Elle devait aussi dégager un mélange de force et de douceur.»

Au cours de la prochaine année, la comédienne investira aussi notre petit écran en prenant part aux Pays d’en haut (un audacieux remake télévisuel des Belles histoires), puis en renouant avec l’exquise Julie, dans la troisième saison des Beaux malaises. Mais, pour l’heure, l’actrice s’exprime librement sur sa vision du métier, sur son renoncement au désir de maternité et à propos de l’amour – auquel elle croit plus que jamais.

On vous verra bientôt à l’affiche dans Paul à Québec. Vous étiez déjà fan de la bande dessinée?

Mon Dieu, oui! J’étais vraiment fan, bien avant le projet de film, mais je n’aurais jamais pensé à moi pour le rôle de Lucie! (rires) La blonde de Paul intériorise ses émotions, alors que j’ai plutôt tendance à les exprimer. J’ai travaillé fort pour la personnifier.

Diriez-vous que ce rôle vous a transformée?

C’est la première fois que j’ai autant accès à l’émotion en tant qu’actrice. J’ai senti des barrières intérieures tomber… Le scénario est tellement touchant: j’ai dû doser mes larmes dans le film.

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Comment avez-vous joué l’émotion sans en faire trop?

Avec François [Bouvier, le réalisateur], on a misé sur la grande sobriété de la bédé pour ne pas tomber dans le gnangnan ou le larmoyant, même si on y aborde le sujet de la mort. Dans le film, je me sers beaucoup du toucher pour communiquer avec les autres personnages. Ça m’est venu naturellement: quand on vit un deuil, on cherche à s’agripper à quelque chose autour de soi pour se réconforter…

Est-ce que le film nous apprend à dire adieu à ceux qu’on aime?

En vieillissant, on perd des proches autour de nous. Moi, j’ai encore mes parents, mon frère, mes soeurs… Alors je me suis demandé comment on fait pour trouver un sens à la vie quand notre univers devient soudainement dépeuplé. (pause) Le deuil, c’est comme un rayon lumineux à l’intérieur de soi, qui permet aux disparus de continuer à exister. Le film montre les enfants qui offrent la paix d’esprit à leur père, au lieu de se laisser totalement submerger par leur peine. Je trouve ça beau de dire à la personne qui s’en va: «Tu peux lâcher prise maintenant…»

Comment abordez-vous la troisième saison des Beaux malaises?

J’ai vraiment hâte de commencer à tourner! J’adore la série. C’est joyeux, c’est intelligent! Ça fait du bien aussi de voir un couple heureux à la télé. Et puis, j’aime tout de Martin: sa sensibilité, son regard sur le monde et sa volonté de toujours se renouveler… D’ailleurs, il a su faire évoluer le personnage de Julie à mon contact. Tout ce que je peux vous dire, c’est que, dans la vie, je suis pas mal plus rock et irrévérencieuse qu’elle!

Dans Les pays d’en haut, vous serez l’insoumise Délima. C’est un contrepoint intéressant aux rôles que vous défendez habituellement…

En effet! Délima, c’est la soeur et l’ennemie numéro un de Séraphin. Elle lui tient tête! C’est une féministe avant son temps. Elle est célibataire, a des amants, rejette les conventions, vit à Montréal… Mon plus grand défi, c’est de trouver sa vérité, au-delà de sa flamboyance.

Que cherchiez-vous en devenant comédienne?

J’avais probablement le désir d’être entendue, de canaliser le trop-plein d’émotivité que j’avais, pour en faire quelque chose de beau.

Vous étiez une enfant à fleur de peau?

Et comment! J’étais trop sensible et extrêmement susceptible. Je pleurais constamment. Un rien me bouleversait. Comme on déménageait souvent [NDLR Pour des raisons professionnelles, la petite famille a habité à Cleveland, puis en Suisse], j’avais peur de commencer l’école, de manquer l’autobus, de ne pas me faire d’amis… Je gardais tout en dedans, puis je me mettais à pleurer et j’explosais. Un vrai volcan! J’étais vraiment «rushante»! (rires)

C’est très difficile à imaginer quand on vous regarde aujourd’hui…

Heureusement que mes soeurs et mon frère m’ont secouée. J’ai appris à m’exprimer en devenant adulte.

Ça vous réussit! Vous semblez légère… heureuse, quoi!

C’est vrai, je suis comblée! J’ai trouvé mon équilibre. Après quatre ans à laisser mon désir d’avoir un enfant prendre toute la place, je me suis posé des questions qui font mal. J’ai pris des décisions importantes qui m’ont délestée d’un lourd fardeau. Depuis, je me sens extrêmement légère et dans la lumière. Je respire!

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Vous avez fait la paix avec l’idée de ne pas avoir d’enfant?

Oui. Ça n’avait aucun sens de penser ma vie en fonction d’un souhait qui ne se concrétiserait peut-être jamais! Alors, je me suis dit: «C’est correct. Je peux envisager une vie sans enfant.» Depuis, quelque chose s’est ouvert en moi. J’ai cessé d’être en attente. J’ai décidé de vivre le moment présent.

C’est libérateur, n’est-ce pas?

Oh yeah! C’est très libérateur. J’en ai eu assez de me comparer aux autres femmes, et de souffrir lorsqu’une amie m’annonçait qu’elle allait avoir un bébé. Ça me rendait moins généreuse, plus égocentrique. Et je détestais ça. L’envie et la comparaison sont des abîmes. On doit apprendre à s’en sortir rapidement pour ne pas y sombrer. Aujourd’hui, ma vie est plus simple. Je découvre qu’il y a plein de façons de vivre l’amour.

L’amour, vous le vivez comment?

(Elle hésite.) J’ai vécu une rupture, après six ans en couple. Ça fait partie du délestage de la dernière année… (silence ému) Depuis, j’ai eu la chance de croiser l’homme que je devais rencontrer à ce moment précis de ma vie. On est fous d’amour. On a envie de le crier sur les toits. Mais je me retiens: si tu ne parles pas de tes relations quand elles vont bien, tu n’as pas à le faire quand elles vont mal. C’est formidable d’être à nouveau amoureuse!

On le connaît? (Silence et sourire amusé)

Laissez-moi deviner. C’est un vrai gars, un Québécois avec une barbe… Il travaille dans le milieu du cinéma…

Ouiiii! Bon, OK: il collabore avec Xavier Dolan. Mais je n’en dis pas plus! (éclats de rire)

On jase, là… Qu’est-ce qui vous séduit chez un homme?

Ah! La gentillesse, l’irrévérence, l’humour, bien sûr. Comme j’ai une énergie assez rough, j’ai besoin d’un homme qui a de l’aplomb, sur lequel je peux m’appuyer. J’aime aussi qu’un homme soit capable d’accepter ce qu’il y a de moins beau en lui. C’est une forme de courage, de ne pas toujours essayer d’être parfait. Ça me séduit, car je tends moi-même vers cette attitude. Au contact l’un de l’autre, on peut s’aider à devenir meilleurs.

C’est le pari que vous tenez avec votre amoureux?

Oui; l’élan est là. Cette envie de travailler ensemble vient à mesure qu’on prend de la maturité. Avec le temps, on s’offre et on reçoit autrement. Pour moi, c’est plus facile de donner. Je ne le dis pas par fausse modestie, car c’est un problème de ne pas savoir accepter. Recevoir demande de l’humilité. Si on n’y parvient pas, il n’y a pas d’échange. Alors, j’y travaille !  

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