Une croyance populaire veut qu’à force de faire semblant, on finit par réussir. Mais si après avoir décroché le poste de ses rêves, on se trouve prise par l’angoisse persistante de se voir démasquée par le patron, c’est qu’on souffre probablement du syndrome de l’imposteur.

Ce terme, ce sont les psychologues américaines Pauline Clance et Suzanne Imes qui l’ont créé en 1978, après que certains de leurs meilleurs étudiants de niveau universitaire leur eurent confié se considérer comme n’étant pas à leur place parce qu’ils s’estimaient moins intelligents que leurs pairs.

Depuis, le phénomène a fait l’objet de nombreuses recherches dans de multiples domaines. Par exemple, lors d’une étude menée auprès de 185 résidents en médecine et publiée en 2004 dans le Family Medicine Journal, un tiers des participants ont indiqué non seulement se sentir moins compétents que ce que les gens semblaient penser, mais aussi qu’une fois leur résidence terminée, ils ne pourraient probablement pas pratiquer la médecine. Et la proportion grimpe à 41% si on cible uniquement les femmes.

Une recherche plus récente effectuée par les sociologues américaines Jade Avelis et Jessica Collett visait à déterminer pourquoi tant de femmes ayant fait des études universitaires, plutôt que de viser l’emploi gratifiant auquel elles aspiraient, se contentaient de postes moins exigeants. La raison principale, relatée dans un document présenté à la conférence de l’American Sociology Association de 2013, a suscité bien de la surprise: «le sentiment d’imposture».

Le dénominateur commun de toutes ces études? Des personnes – principalement des femmes – très compétentes et au parcours marqué par le succès qui avouent un sentiment d’imposture. Et même si elle concède que le syndrome peut aussi affecter des hommes, Valerie Young, auteure de l’ouvrage The Secret Thoughts of Successful Women: Why Capable People Suffer From the Impostor Syndrome and How to Thrive in Spite of It, avance que cette impression d’imposture au travail ressort davantage chez les femmes en partie parce que celles-ci ont tendance à intérioriser leurs échecs tandis que les hommes extériorisent leurs déceptions.

«Les femmes seront portées à croire qu’elles ont échoué au test de mathématiques parce qu’elles ne possèdent pas le « gène » nécessaire, alors que les hommes vont plutôt attribuer cet échec au peu de temps alloué par le professeur pour étudier», dit Valerie Young. L’auteure souligne en outre que l’impression d’incompétence peut parfois venir du fait que les femmes demeurent, encore aujourd’hui, jugées différemment des hommes. En guise d’exemple, elle cite le secteur suédois de la recherche, où les femmes doivent se montrer 2,5 fois plus productives que leurs équivalents masculins si elles souhaitent obtenir des subventions.

PLUS: Travail: des conseils de pro pour être au top! 

Le sentiment d’insécurité est encore plus marqué chez les femmes membres de minorités visibles. Joyce Roché en sait quelque chose. Cette Africaine-Américaine issue de la campagne louisianaise a passé 20 années de sa carrière dans l’industrie à prédominance masculine du marketing à ne pas se sentir à sa place même si elle détenait un MBA de l’Université Columbia. «Chaque promotion s’accompagnait d’un bref élan de fierté, qui se voyait aussitôt chassé par cette petite voix dans ma tête qui me disait: « Tu verras, cette fois, tu vas te planter; ils vont bien voir que tu n’es pas à la hauteur »», confie-t-elle.

Son expérience l’a menée à publier récemment The Empress Has No Clothes: Conquering Self-Doubt to Embrace Success, un livre dans lequel elle relate ses rencontres avec des femmes propriétaires ou gestionnaires d’entreprises – dont la designer de mode Eileen Fisher – qui, chacune, ont partagé avec elle leur histoire d’«imposture».

Joyce Roché raconte qu’auparavant, de peur de se «trahir» en lançant une idée saugrenue, elle préférait demeurer silencieuse lors de réunions. Puis, un jour, elle a trouvé un moyen de museler sa chuchoteuse intérieure. «J’ai décidé de faire sortir ce que je ressentais en couchant mes pensées sur papier. Plus tard, en relisant ce que j’avais écrit, je me demandais d’où tout ça pouvait bien venir tellement ça n’avait aucun sens. Ça m’a amenée combattre ces sentiments.»

imposteur-300.jpgUn autre truc qui l’a aidée à gagner en assurance: la tenue d’un journal de ses réalisations. En lui rappelant les raisons pour lesquelles on lui avait confié tel projet ambitieux, cet aide-mémoire s’est révélé bien pratique pour bâillonner l’importune petite voix. «Il faut apprendre à reconnaître les signes d’appréciation, à accepter les compliments», dit Joyce Roché (qui admet cependant parfois retomber dans le piège du complexe d’imposture).

