L’an dernier, Brigitte Cardinal a reçu sur le site professionnel LinkedIn une invitation au Festival international du startup, une occasion de réseautage pour les fondateurs de start-up, ces entreprises en démarrage dans le domaine des technologies.

La jeune femme de 36 ans, qui avait lancé quelques mois plus tôt Bridge4events, un portail répertoriant des ressources pour les planificateurs d’évènements, y a vu l’occasion de trouver du financement pour sa compagnie. «Ça avait l’air pas mal geek, mais j’ai décidé d’y aller quand même», raconte l’énergique brunette.

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C’est ainsi que Brigitte s’est retrouvée à faire un pitch devant deux investisseurs… dans un ascenseur! «Plusieurs défis permettaient d’évaluer le potentiel de notre start-up. Celui de l’ascenseur m’apparaissait vraiment original! J’avais 60 secondes – le temps que l’ascenseur descende d’un étage puis remonte – pour présenter mon projet. Je suis quelqu’un qui parle beaucoup… Résumer le concept de ma compagnie en seulement une minute, ce n’était pas évident!»

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À sa grande surprise, la jeune entrepreneure a remporté ce défi. Son prix: refaire sa présentation, cette fois devant une assemblée de 1200 personnes, incluant d’importants investisseurs. Un auditoire composé presque exclusivement d’hommes. «Je ne m’attendais jamais à gagner: d’abord parce que je suis une fille, ensuite parce que je ne suis pas une geek…»

Bienvenue dans le monde des start-up, un milieu en pleine ébullition! Les jeunes entrepreneurs qui s’y lancent en affaires rêvent de devenir le prochain Mark Zuckerberg… Ou, du moins, de concevoir une application qui se hissera au sommet des ventes de l’App Store! Le hic? Comme l’a remarqué Brigitte, les filles qui sautent dans l’arène de la technologie sont peu nombreuses.

Photo: Brigitte Cardinal, fondatrice de Bridge4events

C’est également le constat de Stephanie Liverani, cofondatrice du site Ooomf, qui met en contact les compagnies désireuses de lancer des produits Web ou des applications et ceux qui les conçoivent.

En 2012, ses trois associés et elle ont participé à FounderFuel, un programme intensif de trois mois pour les entreprises en démarrage, où ils ont pu suivre des ateliers et bénéficier des précieux conseils de mentors. Si la Montréalaise de 24 ans a adoré cette expérience, qui a permis à sa compagnie de décrocher un important financement, elle a été plutôt étonnée de voir uniquement cinq filles parmi la trentaine de participants. «C’est dommage, car rien ne justifie l’absence de femmes en technologies.»

Contrairement à ses associés, Stephanie n’avait aucune expérience en informatique au moment de se lancer en affaires; elle venait plutôt de décrocher un diplôme en actuariat. La jeune femme croit que si les gars possèdent une longueur d’avance en informatique, c’est parce qu’ils s’y initient dès l’adolescence. «Je n’ai jamais été geek, mais depuis que je travaille pour une start-up, j’ai envie d’apprendre à programmer! Si on enseignait la programmation à l’école, je suis certaine que beaucoup de filles feraient carrière dans ce domaine.»

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Stephanie a peut-être raison. Bien que la plupart des femmes ne connaissent pas le langage HTML, elles sont loin de bouder les technologies. Une étude menée en 2010 par la firme comScore, qui analyse le comportement des internautes à l’échelle mondiale, a montré qu’elles passaient en moyenne davantage de temps que les hommes sur Internet et qu’elles étaient plus présentes dans les médias sociaux.

Aux États-Unis, elles seraient même responsables de 61% des transactions faites en ligne! Et pourtant, la presque totalité des sites sur lesquels elles naviguent et des applications qu’elles utilisent quotidiennement ont été imaginés par des gars… Les filles n’auraient-elles pas une meilleure idée de ce qui pourrait leur plaire? Si oui, pourquoi alors sont-elles si peu nombreuses à saisir cette occasion d’affaires?

Photo: Stephanie Liverani, cofondatrice de Ooomf

La seule fille du bureau

Tara Hunt cherchait désespérément la parfaite jupe noire lorsqu’elle a eu l’idée de son entreprise, Buyosphere. Cette communauté en ligne permet aux fanas de mode de s’entraider afin de dénicher le morceau qui manque à leur garde-robe. Un concept auquel, justement, aucun gars n’aurait pensé…

Contrairement à Brigitte et à Stephanie, cette Montréalaise d’adoption est une vraie geek. À l’âge où ses copines jouaient encore à la poupée, elle pianotait déjà sur l’ordinateur de son père. L’entrepreneure de 40 ans n’est toutefois pas surprise que les femmes soient intimidées par le monde des technologies. Elle-même a eu un choc lorsqu’elle s’est inscrite en informatique à l’université de Calgary en 1995.

