Je ne sais pas combien de temps j’ai mis à regarder mes pieds sous la douche. Un filet d’eau coule le long de mes tibias et entre mes orteils. L’idée de quitter le jet chaud me remplit d’effroi. Il me semble que j’en ai assez fait aujourd’hui: j’ai fait une brassée de lavage, couru 10 km, répondu à mes courriels d’hier soir, cuisiné un risotto pour le souper… et il n’est même pas encore 7 h du matin.

Depuis six semaines, je règle mon réveille-matin à 5 h tapant pour tenter d’être plus énergique au quotidien. Je suis depuis longtemps une personne matinale, et je considère la grasse matinée comme une perte de temps, mais il est rare que je me lève avant l’aube. Après 18 mois de travail à la maison, cependant, j’ai constaté que je manquais de pep. Les réunions Zoom et les notifications Slack ont eu raison de mon énergie, et elles me laissent peu de moments pour faire de l’exercice ou pour partager un apéro avec des amis. Entre mes quatre murs – je n’ai plus à me rendre au bureau tous les jours –, j’ai plus de temps que jamais. Et pourtant, j’en ai très peu à consacrer à moi-même.

Pour trouver une solution, j’ai fait ce que tout bon millénarial fait en cas de doute: je me suis tournée vers les médias sociaux. C’est là que j’ai découvert le mot-clic #morningroutine (ou #routinematinale), et tous les trucs qui l’accompagnent. Impossible de rester au lit plus longtemps! Ce mot-clic a été recherché plus de 4,2 milliards de fois sur TikTok, et la vidéo 6AM Morning Routine, de la vloggeuse Lauren Snyder – qui la montre en train de tenir son journal, de faire de l’exercice, de prendre soin de sa peau et de préparer son déjeuner au petit matin –, a été vue plus de 3,4 millions de fois sur YouTube.

Évidemment, se lever aux premières lueurs du jour pour être plus productif n’est pas un phénomène nouveau, et n’a pas été inventé par les millénariaux ou les zoomers. Pendant des millénaires, les agriculteurs, les ouvriers et les communautés religieuses se sont réveillés avec le soleil. Mais récemment, ces premières heures de la journée sont devenues à la mode dans le monde du bien-être, et sont considérées comme la clé de la productivité et de la réalisation de soi.

L’expert en leadership Robin Sharma, auteur du livre à succès The 5 AM Club (336 pages vantant les mérites d’un lever précoce), est la figure de proue de ce mouvement. Pour en retirer le plus grand bien-être et accéder à son plein potentiel, les lecteurs ont pour consigne de commencer leur journée à 5 h du matin par de l’exercice, et un moment pour la réflexion et la croissance personnelle, chaque séance devant durer 20 minutes. «La façon dont vous entreprenez votre journée a un impact considérable sur sa qualité, dit-il. Bon nombre des plus grands gestionnaires créatifs et des plus grands sages du monde ont une chose en commun: ce sont des lève-tôt.» Il donne l’exemple de Michelle Obama et du PDG d’Apple, Tim Cook.

«Être un entrepreneur est un travail difficile et qu’on accomplit souvent seul. Commencer sa journée avec 100 personnes qui veulent vous voir réussir, ça change la donne.»

Pendant que certains commencent leur journée extra-de-bonne-heure par un bain de glace ( Jack Dorsey, PDG de Twitter), une dose de poudre verte à l’huile d’octane cérébrale (Orlando Bloom) ou un entraînement de 95 minutes suivi d’une séance en chambre cryogénique (Mark Wahlberg), d’autres décident de participer à des réunions, de réseauter et même de socialiser, laissant les amateurs du snooze à la traîne. Robin Sharma n’est pas surpris. «Nous sommes à la recherche de l’astuce qui changera la donne et nous libérera de notre dépendance à la technologie, dit-il. La routine matinale est l’une des réponses.»

L’idée de parler à des collègues avant le chant du coq pousserait la plupart d’entre nous à se réfugier en vitesse sous la couette. Mais à Miami, le réseautage avant les heures de travail est aussi courant que les séances de jogging sur Ocean Drive. Grâce à des impôts peu élevés, à un climat chaud et au maire, Francis Suarez, qui vient en aide aux entreprises, la métropole côtière est en train de s’imposer comme la prochaine Silicon Valley. La ville a accueilli une nouvelle vague de technophiles, d’investisseurs et d’anciens pros de Wall Street qui ne demandent qu’à échanger des idées lors de déjeuners-conférences et de promenades à vélo autour de Key Biscayne avant de se pointer au bureau. Après tout, le temps, c’est de l’argent.

C’est cette culture du petit matin qui a inspiré Brandon Evans, cofondateur de la communauté technologique Miami Made, à lancer l’événement Thrive Together Tuesdays. Une fois par mois, les membres, qui sont tous des entrepreneurs, se réunissent à 7 h 30 pour partager leurs connaissances et profiter du soutien de leurs homologues. L’heure du début de la rencontre a été fixée délibérément tôt, rappelle M. Evans. «Être un entrepreneur est un travail difficile et qu’on accomplit souvent seul. Commencer sa journée avec 100 personnes qui veulent vous voir réussir, ça change la donne.»

