Ses pupilles émeraude vous scannent tel un laser. Durant les premières minutes qu’on passe avec Isabel Richer, on a l’étrange impression de subir un test. C’est le cas. «En entrevue ou en audition, impossible de m’ouvrir si je ne "sens" pas la personne devant moi», explique la comédienne de 43 ans. Si Isabel Richer était un animal, il serait sauvage. Son pantalon noir et son top cintrés mettent en relief son corps athlétique. Une légère écharpe drape ses épaules avec élégance. Elle se meut à longues foulées. Altière, intense, charnelle aussi, elle pourrait être louve.

Une louve prête à protéger les siens. Voulant jeter un pont entre nous en ouverture, j’ai cru bon de raconter que ma mère et sa grand-mère s’étaient connues jadis et… Immédiatement, elle s’est tendue, effarouchée à l’idée que j’en sache trop sur ses proches. Sa vie privée, pas touche. Pour me le faire comprendre, elle n’a eu besoin d’aucune parole: son autorité naturelle a suffi.

L’assurance sereine qui émane d’Isabel Richer insuffle de la profondeur à chacun des personnages qu’elle a incarnés depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre en 1993: Mariette la policière dans Jasmine (1996), Gloria la délinquante dans Les sœurs Elliot (2007-2008) et plusieurs autres, notamment dans Lobby (1997), Les Invincibles (2005-2009), Les 3 p’tits cochons (2007), Babine (2008), etc. Sans oublier, bien sûr, cette Pauline qui portait le monde sur son dos dans L’ombre de l’épervier (1998) et qui l’a révélée pour de bon.

Lire la suite: «Une bienveillante fermeté»

 

PHOTO: SRC (Isabel Richer dans son personnage de Julie Lemieux dans Trauma)

 







isabel-2.jpg

 

«Une bienveillante fermeté»

«Isabel dégage une bienveillante fermeté», juge l’auteure Fabienne Larouche. Exactement ce qu’elle recherchait pour son personnage de Julie Lemieux, la chef du département de traumatologie qui sera le pivot de la série Trauma, en ondes en janvier à Radio-Canada.

Rien ne destinait pourtant l’intéressée à jouer ce rôle! «Le sang, les aiguilles, ça me terrorise! dit-elle en riant. Sauf que la série est tellement prenante sur le plan humain que j’ai oublié mes phobies. Le quotidien des équipes de médecine d’urgence, c’est la vie et la mort. Comment font-elles?» Elle évoque les décisions éthiques, l’obligation de ne pas se substituer à Dieu. «Dans un épisode, mon personnage a une discussion marquante avec un résident qui refuse de soigner un pédophile agonisant. C’est troublant. Jamais un rôle ne m’a projetée aussi loin de ma réalité.»

Et quelle est cette réalité? Elle me regarde en prenant une gorgée de son café au lait et sourit. «Beaucoup de choses. Souvent des petites choses.» Isabel Richer sait apprécier quand il fait beau dehors, et se trouve comblée par l’achat de trois CD. «Si j’ai de la peine, je rebondis vite. En somme, je pense avoir du talent pour le bonheur.»

 

Pas si zen

Bonheur qui, on le devine, a dû être ébranlé en 2006 lors de sa séparation d’avec son chum, le comédien et réalisateur Luc Picard. Ils sont à nouveau ensemble. De cette parenthèse, elle ne dira qu’une chose: «Je n’aime pas parler de mon couple.» J’observe quand même qu’au-delà de sa féminité elle dégage une énergie sans chichi, quasi masculine, alors que lui, tout viril qu’il soit, projette à l’inverse une douceur presque féminine. Elle ne commentera pas non plus. Bien sûr. Elle admettra seulement plus tard, en esquissant un sourire, que parfois, oui, il la trouve «contrôlante».

Une «contrôlante» pas toujours en contrôle. «Je change d’humeur sans préavis. Ça n’est pas forcément reposant pour mon entourage!» L’impatience serait son pire défaut. «J’ai l’air calme comme ça, mais je ne suis pas zen pour deux cennes!» Elle n’est pas non plus le monument d’assurance qu’on imaginerait… «Prendre la parole à un mariage ou présenter un prix dans un gala, c’est l’horreur pour moi. J’ai d’ailleurs souvent menti en invoquant une fausse urgence à la maison pour me défiler à la dernière minute!» (rires) Et ne lui demandez surtout pas d’aller danser ou chanter dans une émission de variétés. «Je suis mal à l’aise dans ce genre de numéros. Ça entre dans ma catégorie "stress inutile". Et puis, j’ai assez de "Kodak" braqués sur moi dans mon travail, ça me suffit.»

