Les intervenants et les survivants s’entendent pour le dire: il faut oser parler des pensées suicidaires plus ouvertement, et de la bonne façon. En écoutant les propos de chacun d’eux au cours de la réalisation de ce reportage, on a vite compris que sans minimiser la gravité de ces pensées, il faut cesser de les stigmatiser. Parce que, qu’on le veuille ou non, elles font partie de la vie de nombreuses personnes. Et la honte n’a pas plus sa place dans cette conversation que des mots ou des expressions comme «lâcheté», «besoin d’attention», ou «égoïsme».

«On croit à tort que parler de suicide donnera des idées aux gens, déplore Fannie Laflamme, ancienne intervenante au Centre de prévention du suicide de Québec. C’est faux. Les idées, ils les ont déjà. Ce qu’il faut, c’est aider les personnes qui en ont besoin.»

Selon toutes les personnes consultées pour ce reportage, si la société veut offrir un meilleur soutien et de meilleurs soins aux personnes en détresse, elle doit prendre conscience du fait que les idées suicidaires sont beaucoup plus répandues qu’on le croit, que des personnes de tous les milieux en auront à un moment ou à un autre de leur vie et, surtout, qu’il est tout à fait possible de gérer ces pensées et de les surmonter.

Le suicide n’est pas une maladie en soi, mais bien la conséquence fatale d’une souffrance pour laquelle les gens n’ont trouvé aucun autre remède. Pour ne pas commettre l’irréparable et trouver la voie de la guérison, il faut d’abord traiter la cause de cette intention d’en finir.

«Les pensées suicidaires et les tentatives de suicide sont un symptôme d’un malaise profond, explique Amélie Dallaire, intervenante pour l’Association canadienne pour la santé mentale, mais on les traite trop souvent comme une problématique à part – sans trop savoir comment les gérer – jusqu’au moment où des gestes sont posés et que ça devient une urgence médicale. Cependant, qu’elles soient ponctuelles ou chroniques, les pensées suicidaires surviennent généralement dans un continuum beaucoup plus large qu’il ne faut pas ignorer.»

La fin de la souffrance

Tout le monde le sait, lorsque des idées suicidaires surgissent, il faut demander de l’aide. Le problème, c’est que l’aide en question n’est pas toujours facile à obtenir. «On parle beaucoup de l’importance de demander de l’aide, dit A., 19 ans, survivant de deux tentatives de suicide. Mais on ne parle pas assez de la manière de le faire. C’est difficile de demander; personne ne veut devenir un fardeau pour les autres.» C’est un sentiment partagé par les autres survivantes et survivants interviewés, qui affirment que, quand ils en viennent à penser au suicide, c’est souvent parce qu’ils sentent qu’ils sont une charge trop lourde pour leur entourage. Malgré tout, chacun d’entre eux a un jour décidé d’en parler à quelqu’un, avec un succès variable. Selon eux, l’aide, lorsqu’elle est possible, n’est pas nécessairement adéquate.

«Quand j’ai finalement décidé d’en parler à ma mère, se souvient T., 37 ans, aux prises avec des idées suicidaires depuis l’enfance, j’avais 14 ans. J’étais victime d’intimidation et, ce soir-là, j’avais légèrement égratigné un de mes poignets avec une punaise et j’étais descendu la voir en pleurant. Je ne saignais pas, mais j’avais mal. Elle a “freaké”, a appelé l’ambulance en hurlant, et on m’a admis à l’hôpital contre mon gré. Tout s’est passé dans le drame et la panique, et c’était la dernière chose dont j’avais besoin. Elle a passé des semaines à raconter au voisinage que “son bébé avait voulu mourir”, et évidemment, tout le monde m’a traité différemment par la suite. Je ne lui ai plus jamais parlé de ça après, même si je ressentais le besoin de le faire. J’avais trop honte.»

