Qu’est-ce que c’est, au juste, l’endométriose? Il s’agit d’une maladie chronique qui se manifeste par divers symptômes: dysménorrhée (crampes de douleur intense), douleurs pelviennes et pendant les rapports sexuels, défécation douloureuse, difficulté à uriner, etc. Il s’agit en fait du tissu endométrial (celui qui tapisse l’utérus et, lorsqu’il n’y a pas fécondation, se désagrège et saigne durant les règles) qui se développe hors de l’utérus, se greffe sur des organes et cause des lésions, des adhérences et des kystes. Cette propagation peut s’étendre jusqu’aux systèmes urinaire, digestif, voire pulmonaire.

Pour le Dr Ian Brochu, gynécologue-obstétricien et spécialiste des douleurs pelviennes chroniques, il faut avant tout mettre quelque chose au clair: avoir des règles extrêmement douloureuses et incapacitantes n’est pas normal. «Les adolescentes qui doivent manquer leurs cours d’éducation physique à cause de la douleur, par exemple, c’est commun, mais ça ne devrait pas l’être, précise l’expert. Il y a des causes qui expliquent cette souffrance, dont l’endométriose.»

Comme ces jeunes filles se font dire très tôt qu’avoir des règles douloureuses fait partie de la game, elles ont tendance à minimiser leur inconfort. La Dre Sarah Maheux-Lacroix, gynécologue, clinicienne-chercheuse au CHU de Québec et professeure à l’Université Laval explique: «Une personne qui s’est fait dire toute sa vie de prendre son mal en patience, d’avaler deux Tylenol et de vaquer à ses occupations se sentira coupable de mal fonctionner lorsqu’elle est menstruée, comme si elle ne devait pas se plaindre de cette douleur, qu’elle croit commune à toutes.»

À ce propos, la gynécologue ajoute que, malgré les avancées médicales, le sujet des menstruations, voire de la santé sexuelle féminine, est encore tabou et peu traité. Elle estime qu’il existe une méconnaissance générale de la question chez les patientes, mais aussi les médecins, notamment en ce qui concerne l’endométriose. Même son de cloche chez le Dr Brochu: «Il n’y a pas un seul test simple et rapide qui révèle si vous souffrez d’endométriose ou pas. Les médecins posent un diagnostic présumé, selon les symptômes compatibles, ce qui peut les rendre mal à l’aise de poser un diagnostic final, en bonne et due forme, car pour en avoir le cœur net, il faudrait passer par la chirurgie, ce qu’on tente d’éviter.»

Délais de diagnostics

Résultat de cette méconnaissance et de cet inconfort de la part de la communauté médicale: se faire diagnostiquer une endométriose prend en moyenne, au Canada, de 7 à 10 ans! «Plusieurs facteurs expliquent cette longue attente, dit la Dre Sarah Maheux-Lacroix. La patiente prend souvent du temps avant de se rendre compte que ses douleurs intenses ne sont pas normales, que quelque chose cloche.» Marie-Josée Thibert, fondatrice d’Endométriose Québec, un organisme de soutien et de sensibilisation, abonde dans ce sens. «C’est un sujet intime et il est difficile pour certaines personnes d’en parler, même à leurs proches. Elles attendent, donc, avant de se confier et de consulter. Et il existe encore cette vieille mentalité selon laquelle il est normal de souffrir quand on a un utérus, que ça vient avec…»

La Dre Maheux-Lacroix ajoute qu’au sein du corps médical, la première ligne – dont les médecins de famille font partie – n’est pas très outillée à ce sujet: «Il y a de la conscientisation et de l’éducation à faire.» Selon la spécialiste, pour offrir de meilleurs soins dans des délais plus raisonnables, il faut mieux s’éduquer sur la maladie et donner davantage de moyens au corps médical. Le Dr Ian Brochu estime pour sa part que maintenant, lorsqu’une femme décrit des symptômes compatibles avec ceux de l’endométriose, on commence d’emblée des traitements hormonaux – incluant la prise de la pilule contraceptive –, qui fonctionnent dans environ 85 % des cas. «On réserve la chirurgie aux 15% des patientes qui ne répondent pas à ce traitement.»