«J’étais la seule fille de mon programme, à part une autre étudiante qui ressemblait à un garçon. Je suis une vraie fille, qui aime la mode… Disons que je ne me sentais pas trop dans mon élément!» Elle a finalement opté pour des études en communications.

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N’empêche que lorsqu’une start-up de Silicon Valley, en Californie, l’a approchée, Tara n’a pas hésité à faire le grand saut, même si ça impliquait d’être la seule femme à travailler pour cette compagnie. C’était en 2005 et, pour la première fois depuis l’éclatement de la bulle technologique, les investisseurs s’enthousiasmaient pour les compagnies du Web, encouragés par le succès phénoménal du réseau social MySpace.

«J’étais super excitée parce que j’avais beaucoup lu sur les start-up et je voulais vraiment faire partie de ce monde», raconte la spécialiste des médias sociaux, auteure du bestseller The Power of Social Networking.

Tara se rappelle avoir dû mettre les bouchées doubles pour se faire accepter de ses collègues et gagner leur respect. Cette fonceuse, qui a été nommée une des femmes à surveiller en 2013 par le magazine Entrepreneur, assure toutefois que le milieu des technologies a beaucoup changé. Selon elle, les filles qui aimeraient y faire carrière aujourd’hui ne seront pas forcément entourées de la distribution de The Big Bang Theory!

Photo: Tara Hunt, fondatrice de Buyosphere

«Personnellement, ça ne m’a jamais dérangée d’être la seule fille dans une salle de conférence. Mais ce n’est pas le cas de la majorité des femmes», lance quant à elle Liesl Barrell.

Tout comme Tara, cette Montréalaise de 32 ans a trimé dur pour se hisser jusqu’au poste de directrice marketing numérique qu’elle occupe maintenant pour l’agence Web w.illi.am. Elle croit toutefois qu’il y a un danger à mettre l’accent sur la quasi-absence de femmes en technologies. «On fait peur à certaines d’entre elles en leur donnant l’impression qu’elles devront se battre si elles choisissent de travailler dans ce secteur.»

Liesl est d’ailleurs persuadée que ce n’est qu’une question de temps avant que les choses évoluent. «Aujourd’hui, les femmes sont présentes en grand nombre dans des professions comme le droit ou la médecine, mais ce n’était pas le cas il y a 30 ans. La question est de savoir comment faire en sorte que le même changement s’opère plus rapidement dans l’industrie des technologies.»

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Pour elle, une partie de la solution réside dans des initiatives comme Montréal Girl Geeks, un organisme au sein duquel elle s’implique depuis trois ans. Avec deux autres mordues de techno, elle organise des conférences mensuelles sur divers enjeux de l’industrie en partant du principe que les femmes sont plus susceptibles de prendre la parole lorsqu’elles ne sont pas minoritaires. «Certaines de nos conférencières n’ont jamais fait de discours en public auparavant. Être sous les projecteurs et parler de ce qui les passionne leur permet non seulement de gagner de la confiance, mais aussi d’inspirer les autres», dit-elle avec enthousiasme.

La clé: le mentorat

Au cours des dernières années, le journaliste et chercheur Vivek Wadhwa a interviewé de nombreuses femmes travaillant à Silicon Valley, le royaume des start-up où sont établis les sièges sociaux de Google, de Yahoo! et de Facebook. Son constat: elles sont systématiquement mises de côté. «Elles sont plus réalistes et moins arrogantes que les hommes, ce qui n’est pas très bien vu ici, où seules les compagnies qui visent un chiffre d’affaires de plusieurs millions de dollars sont prises au sérieux. Elles deviennent donc frustrées de travailler dans ce climat très compétitif et abandonnent en milieu de carrière plutôt que de grimper les échelons.»

Photo: Brigitte Cardinal, fondatrice de Bridge4events

Sans surprise, la Kauffman Foundation nous apprend que seulement 3% des entreprises de Silicon Valley auraient été fondées par une femme.

Vivek Wadhwa, qui est également vice-président en recherche et innovation pour la Singularity University – un organisme qui mise sur les technologies pour trouver des solutions aux enjeux de notre époque -, compte bien augmenter ce pourcentage. Pour en arriver là, il ne pense pas qu’on doive culpabiliser les gens de cette industrie et leur demander de changer leur façon de faire.

À l’instar de Sheryl Sandberg, directrice générale de Facebook et auteure du populaire essai En avant toutes, il croit plutôt qu’il revient aux femmes de prendre leur place, notamment en s’inspirant de l’expérience de celles qui les ont précédées. C’est la raison pour laquelle il a mis sur pied Innovating Women, un projet ambitieux qui, grâce au Web, a permis de recueillir les témoignages d’une centaine de femmes ayant réussi dans le domaine des sciences et des technologies. Ceux-ci seront rendus publics dès octobre sous la forme d’un livre et, espère-t-il, toucheront suffisamment la jeune génération pour qu’elle soit tentée de faire carrière dans ces spécialités.

