Les milléniaux transforment tout ce qu’ils touchent en tendance. Et quand on parle style de vie, la plantomanie s’affirme comme le nec plus tendance de notre intérieur, tant déco que psycho. Exit Snoopy et les factures de vétérinaire vertigineuses, allô le lis de la paix acheté 20 $ dans une grande surface et qui fleurit toute l’année – surtout que certains commerçants vont même jusqu’à rembourser ou remplacer sans frais notre compagnon végétal s’il passe de vie à trépas.

Même constat en matière de «thérapie du magasinage»: finie la contrition après une coûteuse séance dans notre boutique préférée, vive les immenses pépinières, oasis de verdure, d’eau et de soleil où il fait bon traîner et dépenser pour des miniplantes vendues quelques dollars à peine! En fait, on n’a même pas besoin d’y flamber sa paie puisque, selon les experts, le seul fait d’admirer une plante verte réduirait l’anxiété et inspirerait le calme.

Mais pourquoi cet engouement actuel pour les plantes vertes de nos grands-mères? Comme l’explique la psychothérapeute montréalaise et coach de pleine conscience Emily Moody, les milléniaux souffrent d’anxiété et de dépression plus que toute autre génération. «Ils sont constamment dans la performance, vivent sous le regard des médias sociaux, souffrent d’écoanxiété et ne savent plus s’ils doivent faire des enfants. Alors, ils cherchent une connexion, que ce soit la pleine conscience, le yoga ou… les plantes.» Elle fait remarquer en souriant: «Difficile de texter et d’arroser une plante en même temps.» Et contrairement à nos abonnés Instagram, une plante est un organisme vivant qui offre un contact intime sans jamais nous juger.

Selon plusieurs études américaines, le seul fait d’être entourées de plantes nous aiderait aussi à nous concentrer, à la maison comme au travail, grâce à l’effet calmant de la nature. Il semblerait même qu’un bain de nature peut améliorer de 20 % notre mémoire et notre capacité de concentration, une donnée percutante pour la génération TDA. Être à l’écoute de nos plantes nous rendrait aussi plus empathiques et compatissants en général, ce qui n’étonne pas Emily Moody: «On dit souvent que la pleine conscience et la compassion sont les deux ailes d’un oiseau. Elles sont nécessaires pour voler.»

Dernièrement, l’auteure dramatique et scénariste Gabrielle Chapdelaine a consacré un billet d’humeur, «Les plantes vont bien», à son vécu vert pour le magazine et plateforme numérique Beside. «Je possède un nombre “standard” de plantes, peut-être huit en tout, dont plusieurs cactus. Je les aime, alors on m’en offre à chaque anniversaire.» Elle nomme ses plantes avec l’humour d’une fine plume: Plante-frisée-weird, Plante-qui-devrait-être-suspendue-mais-qui-l’est-pas-parce-qu’elle-est-trop-grosse-et-que-je-sais-pas-comment-poser-un-crochet…

Elle aime que les plantes soient mystérieuses et nullement performantes: «On est tous dans la gestion de temps, et les plantes font un pied de nez à notre besoin d’efficacité: elles vont à leur rythme, elles ont leur personnalité. Tu peux changer une plante de place et, soudainement, elle va mieux. Tu peux la rempoter en croyant qu’elle va grandir plus vite et, au lieu de ça, elle meurt! Je ne sais pas comment ça fonctionne, une plante. C’est le fun aussi de ne pas posséder toutes les clés de quelque chose, de devoir apprendre par essais et erreurs.» Gabrielle a toutefois dû se résoudre à jeter un laurier malade. Il était couvert de pustules et ne tenait plus à la vie: «Ça vient te chercher, jeter une plante, mais, en même temps, quel soulagement de ne plus la voir mourante chaque matin! C’est épuisant, un échec qui dure.» Une de ses connaissances a d’ailleurs choisi plutôt de remplir son appartement de fausses plantes vertes. «Elle voyage beaucoup, elle n’a pas le pouce vert, c’était sa solution. Je trouve ça très drôle et très particulier… une oasis de fausses plantes: entre le kitsch et la joie.»

Mais, au fait, si on oublie l’ascendant méditatif, combien de plantes devrions-nous posséder dans la mesure du possible? Une étude de la NASA, publiée en 1989, a révélé que les plantes d’intérieur aident à purifier l’air ambiant, une découverte vite devenue la devise des horticulteurs. Les plantes communes utilisées dans cette recherche se trouvent aujourd’hui partout: pothos, dragonnier, figuier, lierre anglais, philodendron, etc. L’étude recommandait un ratio d’au moins une plante tous les 10 m2, ou une quinzaine de plantes minimum pour une maison moyenne ou un grand appartement.

