Si la vie fait bien les choses jusqu’au printemps, Ariane Moffatt relèvera le pari le plus fou de sa vie: lancer son nouvel album, entreprendre une tournée à travers le Québec et élever ses trois garçons… tout en se sentant libre. Gros programme? À qui le dites-vous! Mais pour celle qui a déjà clamé «Je veux tout!», rien n’est impossible. D’autant que depuis qu’elle a fondé une famille avec sa compagne Florence Marcil Denault, dans laquelle grandissent Henri, Paul et George, cette quête de réalisation dépasse sa seule personne, à son plus grand bonheur. À 39 ans, elle est l’une des musiciennes et réalisatrices les plus sensibles et clairvoyantes de sa génération, une femme et une maman – porte-étendard de l’homoparentalité – qui ne s’excuse de rien, et une complice des artistes qu’elle prend sous son aile. Dans tout ce qu’elle crée, Ariane Moffatt injecte cette dose de poésie et ce vent de liberté dont on a tant besoin. Elle le prouve de nouveau avec Petites mains précieuses, son nouvel opus (dans les bacs le 16 octobre) alliant un retour à l’intime à un regard lucide sur le monde, sur un son groove et disco, façon années 1970. L’auteure-compositrice, qui s’est faite très discrète depuis un an, se révèle sans faux-fuyants dans la fraîcheur de son petit resto-bar préféré, dans le Mile-End. C’est la canicule. Relax, en short et t-shirt, le visage rayonnant, encore rougi par sa séance de boxe, elle sirote un mojito sans alcool. Et elle savoure l’instant. Son dernier album est bouclé. Ses trois fistons sont à la garderie. Elle peut (enfin) respirer et prendre le temps de se raconter…

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  Photographe: Malina Corpadean

Ça y est, tu es en vacances? Je suis en mode chalet! (rires) Santé! Cet album-là a été tellement particulier! Il a été prématuré comme George (son troisième enfant, né en juillet 2017, après un accouchement ayant mis en danger la vie du bébé et la sienne). Il est indissociable de cette expérience-là, même s’il n’en parle pas du tout! J’ai écrit une bonne partie de l’album la nuit, entre deux boires… 

Qu’est-ce qui t’a poussée à le composer si vite? Pour la première fois de ma vie, je me suis dit que je n’étais pas immortelle. Cette frousse, cette fragilité, après l’accouchement… J’avais vraiment besoin d’écrire. C’était instinctif. J’étais complètement habitée. Ma blonde se demandait si je n’étais pas hypomaniaque! Mais non, j’étais juste obsédée, avec les hormones dans le plafond! (rires) Ça m’a permis de retrouver cette vulnérabilité qu’on perd en cours de route, et qui s’avère nécessaire pour écrire des tounes vraies.

Il y a 16 ans, tu as bouleversé la scène musicale avec Aquanaute. Que voulais-tu apporter avec ta musique et ta voix? Je voulais rendre l’invisible… audible. Je désirais mettre des mots sur nos états d’âme, nos tristesses, nos solitudes. Et les offrir en bouquet pour qu’on soit tous un peu plus reliés les uns aux autres. La création m’a toujours servi d’exutoire dans des moments difficiles. Tu t’y lances pour toi d’abord, et après tu touches les gens.

Cette pulsion est encore intacte? C’est sûr! Ce qui change avec le temps, c’est le développement d’une plus grande conscience sociale. Prends la chanson Pour toi, qui est une ode à la force de la femme. Ou la piste La statue, que j’ai écrite le jour même de la dénonciation de Pénélope McQuade [contre le producteur Gilbert Rozon pour agression sexuelle]. Je me sentais impuissante, mais je voulais joindre ma voix à ce geste courageux. J’ai écrit cette chanson comme une prière, pour nous réapproprier notre liberté, en plein mouvement #MeToo. Aujourd’hui, il n’est plus seulement question de moi. Mais de moi et le monde.

Et la famille, aussi. D’ailleurs, sur ton compte Instagram, tu te présentes comme une «maman musicienne» et pas l ’inverse… Oui, et j’y montre mes enfants. Je suis une mère artiste. Take it or leave it. Ça ne fait pas de moi une matante! C’est mon identité. Et oui, la maternité devrait être plus valorisée dans notre société, quel que soit le métier que les femmes exercent! J’aimerais que la vie professionnelle et la vie de famille se marient plus harmonieusement. D’ailleurs, j’ai fait exprès de lancer l’album après la rentrée scolaire…