Anna Goodson croit elle aussi au pouvoir du mentorat. Fondatrice d’une agence d’illustrateurs d’envergure internationale, elle aurait bien aimé bénéficier du soutien d’une mentore lorsqu’elle a lancé sa compagnie il y a 20 ans. En 2011, en assistant au Startup Weekend Montréal, elle a constaté à quel point il manquait de modèles féminins et s’est portée volontaire pour occuper ce rôle.

«J’ai proposé spontanément de rencontrer les filles qui étaient présentes. Je leur ai parlé de mon expérience en tant qu’entrepreneure. Je voulais leur dire que, même si lancer une entreprise exige beaucoup de temps et d’énergie, il était possible de bien en vivre et même de fonder une famille.» Depuis, Anna Goodson n’a pas hésité à prendre sous son aile quelques fondatrices de start-up et a même investi dans la compagnie de Stephanie Liverani, qu’elle a rencontrée à FounderFuel.

Selon elle, être la seule femme dans un milieu d’hommes peut aussi se révéler un avantage. «Si ton idée est bonne, tout le monde va se souvenir de toi!» dit-elle en riant.

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Et ce ne serait pas la seule bonne raison pour se lancer en affaires… «Plusieurs études ont démontré que les start-up fondées par des femmes dépensent moins de capital, sont plus efficaces et évitent davantage les risques», affirme Vivek Wadhwa.

Il semble aussi que les équipes de travail composées de représentants des deux sexes soient plus performantes parce qu’elles tiennent compte de visions différentes. «Dès qu’il y a de la diversité, il y a de l’innovation! Actuellement, en limitant l’accès des femmes aux professions en technologies, nous ralentissons l’innovation dans ce domaine. Ce n’est bon ni pour les entreprises ni pour la société. Il est essentiel que les femmes prennent enfin la place qui leur revient.»

Alors, les filles, qu’est-ce qu’on attend pour tenter notre chance?

Photo: Stephanie Liverani, cofondatrice de Ooomf

Former la relève!

C’est sa passion pour les jeux vidéos qui a amené Stéphanie Harvey à travailler comme conceptrice pour le bureau montréalais d’Ubisoft. Aujourd’hui, la jeune femme de 26 ans, quadruple championne du monde de jeux vidéos, aimerait bien inspirer les adolescentes qui s’apprêtent, à leur tour, à faire un choix de carrière. C’est pourquoi elle a accepté, l’an dernier, d’être porte-parole pour Les filles et les sciences, un duo électrisant, un évènement qui se tient tous les mois de février et qui vise à faire connaître les métiers en sciences et technologies aux étudiantes des 2e et 3e secondaire.

Il ne s’agit pas de la seule initiative pour encourager les filles à s’intéresser à ces secteurs. Au printemps, la compagnie Blackberry annonçait le lancement d’une bourse d’études de quatre ans pour les filles désirant poursuivre des études collégiales ou universitaires en sciences, technologies, génie ou mathématiques (STGM). Quant à l’organisme Actua, il organise des camps de jour et des clubs pour initier les fillettes aux STGM. Aucun doute que la nouvelle génération comptera de nombreuses «geekettes»!

Start-up 101

Pas besoin d’être une geek pour fonder une start-up! Selon les experts, il suffit d’avoir une bonne idée, de savoir bien s’entourer et, surtout, de parvenir à convaincre des investisseurs. Voici trois évènements qui pourraient vous aider à lancer votre entreprise:

Les 20 start-up qui parviennent à participer à une des deux éditions annuelles de Founderfuel ont toutes les chances de voir leur entreprise décoller! Ce camp d’entraînement de 12 semaines permet aux participants de développer leur plan d’affaires en bénéficiant des conseils d’experts, en plus de compter sur une première mise de fonds de 50 000

#8230; Rien que ça!

Chaque mois de juillet, le Festival international de start up établit ses campements dans le Vieux-Montréal et offre une foule d’activités: concours permettant de remporter entre autres un financement de 70 000$, conférences avec des sommités de l’industrie, speed dating avec des mentors… et même la possibilité de présenter son concept devant un comité de grands-mamans (apparemment, les meilleurs pitch sont ceux qui sont compréhensibles même pour les technonouilles)!

Vous n’avez aucune entreprise, mais des idées à revendre? Le Startup weekend Montréal pourrait bien vous faire passer à l’étape supérieure! En l’espace de 54 heures, vous trouverez un concept de génie, ferez équipe avec des gens aussi créatifs que vous, imaginerez des moyens pour concrétiser votre projet de start-up et le soumettrez à un auditoire d’investisseurs. L’équivalent de passer à l’émission Dans l’oeil du dragon… une dose d’adrénaline en plus!

Photo: Tara Hunt, fondatrice de Buyosphere

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