Émilie, 31 ans, gère avec doigté les finances de sa petite entreprise de communication et administre à elle seule le budget de sa famille. «Ça me rassure de tenir les cordons de la bourse parce que mon mari est dépensier.» Par contre, elle avoue n’avoir aucun intérêt pour la planification de ses finances personnelles. «Je souffre d’un déficit d’attention chaque fois que je m’assois avec mon conseiller financier, lance-t-elle en rigolant. J’ai tendance à accepter tout ce qu’il me propose, ce que je ne devrais pas faire.» Comme Émilie, nous sommes plusieurs à entretenir une relation paradoxale avec l’argent. Ainsi, une étude du Boston Consulting Group signale que les femmes détiennent le tiers des richesses en Amérique du Nord; et pourtant, un sondage de la compagnie d’assurance Allianz Life révèle que la moitié d’entre elles ont peur de se retrouver à la rue. Cette inquiétude ne les pousse toutefois pas à préparer leur avenir. Un autre sondage mené par Desjardins Gestion du patrimoine révèle par exemple que seulement 15 % des Québécoises possèdent un plan financier écrit.

Leur ambivalence demeure un mystère pour Jo-Anne Carette, présidente fondatrice de Finances au féminin, un cabinet dont la mission est d’informer les femmes sur les rouages de la planification financière. «Les femmes n’ont jamais été aussi riches, aussi instruites et, 
pourtant, l’argent ne semble pas les intéresser, dit-elle, étonnée. Quant à
 celles qui gagnent un gros salaire, elles refusent d’en discuter. C’est tabou!»

Les femmes qui osent parler de fric sont en effet plutôt rares. Sofía Vergara, vedette de la télésérie américaine Modern Family, en a d’ailleurs choqué plusieurs quand elle a révélé en 2013 qu’elle adore faire de l’argent. «J’aime les affaires et j’économise plus que je dépense. J’investis et je planifie mon avenir», a déclaré la sublime Colombienne, dont la fortune s’élève à 37 millions de dollars, selon le magazine Forbes.

La majorité des femmes n’ont évidemment pas un compte bancaire aussi bien garni que celui de l’actrice, mais elles auraient tout intérêt à suivre son exemple et à faire fructifier leurs économies. «On estime qu’une femme qui travaille de 19 à 60 ans – incluant une pause de cinq ans pour avoir des enfants – gagnera en moyenne plus de 1,5 million de dollars au cours de sa vie, affirme Jo-Anne Carette. C’est beaucoup!»

La famille d’abord

Mais où passe tout cet argent? Dans des achats pour la maisonnée, note Hélène Belleau, sociologue et professeure à l’Institut national de la recherche scientifique: «Quand le salaire des femmes qui vivent en couple augmente, les dépenses pour la famille s’accroissent aussi. Mais quand c’est le salaire des hommes qui augmente, ce sont les dépenses liées au transport qui grimpent… et je ne parle pas ici de billets d’autobus, mais de voitures!»

Peut-on en déduire que si les femmes n’osent pas investir à la Bourse leur salaire durement gagné, c’est par crainte d’en faire payer le prix à leur famille? Peut-être. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, les épouses ne pouvaient ni ouvrir un compte de banque à leur nom ni signer un chèque sans la signature de leur mari. Elles étaient par contre responsables du budget familial. «Les femmes ont appris à être économes et les hommes, à devenir des pourvoyeurs», résume Hélène Belleau. Des rôles bien ancrés dans nos mœurs: même en 2015, la gestion des dépenses courantes est perçue comme une tâche féminine, tandis que les décisions liées aux placements sont une affaire d’homme. «Nous avons donc peu de modèles de femmes investisseuses pour nous inspirer, constate la sociologue. Je pense que ça changera avec la prochaine génération.»

PLUS: 7 astuces pour mieux gérer son budget

Espérons-le, car la situation financière des femmes demeure plus précaire que celle des hommes. Comme leur espérance de vie est plus longue et que leurs revenus sont moins élevés, elles ont avantage à se constituer un pécule pour leurs vieux jours. Elles gagneraient aussi à s’initier le plus tôt possible à la finance: selon une étude menée par l’Université de Long Island, 90 % des femmes auront à gérer leur capital seules à un moment de leur vie.

UNE CLIENTÈLE EN OR

À toutes celles qui ne se sentent pas assez équipées pour s’y retrouver parmi les sigles financiers (REER, REEE, REEI, CELI…), voici de quoi les réconforter: «Bien des hommes aussi trouvent les finances compliquées. Ils sont tout simplement trop orgueilleux pour l’avouer!» lance Julie Barker-Merz, présidente de BMO Ligne d’action.

Pour apprivoiser cette bête noire qu’est l’argent, les femmes doivent se faire confiance et ne pas se gêner pour interroger les experts. «Il n’y a pas de questions stupides quand on parle de placements, rappelle Jo-Anne Carette. Et le conseiller impatient qui ne veut pas répondre à sa cliente ne mérite pas de gérer ses économies.»

À ce chapitre, les institutions financières ont du chemin à faire. La majorité de leurs conseillers financiers sont des hommes, qui ne parviennent pas toujours à cerner les besoins de leurs clientes. Chez BMO, par exemple, on a donc décidé de leur apprendre à mieux communiquer avec la gent féminine. «Les conseillers doivent consacrer plus de temps aux femmes, estime Mme Barker-Merz. Elles n’ont pas l’habitude de signer quoi que ce soit à la fin d’une première rencontre. Elles reviendront deux ou trois fois. Au bout du compte, elles sont plus prudentes dans leurs décisions, mais elles savent prendre de bons risques.»

Est-ce à dire que les femmes sont de meilleures investisseuses que ces messieurs? Sans l’ombre d’un doute, répond Mme Barker-Merz: «À long terme, leur portefeuille est plus rentable que celui des hommes parce que leurs décisions de placement sont longuement mûries et qu’elles font moins de transactions.» Qu’on se le tienne pour dit: une formidable financière sommeille en chacune de nous. Il ne reste plus maintenant qu’à la réveiller!  

À DÉCOUVRIR:
Carrière: Isabelle Hudon, femme d’affaires exemplaire
Ces femmes qui gagnent plus que leur chum…
Choisir de travailler à temps partiel