En avril dernier, le Québec tout entier est secoué en apprenant qu’Anick Lemay est atteinte du cancer du sein. Dans la première d’une série de chroniques publiées sur Urbania, la comédienne, qu’on a pu voir dans L’échappée, Toi & moi et Mauvais karma, se livre avec générosité. «Tu sais, la fameuse pub sur le cancer? Celle où tout le monde tombe sur le dos en apprenant le diagnostic? C’est exactement comme ça que ça se passe. Le choc est brutal. Surtout pour ceux qui t’aiment et qui tiennent à toi, parce que toi… Toi, t’es foudroyée.» Difficile d’être plus claire.

«Veux-tu un verre de chablis?», me lance Anick en m’invitant à m’asseoir. Détendue et chaleureuse, elle a ce don rare de mettre les gens à l’aise en quelques minutes. En prenant place sur son long divan, Anick s’empare du livre La bête, de David Goudreault, qui traînait là. D’un coup, ses yeux se remplissent d’étoiles. «Son hommage à l’émission En direct de l’univers était tellement merveilleux! Lorsqu’il m’a lu Anick nique la bête, un texte dérivé de sa trilogie… Ouf! Je ne m’attendais pas à une telle dose d’amour», avoue-t-elle, émue.

Pourtant, les vagues de soutien sont incessantes depuis l’annonce de la maladie. Entre les diverses apparitions acclamées, que ce soit en présentant un prix aux Gémeaux ou en recevant elle-même une récompense (en tant que personnalité la plus inspirante de 2018) à la soirée MAMMOUTH, difficile de douter de l’affection du public. «Je ne m’attendais vraiment pas à un tel intérêt! J’ai même fait les nouvelles. C’est fou! C’est clair que ma viande froide est prête (NDLR: rubrique nécrologique créée avant la mort d’une personnalité)», s’exclame-t-elle en riant.

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  Photographe: Leda & St.Jacques

Celle qui voulait contrôler son message en annonçant elle-même la maladie – «je ne voulais pas que ce soit raconté tout croche!» – s’est vite rendu compte que le cancer allait avoir plus d’impact sur sa vie qu’elle ne l’aurait d’abord cru. «Certaines choses qui avaient toute l’importance du monde pour moi sont devenues dérisoires. Et vice versa. Lorsque j’ai pris la plume pour mettre mes proches au courant – ça a d’ailleurs donné ma première chronique pour Urbania –, je me suis mise à nue. En recevant ce message, certains ont eu des réactions très égocentriques. J’ai pété une coche. Ce sont des personnes très intimes, que j’adorais, qui ont pris le bord. Il y a des défauts que je n’arrive plus à endurer aujourd’hui: le narcissisme, la lâcheté, l’égocentrisme…»

Un ménage triste, mais nécessaire. «Quand la vie frappe comme ça, l’énergie vient à manquer. Tu souffres tellement, autant mentalement que physiquement. En plus de l’opération, j’ai eu droit à la chimiothérapie et à la radiothérapie. C’est l’équivalent de remettre son corps à zéro. C’est dégueulasse. Je n’ai jamais eu aussi mal de ma vie. C’est comme si tout mon corps tirait, me boxait, me mordait par en dedans», explique-t-elle, l’air de chercher ses mots. «En fait, je pense que c’est impossible à décrire. Et sérieusement, tu ne veux pas vivre ça. Je te souhaite toute la santé du monde.» Heureusement, malgré les départs, Anick a pu compter sur l’apport d’un entourage fidèle, dont 21 alliées qu’elle appelle affectueusement ses fées. Entre les Julie Le Breton, Geneviève Brouillette, Chantal Fontaine et Annie Brocoli, la comédienne a découvert la signification de l’amitié vraie. «J’ai réalisé que j’avais des amis en or. Je n’ai rien eu à faire, jamais. À l’hôpital, j’ai souvent vu des gens seuls. C’est d’une tristesse infinie.»

Inutile de dire que cette expérience a changé sa perception de la vie. «C’est cliché à dire, mais il y a vraiment un avant et un après quand on a peur de mourir. C’est une cassure.» Qui est la nouvelle Anick, alors? «J’aime encore l’ancienne! Les changements se trouvent plus dans ma manière de voir la vie. Dans mon rapport aux autres. Par contre, je ne vais pas me mettre à la diète cétogène ou au yoga! (Rires) Être malade ne m’a pas donné envie de faire le tour du monde ou de faire des trucs que je n’avais jamais faits», lance la comédienne. Est-ce qu’on peut en conclure que sa vie la satisfaisait déjà? «Ah non, ça n’allait pas. De l’extérieur, j’avais l’air heureuse. Mais je ne l’étais pas du tout. Je n’avais plus de défi à ma job, je roulais dans la mélasse… Je m’emmerdais! J’aurais aimé ne pas avoir le cancer, mais ça m’a aidée à me retrouver. Je ne m’ennuierai plus jamais comme ça.»

