«Mais puisqu’on vous dit que ça ne fonctionne pas! Et vous persistez à affirmer le contraire!» La réplique fuse de la bouche de Jean-Louis, 53 ans, dont 30 à se dévouer corps et âme à l’éducation des enfants au primaire. Ce jour-là, il est exaspéré par l’attitude d’une conseillère pédagogique qui, dit-il, refuse de voir les difficultés auxquelles se heurtent les enseignants dans la foulée de la réforme pédagogique.

Quelques mois plus tard, Jean-Louis est en arrêt de travail. Ce n’est pas la faute de la conseillère pédagogique. Plutôt une accumulation de facteurs: classes surpeuplées, élèves en difficulté à intégrer coûte que coûte, tâche de plus en plus lourde, poids des années. La goutte qui a fait déborder le vase: l’arrivée, dans la classe de Jean-Yves, de deux élèves trisomiques, cas lourds qu’il a l’impression de devoir gérer tout seul. Son expérience, son dynamisme naturel, son amour du métier n’y changent rien. Jean-Yves a l’impression de perdre le contrôle de la situation (premier signe de stress aigu, selon les chercheurs). Dans le bureau, le médecin insiste: «On est à Pâques. Essayez au moins de terminer l’année scolaire.» Impossible. Jean-Louis est à bout de forces.

Burnout ou dépression?

Épuisement professionnel. Tel est le nom donné au burnout en français. Pourtant, dans le dossier du patient, presque tous les médecins inscrivent plutôt «dépression» ou «troubles d’adaptation».

Le burnout n’est en effet pas reconnu dans le manuel médical des troubles mentaux utilisé par les professionnels de la santé. Il fait partie de la catégorie des troubles d’adaptation. Directrice du Centre d’études sur le stress humain (CESH) au Centre de recherche Fernand-Seguin, à Montréal, la Dre Sonia Lupien n’est pas d’accord avec ce classement. «La plupart des médecins, dit-elle, vont refuser de poser le diagnostic de burnout, parce qu’il est trop flou et s’apparente trop à celui de dépression. Mais la catégorie "troubles d’adaptation" est également un fourretout. D’ailleurs, que voulez-vous que fasse un médecin qui a huit minutes pour établir un diagnostic?»

 

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Il n’y a pas de statistiques précises sur le burnout. On sait néanmoins qu’au Québec les réclamations d’assurance pour maladie mentale augmentent constamment. Ainsi, au cours des dernières années, 42 % des indemnités d’assurance salaire versées par Desjardins Sécurité financière l’ont été pour des problèmes psychologiques. Il y a 10 ans, la proportion était de 30 %, ajoute Lucie Cormier, directrice des règlements d’assurance pour cette compagnie. Autre indice de l’étendue du phénomène: selon une enquête médicale menée en 2005 à partir de données de Statistique Canada, 26 % des Québécois affirment vivre beaucoup de stress au travail. Or, les chercheurs  de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, affilié à l’Université McGill et à l’Organisation mondiale de la santé, sont formels: le stress est toujours en cause, «à 100 %», dans les cas de burnout.

Stress, burnout, dépression, fatigue chronique… Ces mots ne sont pas interchangeables. Et même si leurs symptômes se ressemblent, chacun de ces désordres mentaux a des causes et des remèdes spécifiques. Le traitement de la dépression, par exemple, s’accompagne généralement de la prise d’antidépresseurs, alors que ce n’est pas toujours le cas dans celui du burnout. Mais comment s’y retrouver si, par facilité, le commun des mortels appelle «burnout» ce que, par commodité, les médecins et les assureurs appellent «dépression»?

 

Une fusée qui s’écrase

Le mot burnout est apparu en 1974, et a été emprunté aux industries aérospatiale et électronique. Le terme désignait une surcharge de tension, comme l’expliquent le Dr Patrick Mesters et Suzanne Peters dans Vaincre l’épuisement professionnel (Robert Laffont). Le poste de contrôle n’a pas reçu les signaux de surchauffe des circuits. La fusée a brûlé tout son carburant. Elle va s’écraser.