Même, pour ne pas dire surtout, dans les médias sociaux, la plantomanie fleure la consécration. Quand tout récemment Jenna Marbles, l’une des youtubeuses les plus populaires du monde, a diffusé un plant tour de sa collection, sa vidéo a vite entraîné des millions de vues. Plus près de nous, la youtubeuse québécoise Cam Grande Brune a offert à ses followers un aperçu de sa jungle urbaine avoisinant la quarantaine de plantes. «Je montrais souvent mes nouvelles plantes en stories sur Instagram et à chaque fois, les gens me demandaient un plant tour. C’est encore assez niché, mais ceux qui aiment les végétaux en raffolent.» Au-delà de certaines variétés assez recherchées, comme son précieux Begonia maculata, elle trouve un charme aux spécimens courants achetés à l’épicerie du coin. C’est d’ailleurs là que son obsession végétale a vu le jour. «Mon Provigo a une section plantes fantastique, plus grosse même que chez le fleuriste. Alors, après avoir fait l’épicerie, je sortais toujours avec une ou deux plantes…» Au fil du temps, le précieux contact avec la terre s’est métamorphosé en doux moments de méditation pendant lesquels elle laisse planer son esprit. «L’hiver, les plantes d’appart font une grosse différence. Dehors, quand tout est gris, blanc, bouetteux, ça fait du bien de rentrer chez soi et de retrouver la nature dans sa maison.»

Bien sûr, les plantes ne sont pas le monopole des filles. Au Québec, Jonathan Lefrançois est sans doute le «plantfluenceur» de l’heure avec plus de 30 000 abonnés sur Instagram. Graphiste à la pige, il commercialise même une gamme de t-shirts portant des slogans comme Introverted but willing to discuss plants et Parle-moi de tes plantes. Il avoue que jouer dans la terre a fait plus qu’éveiller sa curiosité d’enfant: ce nouveau rapport avec la nature a fait naître une grande maturité chez lui. «Je me sens comme si j’avais été endormi une grande partie de ma vie. La nature m’a forcé à croître intérieurement.» L’obsession du collectionneur, il connaît: «Il y a toujours un thrill, un sentiment d’accomplissement quand tu mets la main sur un spécimen rare.» Le frisson d’exaltation s’émousse avec le temps, toutefois «Je me voyais acheter de nouvelles plantes très populaires juste pour les prendre en photo et susciter les likes, comme lors des #monsteramonday. À un moment donné, je me suis demandé si c’était sain, si ma passion était nourrie par autre chose, peut-être.» De plus en plus, il promeut le troc. Il vient d’ailleurs de cofonder le groupe Facebook Plantes d’intérieur Montreal Houseplants qui compte déjà plus de 2500 membres avides d’échanger boutures et conseils. «Les gens sont super généreux dans la communauté verte. Avec le temps, je me suis fait de bons amis… au point qu’on part ensemble au chalet!»

Harmonie @ la Plantzy

Première agence végétale lancée en ligne voilà cinqans, Plantzy a conçu un modèle d’affaires de plus en plus souvent imité, selon son copropriétaire William Plamondon-Huard: «Comme notre clientèle était jeune, on a décidé de créer une plateforme pour commander en ligne. Mais les clients ne nous connaissaient pas, et ils voulaient aussi voir les plantes, les toucher et tout. Alors, on a organisé des portes ouvertes à l’entrepôt et des pop-ups ailleurs. Une annonce sur les médias sociaux, et ça lève.» À l’image des plantomanes qui propulsent l’actuelle tendance, «notre clientèle se compose majoritairement de femmes de 18 à 35 ans, qui ont souvent fait mourir leurs premières plantes avant d’avoir la piqûre et de vouloir s’entourer d’espèces toujours plus funky

Bonnes adresses

Pour dénicher des spécimens rares, mieux vaut nous abonner aux boutiques et pépinières sur Instagram et Facebook, puisque les variétés annoncées s’écoulent souvent en 30 minutes top chrono. Pour notre paix intérieure, on choisit plutôt de traînasser dans des commerces, comme Evasia, Binette et filles Fleuriste, Vertuose, à Montréal; Cactus Fleuri, à Sainte-Madeleine; Planterra, à Dorval. Ou alors, on opte pour une boutique en ligne: plantzy.com; almaplants.com; botanistaplants.ca; junglefleur.com; cactusenligne.ca; nstropicals.com (à Vancouver).