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  Photographe: Leda & St.Jacques

DES IDÉES PLEIN LA TÊTE

Pas étonnant avec tous les projets qui l’attendent! «J’avais déjà commencé à placer des pions, mais ça n’avançait pas comme je le voulais. J’ai réalisé des courts métrages, mais personne ne voulait me donner des sous. Aujourd’hui, toutes les portes sont ouvertes. Si je n’avais pas publié sur Urbania, ça ne serait jamais arrivé. Personne n’ose me dire non et je sais que je tiens le gros bout du bâton.

C’est super! Mais je sais que je n’aurai pas toujours cette face-là! (Rires) À un moment donné, on va recommencer à me dire non. Je dois dire par contre que je suis plus sûre de moi. Quand je vais vouloir quelque chose, ça va être plus dur de lâcher le morceau. Il n’y a plus grand-chose qui me dérange ou me fait peur. Je sais que je ne ferai plus jamais mon métier, ou plutôt mes métiers, de la même manière. Je ne profiterai pas des gens, mais je vais profiter de ce que ça m’apporte. J’ai hâte de jouer, de travailler. Vive la maladie, maintenant tout le monde veut travailler avec moi!», blague t-elle, les yeux brillants.

Manifestement, la situation a été une forte source d’inspiration pour Anick Lemay. «Je vais commencer par publier un livre sur mon expérience», explique-t-elle en souriant. Tiré des chroniques publiées sur Urbania, ce recueil aura des airs de bible pour ceux qui apprennent qu’ils souffrent du cancer ou pour leur entourage. «En écrivant ce que je vivais, je me suis rendu compte que ça aidait certaines personnes. Quand tu ne sais pas ce qui t’attend, c’est effrayant. À travers mes écrits, on peut avoir une meilleure idée de ce qui va arriver.» Avant d’accepter de publier ses chroniques, Anick a posé deux conditions claires. «Je voulais que des copies soient distribuées gratuitement dans les centres d’oncologie à travers le Québec, et qu’une partie des profits soit versée à la Fondation québécoise du cancer.» Sans surprise, personne ne lui a dit non.

La comédienne se lancera aussi dans l’écriture et la réalisation d’un documentaire sur la mastectomie cette année. «J’ai envie de faire le film que j’aurais voulu voir pendant que j’avais le cancer. On a pu lire mes impressions. Maintenant, je veux montrer les étapes: l’opération, la chimiothérapie, la reconstruction mammaire, etc. Des femmes très généreuses ont accepté de m’ouvrir la porte de leur intimité. Tant mieux si ça peut en aider d’autres. Je ne veux plus que les gens soient dans le néant. Aujourd’hui, je reprends ma vie. Enfin! Je l’ai déjà dit et je le redis: je ne serai pas la porte-parole du cancer du sein. J’ai envie de réaliser ces deux projets, et ensuite, je vais mettre un point final à cette période. Je vais retourner à la fiction. Ma vie privée, vous n’y aurez plus accès.»

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  Photographe: Leda & St.Jacques

APRÈS

Il y a eu l’avant. Il y aura donc, heureusement, l’après. Comment Anick entrevoit-elle l’avenir aujourd’hui? «Déjà, je sais que je vais être de retour dans le rôle de Noémie dans L’échappée. Je suis super contente! C’est clair que le personnage va prendre une tout autre direction.» Et Anick ne se contentera pas de jouer. Elle espère tourner un court métrage sur une femme atteinte d’Alzheimer, jouée par Louise Latraverse, dont la demande à l’aide médicale à mourir est refusée. «C’est drôle, Louise avait d’abord dit non pour le rôle. Avant la chimiothérapie, mes amis m’ont organisé une grosse fête. Le party était pris, et elle m’a dit qu’elle allait le faire. Qu’elle ne pouvait plus me dire non. Je suis tellement contente. Louise, c’est ma mère!», explique Anick en riant. Si tout se déroule bien, l’artiste aimerait aussi écrire – et, pourquoi pas, jouer – l’adaptation d’Autopsie d’une femme plate de Marie-Renée Lavoie. «Je trouve ça très drôle, parce que j’ai déposé ce projet de long métrage avant d’avoir le cancer. Maintenant, je suis entourée de femmes plates! (Rires) Mais bref, c’est un personnage ennuyant qui va vivre toute une descente aux enfers. Je capote sur cette auteure et j’avais bien envie d’explorer son univers.»

Un avenir palpitant, à l’image d’Anick Lemay. «Je sais que je veux vivre, c’est déjà très grand. Je vais vendre ma maison, déménager. Retourner au gym parce que maintenant, je peux. Je veux écrire, beaucoup. Je tiens à être fiable pour les gens qui m’entourent. J’ai tellement pu compter sur des personnes extraordinaires pendant la maladie… Je ne pourrais plus jamais faire faux bond à qui que ce soit. Je souhaite bien sûr continuer à entretenir ma super belle relation avec ma fille de 12 ans, qui en a 16 dans sa tête! (Rires) J’ai réalisé qu’elle me ressemble beaucoup dans l’épreuve. Elle est très résiliente. On a un lien très symbiotique, et je vais en profiter tant que je peux! Et peut-être, qui sait, rencontrer quelqu’un. Une chose est certaine par contre: l’homme qui va entrer dans ma vie sera tout simplement extraordinaire. Rien de moins.» Et de toute évidence, la suite risque d’être sans compromis.