Aujourd’hui, fort heureusement, il existe de nombreuses techniques de reconstruction pour celles qui choisissent cette option à la suite de leur opération. Parmi celles-ci: le tatouage hyperréaliste des aréoles des mamelons, en 3D ou en dessin trompe-l’œil. Zoom sur cet art méconnu qui aide de nombreuses survivantes.

Après avoir subi une mastectomie et une reconstruction mammaire, les femmes ont maintenant la possibilité de se faire tatouer des mamelons par des pros, qui arrivent à des résultats d’un réalisme absolument renversant. Les spécialistes en tatouage restaurateur mélangent de nombreux pigments et utilisent diverses techniques afin de redonner aux poitrines des survivantes une certaine normalité en environ une heure. Les tatouages sont parfois faits sur une peau lisse, parfois sur un faux mamelon reconstruit à partir de la peau d’autres parties du corps, et ils peuvent être réalisés sur toutes les carnations, des plus pâles aux plus foncées. «J’ai vécu ce tatouage comme la dernière étape d’un long processus, comme une finalité, dit Majoly Dionréalisatrice, autrice et animatrice, qui a été atteinte d’un cancer du sein à l’âge de 47 ans et qui a dû subir une double mastectomie. Ça m’a réellement aidée à faire le deuil de la perte de mes seins. Même si la technologie actuelle permet la reconstruction mammaire, c’est quand même une partie de toi qui n’existe plus – c’est difficile à avaler, surtout que les traitements contre le cancer te laissent affaiblie, tant physiquement qu’émotionnellement.» En 2016, la femme de 55 ans a produit et réalisé le documentaire Quand sert la vie… au-delà des frontières du cancer, dans lequel on suit son processus, de la mastectomie au tatouage des aréoles de ses seins reconstruits. Depuis, elle affirme recevoir des demandes de la part de femmes aux prises elles aussi avec un cancer du sein qui cherchent des réponses à leur questionnement à ce sujet. Preuve qu’il existe encore un certain manque de renseignements sur tout ce qu’il est possible de faire, notamment le tatouage des mamelons. Pourtant, ces informations sont primordiales.

Peau sensible

Ce sont souvent les chirurgiens qui recommandent des experts du tatouage des mamelons à leurs patientes. Certains hôpitaux offrent même le service sur place, mais ils obtiennent des résultats variables. Comme les tissus sur lesquels on tatoue sont particuliers – ce sont souvent des assemblages de peau, des tissus cicatriciels et sensibles –, il est plus qu’important de choisir des spécialistes qui ont suivi une formation et qui possèdent de nombreuses années d’expérience dans le domaine. «Les femmes doivent avoir accès à toutes les informations sur cette pratique afin qu’elles puissent faire un choix éclairé et guérir comme il le faut, dit Karina Osorio, spécialiste en micropigmentation paramédicale. La peau des seins reconstruits n’est pas aussi résistante que la peau naturelle. Elle est souvent inégale et couverte de cicatrices, d’où l’importance de choisir son spécialiste en tatouage avec soin. On ne tatoue pas la peau de la même façon ni à la même profondeur que pour un tatouage ordinaire.»L’infirmière de métier avoue s’inquiéter des formations qui sont maintenant données rapidement, le temps d’un week-end, à des esthéticiennes qui ont envie de se lancer dans ce genre de procédure, un peu comme elles le feraient pour un maquillage permanent. «À cette étape de leur guérison, les survivantes sont vulnérables sur les plans physique et émotionnel. Elles ont hâte d’en finir avec la reconstruction.

Elles risquent donc de choisir un spécialiste au plus vite. Mais elles doivent faire leurs recherches, parce que cette pratique n’est pas encore réglementée au Canada. Et la prise de médicaments, la chimiothérapie et les opérations ont un impact sur la peau et sur les risques d’infection. On ne choisit pas son tatoueur sur le fly. Je ne le répéterai jamais assez», dit-elle. Elle ajoute que les patientes ont déjà été extrêmement médicalisées, qu’elles risquent d’être traumatisées par tout ce qu’elles ont vécu, et que c’est une question éthique de la part des professionnels d’offrir un service haut de gamme, basé sur le bien-être des clientes. «Surtout que c’est une procédure très intime, en plus d’être souvent un moment très émotif pour elles», rappelle Karina, qui dit encadrer psychologiquement ses clientes afin qu’elles aient des attentes réalistes quant au résultat final. La professionnelle atténue également la couleur des cicatrices grâce au tatouage, «mais elles sont encore visibles, malgré tout».