Premier à faire des recherches sur le burnout, le psychologue américain Herbert Freudenberger a observé qu’il est souvent le fait d’employés très dévoués. Des perfectionnistes qui n’aiment pas déléguer. Des individus très sensibles aux pressions extérieures, selon lesquelles on doit s’investir totalement dans le travail, sans compter ses heures. Par la suite, la psychologue américaine Christina Maslach a précisé que cet état d’épuisement physique et mental frappe surtout les gens en relation d’aide, dans des professions qui exigent de l’empathie, comme les enseignants, les infirmières ou les médecins. Mais cette définition a elle aussi dû évoluer, puisque d’autres catégories de salariés sont touchées par ce trouble, comme les cadres d’entreprise, les gens des communications, les comptables, les employés de bureau. Tous les travailleurs seraient donc à risque?

C’est que le burnout est avant tout le résultat d’une situation de stress aigu qui se prolonge et que l’individu ne contrôle pas. De nos jours, la principale source de stress est le monde du travail: les suppressions de postes qui alourdissent la tâche de ceux qui restent; les délais de production de plus en plus serrés; les courriels et le BlackBerry qui nous obligent à répondre vite et en tout temps; les directives venues d’en haut qui réduisent la marge de manœuvre des salariés, leur font perdre de vue le sens de leur boulot et leur donnent le sentiment de n’être qu’un numéro dans l’entreprise.

Le professeur Henry Mintzberg, sommité dans le monde de la gestion, faisait cette remarque troublante dans le quotidien La Presse du 21 juillet 2008. Aux États-Unis, tous les indices économiques sont au rouge, sauf un: la productivité, souvent augmentée par des mesures à court terme comme les licenciements ou l’accroissement des heures de travail. Ce modèle de gestion semble fonctionner, met-il en garde, «jusqu’à ce que les employés, surmenés, démissionnent ou s’épuisent à la tâche».

Bien sûr, ce durcissement du monde du travail varie selon les milieux, et chaque employé réagit différemment au stress qui en découle. Sans compter que les nécessités de la vie familiale (l’éducation des enfants, l’horaire de la garderie, les repas à préparer) ou les tempêtes dans la vie privée (les séparations, les deuils, les divorces) s’ajoutent aux tensions du boulot. Alors, le mélange peut s’enflammer.Voilà pourquoi, de nos jours, le burnout est principalement associé à la vie professionnelle, mais pas exclusivement. Dans la majorité des cas, c’est le fruit d’une combinaison de facteurs qu’il faut savoir démêler pour corriger la situation.

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Vers la dépression

Non soigné, l’épuisement professionnel peut dégénérer en dépression. Cette tristesse profonde plongeant ses racines dans la vie personnelle n’est cependant pas toujours causée par un burnout. Qui plus est, ces deux états se distinguent par une différence de nature physiologique, plus particulièrement hormonale.

«Devant une situation de stress, explique la Dre Sonia Lupien, le corps sécrète des hormones de stress. Dix minutes plus tard, ces hormones remontent au cerveau et vont se loger dans des zones qui touchent à la mémoire et aux émotions. Depuis cinq ou six ans, on sait que, dans le cas de l’épuisement professionnel, le corps ne produit pas assez d’hormones de stress et que, dans le cas de la dépression, il en produit trop. Alors, si on vient me dire que le burnout et la dépression, c’est la même chose, moi, je réponds: très bien, mais le cerveau, lui, ne pense pas comme ça!»

Le cerveau joue un rôle important dans la gestion du stress, car c’est lui qui interprète les signaux venus de l’extérieur. C’est lui qui vous dit que l’arrivée du patron dans la salle de réunion est quelque chose de stressant. Pourtant, le cerveau de votre voisin peut ne pas considérer du tout l’arrivée du même patron comme une source de stress. Affaire de tempérament, de génétique, d’enfance, de milieu de vie, d’état de santé. Tous ces facteurs influencent la réaction que nous avons, individuellement, en présence d’une même source de stress.