Mais il ne s’agit pas uniquement d’une question de travail pour les lève-tôt. Certains considèrent le petit matin comme le nouveau happy hour (sans le gin). «Mes amis et moi recevons régulièrement des appels à 6 h du matin», raconte Natasha Hatherall-Shawe, fondatrice de l’agence de communication TishTash, à Dubaï̈. L’entrepreneure a d’abord commencé par régler son réveil à 5 h du matin pour le travail («Je veux que ma boîte de réception soit vide à 9 h pour que je puisse me concentrer sur mes clients»), mais elle a par la suite adapté sa routine matinale pour pouvoir aussi passer du temps avec ses amis. «Après que nous nous sommes parlé, nous nous sentons pleins d’énergie pour la journée.» Anna McLeod, athlète et responsable d’équipe et de partenariat pour la marque de cyclisme Rapha, est une autre adepte du travail matinal. Elle retrouve son mentor pour une séance de vélo à 7 h tapant, suivie d’un arrêt au café du coin pour un latte et des pâtisseries. «J’ai même déjà eu des réunions à vélo, et je trouve que la conversation est plus décontractée et détendue que dans une salle de réunion», dit-elle.

«J’ai même déjà eu des réunions à vélo, et je trouve que la conversation est plus décontractée et détendue que dans une salle de réunion.»

Les réunions matinales pourraient-elles vraiment devenir la solution de rechange à l’apéro d’après-travail? «Oui», affirme George Rawlings, qui a cofondé l’application de rencontres Thursday en avril dernier. Après avoir enregistré plus de 110 000 utilisateurs à Londres et à New York, cette plateforme cherche maintenant à mettre au point une fonctionnalité qui permettrait aux utilisateurs d’afficher les plages horaires où ils sont disponibles, ce qui, selon M. Rawlings, profitera aux lève-tôt qui souhaitent sortir avant le travail. «Je pense que les gens seront de plus en plus enclins à consacrer une demi-heure de leur temps à un rendez-vous matinal.»

L’engouement pour les rencontres matinales est un phénomène qu’Aurelien Schibli et Brenton Parkes ont observé de près. En 2018, à Sydney, ces anciens colocataires ont lancé le 5.30 Club pour les personnes intéressées à se rencontrer dans un café les jours de semaine, à 5 h 30. L’idée a ensuite été reprise partout en Australie, et le nombre de personnes qui se rencontrent pour socialiser, échanger ou travailler est monté en flèche. «Nous avons attiré des gens qui aiment les contacts en toute sobriété, dit Vani Morrison, cofondateur du club. Tout le monde peut se lever tôt et avoir une routine matinale, mais ça fait une différence lorsqu’une communauté vous accompagne et vous soutient dans le processus.» Et il n’est plus nécessaire d’attendre que le soleil se couche pour faire la fête. L’événement Morning Gloryville, qui se déroule au Royaume-Uni, a connu un succès mondial avec ses raves sans alcool, qui commençaient bien avant 7 h du matin.

Même si se réveiller plus tôt peut être bénéfique pour certains, l’experte en sommeil Els van der Helm n’est pas convaincue que ça contribue à la réussite; ça peut même être contreproductif. Son point de mire: le mythe selon lequel se lever tôt signifie qu’on prend de l’avance. «En agissant ainsi, vous perturbez votre sommeil et le rythme de votre horloge biologique», explique-t-elle. Les chronotypes, qui déterminent les heures de sommeil idéales d’un individu, diffèrent d’une personne à une autre, rappelle Els van der Helm. Et comme les personnes matinales ne représentent que 14 % de la population, la plupart des gens qui se réveillent tôt s’astreignent à un horaire qui ne correspond pas naturellement à leur chronotype, surtout s’ils se couchent tôt pour se lever tôt. «Vous finirez par vous adapter, mais vous ne serez jamais complètement optimal.»

Alors, on peut donc rester au lit? Rien n’est moins sûr… Car à l’ère de la culture de la comparaison, force est de constater que les routines du matin sont en hausse… et la culpabilité liée au fait de se reposer aussi. Natasha Hatherall-Shawe l’a déjà remarqué. «Nous avons une communauté d’entrepreneurs à Dubaï̈, et les gens sont compétitifs», dit-elle. Elle note d’ailleurs qu’elle se surprend souvent à comparer la façon dont elle utilise les premières heures de la journée avec ses collègues qui se lèvent tôt, eux aussi. Et comme le dit Robin Sharma, «Nous sommes fondamentalement des animaux tribaux. Non seulement nous sommes fascinés par les pratiques du chef de la tribu, mais nous sommes aussi enclins à les copier.»

Le fait de remplir les premières heures de nos journées d’activités variées ne constitue pas en soi un avantage, mais il ne fait aucun doute que pour certains, l’aube est un moment magique, qui leur permet de travailler à devenir une meilleure version d’eux-mêmes. Dans un monde où tout va à un rythme effréné, le fait de se lever très tôt donne aux gens matinaux un sentiment d’accomplissement avant même que la journée ait commencé.

Le réseautage avant l’aube et les balades à vélo prédéjeuner ne remplaceront peut-être pas le charme d’une soirée entre amis. Mais à l’ère du télétravail, tandis qu’on bosse dans la chambre d’amis et que l’expression «heures de bureau» a perdu tout son sens, peut-être qu’il est temps de prendre conscience du potentiel du petit matin. Alors, on désactive le bouton snooze?

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