C’est ta façon de concilier vie artistique et familiale? Oui! Accompagner mes enfants en ayant une profession qui te demande d’être partout, tout le temps, ça exige un grand, grand, grand investissement! Mais je veux aller au bout de mon choix de mère et me sentir bien dans ce terrain de jeu qui m’est permis. Et surtout, ne pas combattre ce que ça implique au quotidien… Cela dit, j’ai toujours le feu en moi! Cette espèce de devil qui a besoin de s’éclater, mais je ne cherche plus à exister dans l’ivresse de la fête. C’est fini, ça! Un peu plus et je vais sonner comme la sage de 40 ans! (rires)

Selon toi, c’est possible de rester amoureux en devenant parent? Flo et moi, on essaie de trouver du temps pour notre couple. De cultiver le désir amoureux. L’amour, c’est pas toujours un tour de manège! Et la vie de famille, pas toujours l’allégresse! Des fois, on est dépassées, accaparées par nos trois garçons de moins de cinq ans, on se regarde et on se dit: «Ben oui, ça va revenir!» Il faut simplement accepter qu’être parents, c’est une autre facette du couple, et qu’on se trippe dessus différemment. Depuis l’arrivée des jumeaux Henri et Paul, puis de George, wow! Je trouve que Flo est une maman fantastique! Je l’admire, ce qui ne nous empêche pas de nous confronter.

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  Photographe: Malina Corpadean

Quand tu étais plus jeune, t’imaginais-tu en couple avec une femme? Non, ben non! Ado, j’étais tomboy, si on veut rester dans les stéréotypes. J’ai eu un chum avec lequel j’ai connu un grand amour. Mais une petite voix me disait que je n’étais pas tout à fait à la bonne place. Avec Flo, je me suis abandonnée corps et âme pour la première fois. 

Tu y es arrivée dès votre rencontre? Euh, non. J’avais de la difficulté avec l’engagement, quand même. J’étais un oiseau sauvage. Je me suis laissée aller tranquillement, en m’exposant, en lui faisant confiance. Ah, cette maudite envie de liberté!

Que veux-tu dire par là? J’ai l’impression que la liberté est la clé de mon bienêtre. Si bien que j’en demande toujours plus. Mais aujourd’hui, je sais que ça ne règle pas tout. Quand on étouffe avec soi, la liberté n’est pas une panacée.

Ta compagne est psychologue et pédopsychiatre. Tu te sens parfois psychanalysée? Ben oui! J’ai choisi de vivre avec une psy! (rires) Tout est abordé!

Tu ne peux pas te cacher? Non, mais ça m’a beaucoup aidée, en fait. Ça m’a permis de sortir de ma bulle, de mon univers un peu sombre.

C’est curieux, car on t’imagine toujours joyeuse! Malgré mon image de fille souriante, j’ai mes zones d’ombre. J’ai fait beaucoup d’introspection et de psychothérapie. La vie est difficile, parfois! On répète souvent les mêmes patterns négatifs. On connaît des moments d’errance. On se dit que le bonheur est là et qu’on n’arrive pourtant pas à le saisir. Cette quête-là nourrit beaucoup ma réflexion.

Tout comme ta passion de l’humain, j’imagine? Je suis fascinée par cette âme mystérieuse que chacun possède. C’est ce qui motive et donne de l’élan à tout ce que j’entreprends…

Qu’est-ce qui occupe le plus tes pensées présentement? À part les boys? C’est l’album. Comment sera sa vie. Je pense à la tournée. J’ai hâte de remonter sur scène. De retrouver ma forme physique. Je m’entraîne et je fais de la boxe. C’est mon petit côté Rocky! (rires) Je prends conscience de ce que je mange, aussi. J’ai besoin de sentir que je me respecte et que je me donne ce qu’il faut pour attaquer ce qui m’attend, mais toujours dans le plaisir.

Qu’est-ce qui est le plus exigeant dans la création? C’est de rester soi-même, fidèle à ce qu’on veut exprimer, tout en s’inscrivant dans son époque et en se crissant de toutte! Mais c’est impossible de se crisser de toutte! Un, tu ne veux pas avoir un son totalement décalé, et deux, tu finis toujours par déposer une pierre de plus sur ce qui a été créé avant toi…

Que voudrais-tu qu’on retienne de ton album? Je sais qu’on recherche surtout un bon beat, mais j’espère qu’on portera la même attention aux mots que j’ai écrits. J’ai créé un rapport très fort entre le texte et la musique. C’est un peu ma fierté!

 

P.S. Après notre rencontre, Ariane Moffatt est repartie comme elle est arrivée: filant en coup de vent sur sa Vespa noire… pour aller chercher ses enfants à la garderie. Elle est très cool, cette maman musicienne!