De plus, il existe un bon stress et un mauvais stress. Le bon, c’est celui qui vous fait donner un coup de volant pour éviter l’enfant qui traverse la rue sans crier gare. Votre cœur bat fort, vous avez eu chaud, mais vous avez évité le pire. C’est aussi la poussée d’adrénaline (une des hormones du stress) que vous ressentez devant une échéance en apparence impossible à respecter. Quand l’ouvrage est terminé, et avec succès, l’équilibre hormonal se rétablit, le corps récupère. La santé n’est pas compromise. Le mauvais, c’est celui qui ne s’arrête jamais et oblige votre corps à sécréter en permanence cette autre hormone du stress, le cortisol, qui peut devenir toxique à la longue. Sans cesse bombardé, votre cerveau cherche un apaisement dans le sucre, l’alcool ou le café, par exemple. Dans ces conditions, le bouton d’urgence reste toujours enfoncé. Le corps ne peut plus récupérer et lance des avertissements de surchauffe: fatigue musculaire, insomnie, crises de larmes, pertes de mémoire. Danger: burnout en vue.

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Combattre le stress

Parfois, les messages sont compris à temps, parfois, non. Mais qu’on ait frôlé le burnout, qu’on soit en plein dedans ou qu’il soit derrière nous, le repos seul, disent les spécialistes, ne suffit pas. Les choses doivent changer. Il faut apprendre à reconnaître les sources de stress et à y répondre par des plans B qui redonnent la maîtrise de sa vie. Savoir dire non; trouver du temps pour soi; pratiquer une activité physique qui permet au corps d’évacuer l’énergie mobilisée durant une situation stressante.

Ne nous leurrons pas. Il est possible que la multiplication de cas de burnout dans les entreprises soit le signe que le capitalisme sauvage a atteint ses limites. Il n’empêche que les sources de stress ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Cependant, nous pouvons ruser avec elles, expliquent les chercheurs de l’Institut Douglas. À l’aide de quelques trucs simples (voir encadré «Solutions antistress»), nous pouvons dire à notre cerveau de ne pas traduire par du stress ce qui nous arrive de fâcheux et nous tourner vers les bons côtés de la vie. Après tout, notre cerveau aime le confort. Il préfère la musique, les conversations entre amis, le vélo, les joies de la famille ou les plaisirs amoureux à toutes les tracasseries qu’un patron ou un système s’ingénie à inventer chaque matin pour nous empêcher d’être heureux. Et si nous lui faisions plaisir?

Solutions antistress

Analyser les causes du stress Est-ce les longues heures de travail, un patron incompétent, un rendement trop élevé, le manque de gratitude ou de sens qui vous minent? Que pouvez-vous faire pour aplanir ces irritants?

Revoir ses priorités Qu’est-ce qui vous tient à cœur dans la vie et que vous ne faites pas à cause de votre carrière?

Apprendre à se relaxer Yoga, peinture, respirations profondes, tricot, massages, quilles… tous les moyens sont bons pour empêcher le petit hamster de tourner dans sa cage!

Savoir dire non aux collègues et aux proches qui prennent trop de votre temps et de votre énergie.

Être moins perfectionniste Apprenez à déléguer et, surtout, cessez de tout vouloir faire à la perfection.

Se garder du temps pour soi Réservez-vous ne serait-ce que 10 minutes par jour pour promener le chien, prendre un bain, tenir un journal intime ou faire une sieste. Ça permet d’avoir le sentiment d’exister.

Reconnaître ses limites Soyez attentif aux signaux de votre corps (fatigue, difficulté à dormir, rages de sucre, maux de tête, de ventre, etc.). Il vaut mieux s’accorder une semaine de vacances qu’un an d’arrêt maladie.

Cultiver le plaisir Renouez avec votre corps, jouez, riez, explorez votre créativité… Redécouvrir son enfant intérieur permet d’envisager l’existence comme un jeu et non comme un devoir, explique Jacques Languirand dans son excellent essai Vaincre le burnout (Stanké).

 

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Connaissez-vous bien les symptômes du burnout