Derrière une palissade donnant sur la rue du Prince- Édouard, dans le très urbain et bétonné quartier Saint-Roch, à Québec, se cache une coquette cour avec potager foisonnant, module de jeux pour enfants, balançoire sur roues et foyer, ceinturée de trois immeubles de trois étages. C’est là que nous rencontrons Julie, Claude et Roger, tous d’heureux résidents de la Coopérative de la Rivière, construite au début des années 1980 et comptant 22 logements.

Roger avoue bien honnêtement qu’avant de poser sa candidature pour vivre ici, il n’avait qu’une très vague idée de ce qu’était une coopérative d’habitation. Il n’est pas le seul. La plupart des gens confondent les coops avec les HLM (habitations à loyer modique) en raison de leurs loyers très abordables. Pourtant, leur mode de gestion diffère grandement. Subventionnées par le gouvernement du Québec, les HLM sont réservées aux personnes ou aux ménages à faible revenu, et le loyer demandé correspond à 25 % de leur revenu. Elles sont gérées par les offices municipaux d’habitation, qui s’occupent des rénovations et de l’entretien des aires communes.

Dans une coopérative, les loyers constituent l’unique revenu, et ce sont les membres qui en assurent la gestion; ils sont collectivement propriétaires de la coop, mais locataires de leur appartement. Ceux d’entre eux qui gagnent moins d’argent peuvent bénéficier d’une aide gouvernementale pour payer leur loyer; ce sont cependant les personnes qui sont «subventionnées», et non la coopérative. Dans les plus récentes coops, 50 % des logements sont réservés aux ménages soutenus par un programme.

S’impliquer pour économiser

Qu’est-ce qui permet aux coops d’offrir des loyers abordables? La participation active des membres locataires. Ce sont eux qui se chargent des travaux de plomberie ou d’électricité, qui pellettent, repeignent les cabanons, aménagent et entretiennent les platebandes, nettoient les aires communes, tondent la pelouse… «Il y a un chauffe-eau à changer? C’est moi qui m’en occupe avec un autre locataire, explique Claude, un retraité de 65 ans qui habite à la Coopérative de la Rivière depuis plus de 20 ans. Tout faire soi-même, ça permet d’économiser beaucoup!»

Sandra Turgeon, directrice générale de la Fédération des coopératives d’habitation de Québec et Chaudière-Appalaches, relate qu’en moyenne, dans les coops du territoire desservi par son organisme, «le loyer est 25 % plus bas que le loyer médian». Mais pour bénéficier d’un loyer aussi bas, le locataire doit s’impliquer, ce qui lui donne droit à un rabais de membre. Et ces réductions sont considérables! En 2011, le rabais moyen des coops du Québec était de 186 $ par mois, selon la dernière enquête de la Confédération québécoise des coopératives d’habitation.

Les locataires peu habiles de leurs mains peuvent s’investir autrement, par exemple en devenant membres du comité de la vie associative (qui organise des fêtes, entre autres) ou en s’engageant dans le conseil d’administration. Par contre, prendre part aux corvées de printemps et d’automne est une quasi-obligation. «Ce n’est rien de très contraignant, précise Roger. On balaie le stationnement, on fait un peu de peinture, puis vers 15 h tout est fini, et on prend l’apéro tous ensemble dans la cour commune… Il y a pire!»

Le désir de participer pèse lourd dans la balance au moment où les membres épluchent les dossiers des locataires potentiels quand un logement se libère. «C’est très précieux pour les membres de pouvoir sélectionner les gens qui habiteront dans leur coop, affirme Sandra Turgeon. Ils peuvent ainsi aller chercher les meilleures personnes pour compléter leur groupe, selon leurs forces et ce qu’elles peuvent apporter.»

«On privilégie évidemment les gens qui risquent d’habiter ici assez longtemps et qui démontrent le désir de s’impliquer activement», poursuit Julie, 27 ans, qui vit à la Coop de la Rivière depuis près de deux ans et est présidente du conseil d’administration depuis mars 2017.