Une souffrance physique et mentale

Reste que, pour une bonne partie des femmes aux prises avec un problème d’endométriose, le délai du diagnostic est lourd à porter, tant physiquement que mentalement. Claire, 25 ans, a commencé à ressentir des crampes et des douleurs importantes durant ses règles à l’âge de 13 ans. «Je me disais que c’était normal, mais le mot “autocombustion” me vient en tête quand je repense à mes maux de ventre. Souvent, je m’évanouissais de douleur.»

Sa médecin de famille lui a alors prescrit la pilule anovulante, sans lui poser plus de questions ni lui faire subir de tests, et les douleurs ont continué. Après avoir manqué plusieurs journées d’école et s’être souvent absentée du travail, elle a enfin reçu un diagnostic… à 23 ans, soit 10 ans après l’apparition de ses premiers symptômes! La jeune femme a dû faire une fausse couche – et les tests gynécologiques qui s’ensuivent – pour qu’on découvre qu’elle souffrait bel et bien d’endométriose. «Pourtant, on m’a souvent dit que j’étais faible, que j’essayais de me trouver des excuses pour ne pas aller travailler. J’ai l’impression que c’est quelque chose de difficile à cerner, même pour les médecins.»

Annic, 37 ans, s’est pour sa part retrouvée devant une médecin qui, après avoir entendu sa longue liste de symptômes, lui a diagnostiqué… une dépression! «J’ai dû consulter au privé pour qu’on me prenne au sérieux et qu’on mette un mot sur ma maladie. Ç’a été un grand soulagement, après qu’on ait banalisé ma douleur.»

Deux mois après ce diagnostic d’endométriose sévère, on lui a détecté un cancer du col de l’utérus, et Annic a dû subir une hystérectomie. «À la suite de mon expérience pour le moins traumatisante, j’ai eu envie d’aider les gens à mieux comprendre la maladie, les symptômes, et à normaliser la chose, dit-elle. C’est pourquoi j’ai créé la plateforme @endometriosemom sur Instagram, et la page Démystifions l’endométriose sur Facebook. La santé vaginale est encore taboue et en parler ouvertement est devenu en quelque sorte une mission pour moi.»

Y a-t-il des solutions, docteur?

Justement, en parler ouvertement fait partie des pistes de solution. Le Dr Ian Brochu avance que le bouche-à-oreille, dans la famille ou entre amis, contribue à démocratiser la maladie et à obtenir un diagnostic plus rapide. Sur Internet, de nombreux forums sont également consacrés à l’endométriose. D’après lui, il y a aussi de la formation, sur le terrain, à l’intention des médecins. «Je suis optimiste pour la suite des choses, dit-il. Ce n’est pas encore parfait, mais les douleurs sont mieux comprises, mieux prises en charge, et il existe de plus en plus d’options thérapeutiques.»

Selon la Dre Sarah Maheux-Lacroix, il s’agit de parler de santé sexuelle et féminine de façon plus ouverte. «C’est en train de changer, mais c’est un pan de la médecine qui a souvent été mis de côté. Il faut investir en publicité, en ressources et en recherches pour mieux connaître cette maladie – tant chez la population en général qu’au sein du corps médical. On a déjà fait cette démarche de conscientisation avec le cancer du sein, alors on sait que c’est possible!»

«Il faut se pencher sur les enjeux majoritairement féminins, comme l’endométriose, de façon plus sérieuse et empathique, affirme Marie-Josée Thibert. Si un homme sur dix souffrait d’une maladie ayant des conséquences sur sa fertilité, sa productivité et sa vie sexuelle, nous en serions déjà ailleurs, j’en suis certaine!» Elle estime que ce dont les femmes aux prises avec l’endométriose ont besoin, c’est d’abord de se faire entendre. «Ça prend du courage pour prendre sa santé en main, aller s’asseoir devant un inconnu et lui raconter ses problèmes intimes. Qu’on croie les patientes, qu’on les prenne en charge et qu’on les suive comme il faut, c’est plus que nécessaire!»

Cet article a été publié sur veroniquecloutier.com

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