Une reconstruction mammaire réalisée par Dr Paul Schembri, chirurgien à Edmonton (Alberta) puis terminée par un tatouage d’aréole de Carmelina Baccari et Kacie Rainey.

Choisir avec soin

Ce qu’on retient? Qu’il faut magasiner soigneusement un spécialiste en tatouage restaurateur. On peut demander des références à notre chirurgien avant de commencer nos recherches. De nombreuses personnes se lancent dans le tatouage des aréoles après avoir suivi diverses formations et eu des expériences de travail variées, que ce soit en soins médicaux, en esthétique ou en tatouage. On vérifie donc leurs références, on zieute leur portfolio, on tient compte des commentaires que d’autres clients ont mis en ligne à leur sujet et on pose des questions sur les options possibles. Et, surtout, on s’assure de se sentir en confiance et en sécurité en présence de la personne choisie. «Quand tu viens juste de faire construire ta maison, tu ne veux pas mettre de la peinture «cheapette» sur tes beaux murs neufs ou faire affaire avec n’importe quel peintre. C’est un peu le même principe, dit en riant Majoly Dion. Je crois qu’il faut marquer un temps d’arrêt et se demander avec qui on a envie de bien finir cette longue et périlleuse aventure.» Comme le tatouage doit être fait au minimum six mois après une reconstruction et au minimum un an après une rémission [ndlr: cette estimation est donnée à titre indicatif et diffère d’une patiente à une autre], on profite de cette période pour trouver l’artiste qui nous convient, sans nous presser. Lorsqu’on a quelques noms en tête, on peut demander une consultation auprès de cette personne afin de lui parler de notre histoire médicale et de nos attentes. «Les consultations peuvent même se faire virtuellement maintenant, ce qui est vraiment bien, explique Ingrid Zschogner, propriétaire et artiste de longue date au studio Timeless Tattoo Company, à Whitby, en Ontario. Il ne reste ensuite qu’à déterminer quelles seraient les techniques appropriées selon les particularités des seins de la cliente – et selon sa santé! C’est un savoir-faire qui vient avec l’expérience et la pratique – et de nombreuses années de formation et de mentorat. Ça ne s’improvise pas. Après tout ce que ces femmes ont vécu, nous souhaitons leur offrir l’expérience la plus douce, la plus positive, la plus sécuritaire possible. L’empathie et le respect sont des notions fondamentales dans notre pratique.»

Même son de cloche du côté de Carmelina Baccari et Kacie Rainey, deux Albertaines spécialisées en pigmentation médicale restauratrice qui ont joint leurs forces et qui tatouent maintenant des aréoles hyperréalistes côte à côte. «On essaie de créer une ambiance qui ressemble presque à celle d’un spa, comme si les clientes venaient se faire donner un soin du visage, par exemple. C’est souvent un moment rempli d’émotions pour elles. Elles sont vulnérables, dénudées. On met donc tout en œuvre pour qu’elles se sentent bien et détendues. Elles sont souvent surprises de notre vitesse d’exécution», dit Carmelina. Et Kacie ajoute: «Quand on voit le bonheur dans leurs yeux lorsqu’elles se regardent dans le miroir… Ouf! C’est là qu’on se dit qu’on a réellement trouvé notre vocation.»

Lourde charge

Le tatouage restaurateur des mamelons n’est pas encore remboursé par l’assurance maladie au Québec et au Canada. Kacie et Carmelina – qui se surnomment en riant les nipple sisters, ou les «sœurs du mamelon» – se battent pour que ce service soit reconnu comme essentiel, au même titre que la reconstruction mammaire, notamment en tentant d’éduquer les femmes sur cette pratique et en la démocratisant à leur façon. En 2016, ces deux professionnelles ont lancé Procedures for a Positive Purpose, une initiative qui permet à des femmes qui n’en ont pas les moyens d’avoir accès gratuitement à leurs services grâce à des donateurs anonymes, entre autres. Elles parcourent le pays – et même le monde! – pour aider ces survivantes, sans frais, dans la dernière étape de leur rétablissement. «Pour nous, c’était important de rendre cette procédure accessible, dans la mesure de nos moyens, parce que toutes les survivantes méritent une reconstruction complète, jusqu’au point final, si c’est ce qu’elles désirent», affirme Kacie. «Ce tatouage, c’est une victoire, une célébration», ajoute Carmelina, émue.

*Le féminin est utilisé pour alléger le texte. Il est important de noter que les hommes peuvent aussi être atteints du cancer du sein.

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