Si Joyce Roché a atteint sa majorité en pleine période de dénonciation du «plafond de verre», son message n’en touche pas moins des femmes plus jeunes. Et ce, même si cela peut paraître étrange chez une génération qui, enfant, était louangée à l’excès par des parents surprotecteurs et récompensée d’un trophée par joueur pour une simple participation à une partie de soccer junior. En fait, cela pourrait faire plus de mal que de bien.

Joyce Roché se rappelle une conversation avec une étudiante dans laquelle la jeune femme, élevée par des parents qui louaient sans cesse ses talents – et, du coup, excellait dans ses études -, lui avait confié avoir éprouvé un choc en entrant à l’université. «Elle s’est rendu compte qu’elle n’était pas unique, qu’il existait beaucoup d’autres « meilleurs ». Ça l’a menée à totalement douter d’elle.» («Dans ce genre de situation, je dis toujours à la personne: « Tu n’es pas spéciale, commente en souriant Valerie Young. Des gens parmi les plus brillants et talentueux de la planète se sentent comme ça. Alors, pourquoi pas toi? »»)

Les recherches de Joyce Roché ont fait ressortir que chez les femmes dans la trentaine cumulant plusieurs années d’expérience professionnelle, le syndrome de l’imposteur relève plus de l’anxiété de performance que de l’angoisse d’être le seul élément féminin d’un groupe. «Lorsque le nombre de postes est limité, les gens se sentent en perpétuelle compétition avec les autres», commente-t-elle.

PLUS: Faut-il avoir honte d’être ambitieuse?

L’entrepreneure canadienne Arlene Dickinson, l’une des juges à l’émission Dragon’s Den, diffusée à CBC, connaît bien cette impression de compétition – de même que le syndrome de l’imposteur, pour en avoir souffert plus jeune. Son truc pour garder le contrôle? «Souvent, ce sentiment se manifeste parce que vous approchez de la limite de votre zone de confort. Persister dans vos efforts pour la franchir vous fera emprunter des chemins que vous n’auriez jamais cru explorer. Ce qui signifie non pas que vous échouerez, mais que vous êtes une battante et que vous vous retrouvez dans cette situation parce que vous le méritez.»

En bref: vous vous croyez imposteur? Alors, vous ne l’êtes probablement pas.

Quel type d’«imposteur» êtes-vous? Et des conseils de Valerie Young pour rectifier le tir.

La perfectionniste

Attitude problématique: Crie au désastre si le rapport contient ne serait-ce qu’une seule faute de frappe.

Conseil: «Soyez fière de votre ardeur au travail, mais demeurez consciente que la perfection n’est pas de ce monde.»

L’experte

Attitude problématique: Croit que si elle était vraiment intelligente, elle connaîtrait la réponse à cette question.

Conseil: «Acceptez de ne pas tout savoir sur tout. Sinon, à quoi servirait Wikipédia?»

L’indépendante

Attitude problématique: Pense que si elle doit demander de l’aide, cela signifie qu’elle baisse les bras.

Conseil: «Enrichissez vos relations en permettant aux autres de vous aider, ne serait-ce qu’un peu.»

La surdouée

Attitude problématique: S’estime nulle si elle ne parvient pas à maitriser ce logiciel sans effort, comme il se devrait.

Conseil: «Considérez votre facilité d’apprentissage comme un cadeau, et comprenez que certaines choses nécessitent de la pratique.»

PLUS: Le perfectionnisme, un vrai défaut!

Gagner de l’assurance en trois étapes simples

L’auteure Valerie Young nous fait part de sa stratégie « à appliquer dès aujourd’hui » pour combattre le manque de confiance en soi.

1. Analyser l’origine du problème Valerie Young recommande tout d’abord de dresser un portrait de sa situation actuelle (étudiante à l’université, femme travaillant dans le secteur scientifique, etc.) dans lequel on reste indulgente par rapport à soi-même. Il faut reconnaître que la pression ressentie est une réaction naturelle au stress. «Je veux que les gens pensent: « C’est tout à fait normal de se sentir ainsi. »»

2. Prendre du recul L’auteure conseille aux «imposteurs» de délaisser leur approche de l’échec basée sur la honte. «Dites-vous: « N’ai-je pas droit à l’erreur? J’ai fait de mon mieux. »»

3. Rester vigilante Le syndrome d’imposture est tenace, met en garde Valerie Young. Pour le tenir à distance, on prend chaque jour le temps de se rappeler qu’on a de la valeur et qu’on mérite ce qu’on a récolté par notre labeur, et ce, même si on n’y croit pas. «Projetez-vous le film de la vie à laquelle vous aspirez. Lequel, entre Rocky ou un film catastrophe, vous donnerait envie de monter sur le podium?»  

À DÉCOUVRIR:
5 trucs pour se faire remarquer d’un employeur
Psycho: oser la vulnérabilité
Carrière: c’est le temps de s’affirmer