Seule entorse au programme: aller papoter et popoter avec son amie Josée à l’émission À la di Stasio. Parce qu’il est alors question de sa passion insatiable. «Même enceinte, quand j’avais des maux de cœur, c’était plus fort que moi: je persistais à dévorer des revues de cuisine, mes revues cochonnes, comme Luc les appelle. Il disait: "Mais arrête, tu es folle!" Il était dé-cou-ra-gé!» raconte-t-elle. Elle poursuit sur sa lancée: «J’ai su un jour qu’il s’était plaint à un ami que je lui préparais des confits de canard en milieu de semaine… alors qu’il aurait parfois le goût d’un simple pâté chinois. Heille! J’ai dit: "OK mon cher, j’arrête tout; dans un mois, tu vas me supplier de me remettre aux fourneaux!"» s’exclame-t-elle, feignant l’indignation.

L’origine de cette obsession gourmande, elle l’ignore. «Ma mère [Diane Tassé, qui a été recherchiste, entre autres pour l’émission-culte Appelez-moi Lise] a été pendant un temps critique gastronomique, et elle m’emmenait avec elle dans les restos. Mais pour le reste, va savoir… Je me rappelle juste que quand j’étais petite, c’était décidé: plus tard, je serais comédienne ou restauratrice.» Elle est devenue comédienne, même si ce n’était pas gagné d’avance…

Lire la suite: Une battante

 

PHOTO: SRC (Isabel Richer dans son personnage de Julie Lemieux dans Trauma







isabel-3.jpg

 

Une battante

Renvoyée de l’option-théâtre du collège Lionel-Groulx à Sainte-Thérèse, elle part s’aérer l’esprit quelques mois en Europe. «J’ai grandi à Outremont dans un milieu privilégié, mais j’ai payé mon voyage en distribuant le journal», note-t-elle avec fierté. Elle revient à 22 ans avec une seule idée en tête: jouer, envers et contre tous. Elle sera acceptée à l’École nationale de théâtre en 1989. Plusieurs auraient laissé tomber après ce faux départ. Pas elle. «Il n’était pas question que quelqu’un d’autre décide de mon avenir à ma place. Je suis une battante. Comme papa.»

La maladie, la souffrance et la mort qu’elle côtoie dans Trauma, la comédienne les connaît bien. Son père, Gilles Richer, est mort en 1999, à 61 ans, au terme d’une bataille de 11 ans contre la maladie d’Alzheimer, laissant derrière lui Isabel et François, son frère aîné. Gilles Richer était l’auteur de Moi et l’autre, des Couche-tard, de nombreux Bye Bye et de certains spectacles de Jean Lapointe. Mais ce n’est pas tout: c’est aussi lui qui a signé Mommy, Daddy, une poignante et sublime chanson sur la mort lente du français en Amérique. Son départ prématuré reste marqué d’une pierre noire dans le parcours de vie de sa fille.

L’an dernier, elle acceptait d’en témoigner à l’émission On prend toujours un train. «Ouf! Je n’ai pas l’habitude de me livrer autant. Le lendemain, les gens venaient gentiment me confier que je les avais touchés. J’avais juste envie de leur dire: "OK, fouillez dans mes tiroirs mais, s’il vous plaît, ne me le dites pas"», se rappelle-t-elle en triturant nerveusement son écharpe.

Cela dit, elle n’est pas de ceux qui trouvent le tribut de la notoriété lourd à payer au Québec. Quand même: les remarques du style «vous êtes donc chanceuse d’être avec le beau Luc Picard» ne l’agacent-elles pas? «Bien non! Et puis… c’est vrai! D’ailleurs, même si les gens nous voient nous engueuler un soir au resto, peu m’importe. C’est la vie. C’est normal.» Elle trouve autrement plus éprouvant de se regarder vivre et vieillir à l’écran. «Au début, ça tenait de l’entreprise de démolition tellement je me critiquais. Je suis devenue plus clémente. Sauf que je visionne généralement mes émissions seule, après leur diffusion.»

Lire la suite: Tout pour fiston

 

 PHOTO: Alliance Vivafilm (Isabel Richer dans le rôle de La Sorcière dans Babine).







isabel-4.jpgTout pour fiston

Mais c’est loin, très loin de son reflet qu’elle se sent vraiment elle-même. Autant Isabel Richer est «une fille de ville, qui se maquille chaque matin et adore les petits pots de crème», autant elle trouve sa joie «les bottes plantées dans une rivière». «Quand la saison de la pêche au saumon débute et que je ne peux pas y être, c’est simple, j’en ai mal au ventre», confie celle qui, toute jeune, réglait déjà son réveille-matin pour aller taquiner le crapet-soleil au lever du jour. «Être perdue dans la nature, hors du temps, juste à pêcher à la mouche, tranquille, c’est tellement incroyable… On touche à l’essentiel.»

