M. A**, le voyant voyeur

Les premières vibrations
« C’est pour le retour de l’être aimé? », demande M. A** au téléphone. Euh non, l’être aimé est bien installé dans mon lit. « Pour la lecture de votre miroir spirituel, le passé et le futur, je n’ai besoin que de vos nom et date de naissance », m’indique M. A**. Zut, et moi qui pensais donner une fausse identité!

La séance
J’entre dans l’appart de M. A**, pendant que Lady Gaga tonitrue chez la voisine. C’est vide, à part une pièce tamisée où s’étalent des fourrures et ce qui semble être un animal empaillé. Je m’assois et souris pour cacher mon malaise. J’admets mon véritable nom alors qu’il me fixe furtivement la poitrine – serais-je tombée sur un voyant voyeur? – et me fait fixer ma réflexion dans un miroir entouré de hiéroglyphes, qui sera projeté sur le mur dans un autre miroir en demi-lune. Les voies du futur requièrent de fréquents voyages chez Jean Coutu…

Homme mystique, de peu de mots, il ébauchera des banalités du genre: «Vous avez eu une bonne vie» (est-ce mon sourire niais qui l’inspire?), ou encore: «Vous aimez un homme, mais n’avez pas oublié votre ex, qui n’était pas gentil avec vous». Si nos ex étaient gentils, on ne les aurait pas laissés… À un moment cependant, moi qui suis là undercover, il m’impressionne: «Vous voulez être inspecteur dans la vie?» Il affirme aussi que j’aurai au moins un enfant, un garçon. À ce moment-là, son portable sonne. Il le prend! Une personne est manifestement en détresse au bout du fil. Un client?

Le verdict
Je quitte en songeant qu’à 40 dollars les 15 minutes, je me suis joliment fait avoir. Mais à l’écriture de ces lignes, j’avoue avoir plus peur qu’il ne me jette un sort que d’avoir jeté mon argent par les fenêtres miroirs de son appartement.

M. J**, le vrai pro

Les premières vibrations
Ce demi-sous-sol ne paie pas de mine, mais comme on y dépoussière le passé et qu’on y dégage l’avenir, j’imagine qu’on peut voir à travers la crasse? Comme l’endroit m’a été chaudement recommandé, j’entre quand même. C’est minimaliste: une vieille table, un vieil ordi, et un vieux monsieur aux airs de père Noël patchouli, les cheveux longs et la cigarette facile.

La séance
J’apprends que je suis une bosseuse et une séductrice-née. Et que si j’ai une propension aux passions, j’en aurais une aussi aux scandales. Aïe!

Le plus intéressant vient avec la carte du jour. «Vous êtes un peu décalée, vous. Votre véritable anniversaire vient une semaine après votre naissance», dit-il au bébé césarienne que je suis. Et ça devient de plus en plus fascinant quand il évoque l’année à venir. Ainsi, j’apprends que je suis hyper fertile, que des amitiés pourries se décomposeront pour de bon et que je dois «faire attention aux rôdeurs» – encore le facteur ex?

Et puis, lui aussi me prédit un bébé garçon. «100 % garçon le premier, et 60 % le deuxième.» J’ai hâte de voir mon garçon à 60 %…

Le verdict
«Est-ce le bon?» «Écrirai-je plusieurs romans?» «Irai-je vivre à l’étranger?» Oui, à toutes ces questions, avec une variation de bémols. Grand-papa tarot est – je me rends compte – un débrousseur d’idées doublé d’un semeur de doutes. Il nous fait poser des questions sur nous: nos forces et nos faiblesses, nos rêves et nos acquis. Dans ce monde à bout de souffle, l’heure en sa compagnie oblige à se pencher sur soi. Un genre de spa spirituel.

Madame G**, la Cadillac des médiums

Les premières vibrations

Pour mettre les cartes à l’épreuve, tout en donnant une deuxième chance à la voyance, je fixe un rendez-vous avec une spécialiste des deux. Son prix est élevé, à 75$ la séance, mais le temps d’entretien est double. Madame G** pourrait bien être la Cadillac des médiums.

La séance
Sur fond de Rock Détente, elle tire mes cartes, lit mes lignes de la main et fait de la psychométrie avec des bijoux légués par ma grand-mère (c’est-à-dire qu’elle en «ressent l’énergie»). En vrac, elle me prédit un conflit avec une femme au travail (des points: là-dessus, c’est déjà commencé), de la tromperie en amour (la carte du trio amoureux était aussi ressortie au tarot), au moins deux romans (le premier passerait sous le radar alors que le second rayonnerait et serait même traduit, exactement ce qu’on m’avait prédit, la veille), et des enfants. Devinez quoi? Le premier serait un garçon.

Au rayon des contradictions, elle annonce un divorce et deux mariages, alors que père Noël patchouli m’avait dit que j’étais la femme d’un seul homme. Madame G** voit aussi un kyste à l’ovaire gauche; mais d’après le précédent voyant, je serai capable d’enfanter plus tard que la moyenne.

Ah oui! J’aurai également à identifier un corps d’homme à la morgue un jour, et je serai sur une liste d’attente pour un rein. Génial.

Le verdict
En sortant, je ne suis ni secouée ni blasée. Je me dis simplement qu’en dépit de toutes ces paraboles, un méchant comme un bon bout de vie m’attend.