Pour les pauvres seulement?

L’objectif principal des coopératives d’habitation est de permettre aux gens à faible revenu de se loger décemment à un prix abordable. Cependant, une personne gagnant 40 000 $ par année peut très bien y résider. «Son salaire était probablement plus bas à son arrivée dans la coop, mais elle peut évidemment continuer d’y habiter si ses conditions de travail s’améliorent», précise Sandra Turgeon. En 2011, toujours selon l’enquête de la Confédération, le revenu brut annuel moyen des ménages vivant dans une coopérative d’habitation se chiffrait à 29 061 $. La proportion de ceux ayant un revenu annuel égal ou supérieur à 50 000 $ était de 12 %.

Ce type de logement social n’est pas non plus réservé aux jeunes familles, malgré ce qu’on pourrait croire. La preuve: en 2011, près de la moitié des ménages (47 %) qui habitaient dans une coopérative étaient constitués d’une personne seule. «Ça s’explique en partie par le fait que les locataires des coops restent plus longtemps dans leur logement que ceux qui vivent dans un appartement classique, soit près de 10 ans en moyenne, expose Jocelyne Rouleau, présidente de la Confédération. Plusieurs parents seuls ou séparés y ont élevé leurs enfants, et demeurent dans leur logement une fois que ceux-ci ont quitté le foyer.»

Reste que vivre dans une coopérative, ça donne un solide coup de pouce aux jeunes familles. «Avec le salaire que je gagne, je ne serais pas capable de mettre de l’argent de côté si je ne vivais pas ici», affirme Marie-Ève, 37 ans, éducatrice en service de garde et mère de Youri (7 ans) et Lili-Jeanne (10 ans). Nous la rencontrons en fin de journée dans son cinq et demie très coloré de la Coop de la Rivière. «La décision de venir résider dans ce type de logement ne doit pas être motivée uniquement par l’économie d’argent, mais c’est sûr que c’est un plus», souligne-t-elle.

Roger est bien d’accord, lui qui est arrivé ici alors qu’il traversait une mauvaise passe. «C’était en 2001, j’étais au chômage, sans fonds de pension, et ma femme ne travaillait qu’une quinzaine d’heures par semaine. Évidemment, le loyer abordable m’a attiré, mais la vie communautaire également.»

Et attention: ici, «vie communautaire» ne signifie pas «commune». Voilà un autre mythe tenace qui colle aux coopératives. «Ce n’est tellement pas ça! s’exclame Marie-Ève. On n’est pas toujours rendus chez l’un et chez l’autre, on a chacun notre logement et notre intimité. Mais c’est sûr qu’on se côtoie beaucoup, qu’on s’entraide. On n’est pas gênés d’aller cogner chez un voisin pour lui demander un œuf ou du sucre. Parfois, on apporte des muffins à une maman fatiguée, ou on fait une grosse batch de gaspacho et on la partage. J’ai même choisi le prénom de la fille de ma voisine! C’est vous dire comment on peut créer des liens d’amitié importants.»

«Il y a une très belle mixité dans notre coop, renchérit Julie, qui est greffière adjointe au palais de justice. Il y a au- tant des familles que des célibataires, des jeunes couples et des retraités. C’est vraiment comme une petite communauté.»

Vivre en COOP: cultiver l'esprit de groupe

Tous les résidents mettent la main à la pâte lors des corvées saisonnières. Photographe: Jean-Christophe Blanchet

Un précieux filet

Ce tissu social aux mailles serrées génère aussi un fort sentiment d’appartenance, très apprécié des résidents. «Avant d’arriver ici il y a 11 ans, j’habitais dans une banlieue où tout le monde se connaissait, raconte Marie-Ève. C’est un climat que j’aimais et que je désirais retrouver, mais je voulais vivre en ville.» La formule lui convient parfaitement: ses enfants ont plein d’amis et jouent dans un milieu sécuritaire, sans voitures qui passent. «Pour eux, les voisins, c’est comme des cousins et cousines!»