C’est en Gaspésie qu’elle vit ces bonheurs. Une région avec laquelle elle est tombée en amour en devenant marraine de La Traversée de la Gaspésie en ski de fond. Cette année encore, pour la huitième fois, elle sera au rendez-vous (du 20 au 27 février). Juchée sur sa motoneige, elle suivra les participants, servant du bouillon à l’un, réconfortant l’autre. Potions, sirops, pansements: dans sa valise, elle aura transporté, comme toujours, une véritable pharmacie en format réduit! «Je suis une fille très, très organisée!» Sauf pour ses finances. «Je ne veux rien savoir de ça. Mon frère François est comptable et il s’arrange avec ça. Heureusement que je l’ai!»

François, Luc: Isabel ne se passerait d’aucun des hommes de sa vie. Encore moins du plus petit, Henri. Son fils de huit ans, elle l’aime plus que tout. Que voudrait-elle lui laisser en héritage? Elle s’adosse pour réfléchir; la question lui importe. «Je voudrais qu’il ait l’intelligence de Luc, répond-elle enfin, sa compréhension exceptionnelle de la vie. Et son talent. Et aussi son besoin d’engagement. De moi? Simplement mon appétit de vivre, de me lever le matin en ayant hâte de manger ma toast au beurre de pinotte. S’il a tout ça, sa vie sera belle, peu importe ce qui pourra lui arriver.

Aujourd’hui, elle se réjouit de passer plus de temps avec lui. Ses tournages terminés – Trauma et un film sur le pianiste André Mathieu où elle incarne un des grands amours du virtuose -, elle sera en vacances durant les prochains mois, en attendant la suite. Bien sûr, elle craint comme tous les comédiens qu’un jour le téléphone ne sonne plus. «Si ça se produisait? Je ferais autre chose, point. Je prie juste le ciel de ne jamais devenir amère. Le doute, la dépression même peuvent te faire avancer. Mais l’amertume détruit à petit feu.»

Une dernière gorgée de café au lait, maintenant refroidi. «Un jour, j’ai pris une décision: même si j’apprécie ce métier, je ne le laisserai jamais bouffer ma vie.» La belle louve a l’instinct de survie aiguisé. «Je pense être quelqu’un de terre-à-terre et d’équilibré, oui. Mais, entre nous, c’est au prix d’un éternel combat!» (rires)

 

 

Isabel en questions

Un plat pour l’anniversaire de son chum «Une table d’antipasti.»

Une manie «Cirer mes chaussures avant de partir en voyage! Je ne sais absolument pas pourquoi.»

Un comédien fétiche (hormis Luc Picard!) «Jean-Pierre Bacri.»

Une comédienne préférée «Il y en a trop!»

Un souvenir d’enfance triste «La séparation de mes parents.»

Un designer «Marie Saint Pierre. Pour le reste, je suis inconstante.»

Sa plus grande fierté, à part son fils «Mon fils.»

Le secret de sa minceur «J’ai déjà pesé au moins 40 livres de plus. J’ai perdu beaucoup de poids après l’annonce de la maladie de mon père. Ensuite, j’ai appris à manger à ma faim. Et je n’aime pas le sucre; ça aide.»

Un rêve «Un voyage gastronomique France-Espagne-Italie. Côté métier, je rêve simplement que mon prochain rôle me surprenne. Et me fasse peur, un peu!»

Féministe? «Oui. Sauf que c’est dommage d’avoir dû passer par "les hommes sont coupables de tout jusqu’à preuve du contraire" et "seule la façon d’être des femmes est bonne". On n’avait pas le choix, je le comprends. Mais depuis qu’Henri est là, je trouve urgent de revaloriser la masculinité.»

Ce qu’elle aime d’elle-même «Je ne sais pas… Mes yeux, je crois.»

Ce qu’elle aime le moins d’elle-même «Mes mains. J’ai fait beaucoup d’eczéma quand j’étais jeune, et elles sont restées un peu rougies. Je les agite beaucoup en parlant, peut-être pour les faire oublier…»

Une cause «Je suis porte-parole de la Fondation Marie-Ève-Saulnier, qui aide les familles d’enfants malades. Comme j’ai des amis dont l’enfant est atteint d’un cancer, cette cause vient vraiment me chercher.»

Un regret «J’en ai peu. Les regrets sont le pire des handicaps pour avancer. Cela dit, mon seul et unique vrai regret sera de n’avoir eu qu’un seul enfant.»

 

isabel.jpgCliquez pour voir

la vidéo de la séance photo avec Isabel Richer.

 

 

PHOTO: SRC (Isabel Richar et Jean-Nicolas Verreault dans le film L’oeil du chat).