Roger ajoute que pour les personnes âgées, le voisinage constitue un important filet de sûreté. «On a une dame, par exemple, qui a 88 ans et qui vit seule. Pour elle, c’est rassurant d’avoir des voisins qu’elle connaît bien et qu’elle peut appeler en cas de besoin», précise le retraité de 71 ans.

À la base de la vie en coop, il y a donc une solidarité très forte. L’un gardera les enfants d’une mère retenue plus longtemps au travail, un autre s’occupera des chats d’une voisine pendant son voyage en Europe. Mais au-delà de cet esprit d’entraide, ce milieu fait grandir sur le plan personnel. «C’est une extraordinaire école de démocratie, affirme Jocelyne Rouleau. Les gens apprennent à régler des conflits dans le respect, à siéger à un conseil d’administration… Certains membres locataires vivaient des épisodes difficiles à leur arrivée, et ils ont graduellement repris confiance en eux, ont retrouvé un emploi, se sont repris en main. On s’arrête souvent aux avantages économiques ou financiers des coops d’habitation, mais les impacts sociaux et individuels sont majeurs.»

Loin du chacun pour soi

Vous l’aurez deviné, la vie est très animée dans les coops. Et chacune d’elles a des initiatives qui lui sont propres. Certaines offrent des ateliers de gestion de budget ou organisent des épluchettes de blé d’Inde, d’autres verdissent les balcons ou tiennent des séances de cinéma en plein air – avec un écran constitué de pancartes électorales récupérées! À la Coopérative de la Rivière, Marie-Ève a mis sur pied un projet de compost avec sa voisine Manon.

«Une coop de Québec a organisé une assemblée des enfants pour les initier à la vie démocratique. Ils devaient, entre autres, décider des jeux auxquels ils allaient jouer pendant l’été, raconte Sandra Turgeon en riant. Ça peut ne pas sembler déterminant, mais ça compte énormément, car ça renforce le tissu social.»

«Il y a aussi beaucoup d’idées spontanées, ajoute Julie. Un soir, on peut par exemple planifier à la dernière minute un potluck dans la cour commune. L’an passé, j’ai organisé un party de Noël; cet automne, on va peut-être aller aux pommes et faire de la croustade en grande quantité. C’est très convivial. Au sein de la coop, je me suis fait de très bons amis.»

Les défis de la proximité

Quiconque a déjà habité dans un village sait que le fait de connaître tout le monde entraîne aussi certains inconvénients. Parmi eux: les commérages. Difficile d’y échapper, donc vaut mieux prendre la chose avec philosophie, comme Claude. «Les gens sont très près les uns des autres. Ça me paraît normal qu’on se raconte quelques potins, puisque la vie de nos voisins nous intéresse. Il faut juste faire attention à ce qu’on dit… et à qui!»

Mais le principal irritant, de l’avis des personnes rencontrées, ce sont les locataires qui ne s’impliquent pas. «On se demande pourquoi certaines personnes sont venues vivre ici… Pour économiser de l’argent, sûrement, mais reste qu’elles nous dérangent par leur inaction», rapporte Marie-Ève. Jouer à la police avec les membres paresseux est d’ailleurs loin de plaire aux locataires «actifs». Heureusement, il ne s’agit que d’exceptions, insuffisantes en nombre pour perturber l’esprit de groupe qui anime les coopératives et qui en constitue l’ADN.

Connaître ses voisins, leur faire confiance, bâtir avec eux une microsociété qui prend son environnement en charge et qui prône des valeurs de partage, d’équité, de solidarité et de démocratie: n’est-ce pas un milieu de vie riche et enviable? Visiblement, il se développe à merveille dans le terreau des coopératives.