Notre perception des intentions suicidaires est chargée de considérations d’ordre moral ou religieux, car le suicide a longtemps été considéré comme un péché impardonnable (et il le demeure, pour certains). Inévitablement, cela teinte notre réaction lorsqu’un proche nous confie avoir voulu s’enlever la vie. C’est pourquoi, selon Fannie Laflamme, il est crucial de mieux outiller la population afin qu’elle se sente moins désemparée devant des personnes en détresse psychologique. À moins qu’il ne soit question d’une tentative ou d’une menace de passage à l’acte imminent – qui sont alors des urgences médicales –, mieux vaut garder son calme et aborder la situation avec compassion plutôt que de céder à la panique.

«Il faut éduquer la société sur ce que sont des idées suicidaires, de quoi elles découlent et comment on peut prévenir un passage à l’acte, explique Mme Laflamme. Quand une personne a une idée suicidaire, ça ne signifie pas qu’elle est en danger de mort immédiat. Si on ne sent pas outillé pour soutenir un proche en détresse, on peut tout de même l’aider à trouver une ressource appropriée, ce qu’il n’a sans doute pas la force de faire.»

Dans la majorité des cas, les idées noires ne seraient pas un désir de mourir, mais plutôt un besoin de cesser d’avoir mal. «C’est la première question que je pose à mes clients, quel que soit leur état, relate Amélie Dallaire. “Est-ce que tu veux mourir ou arrêter de souffrir?” La réponse est toujours la même. “Je n’en peux plus d’avoir mal.” Le simple fait de prononcer ces mots, d’en prendre conscience, et d’être en face d’une personne qui pourra nous aider à déterminer la racine de cette douleur, redonne énormément de pouvoir à quelqu’un qui se sent au bout du rouleau. Nommer sa souffrance, c’est un pas dans la bonne direction.»

«L’urgence d’un hôpital, ajoute-t-elle, n’est malheureusement pas l’endroit idéal pour obtenir le soutien individuel à long terme dont ont souvent besoin les personnes en détresse. Il faut en effet faire des recherches pour trouver des organismes communautaires qui ont pour mission d’aider les personnes aux prises avec des problèmes de dépression, d’anxiété, de troubles de l’humeur, etc.»

Rester à l’écoute

Selon les survivantes et les survivants, ce dont on ne parle pas assez, c’est du fait que, même lorsqu’une personne obtient de l’aide et parvient à s’éloigner du précipice, le chemin à parcourir ensuite risque malgré tout d’être parsemé d’embûches.

«Les pensées suicidaires, pour moi, font tout simplement partie de la vie, précise M., 42 ans. On parle beaucoup de l’idéation suicidaire comme d’un état de crise, mais elle peut aussi faire partie des symptômes d’une dépression fonctionnelle chronique, comme dans mon cas; je dois en arriver à accepter que ces pensées ne disparaîtront sans doute jamais. Elles se gèrent, et j’ai cessé de les voir comme un échec; elles sont plutôt un signal d’alarme qui m’indique qu’il me faut prendre soin de moi. Avec le temps, je sais davantage reconnaître ce qui les déclenche et adopter des habitudes qui me protègent. Je sais que ça peut faire peur, mais c’est intéressant de comprendre que ces pensées peuvent revenir, mais qu’elles ne me tueront pas. Je vais apprendre à vivre avec, et à être heureuse… une bonne partie du temps.»

Il est tout à fait possible de vivre – et de vivre heureux – même en ayant des idées noires, mais il faut demeurer vigilant. Aux dires des survivants, il peut être bon de dédramatiser ses pensées, mais l’espoir d’aller mieux un jour réside également dans la capacité à reconnaître ces pensées pour ce qu’elles sont: un signe très clair d’une santé mentale fragilisée. Quelle que soit leur intensité, elles demeurent un symptôme à ne pas négliger ni minimiser. Lorsque l’idéation et le comportement suicidaires sont récurrents ou surviennent chez les ados, ils sont malheureusement trop souvent relégués au rang de «besoin d’attention».

«Si notre enfant se mutile ou nous parle de suicide, au lieu de le blâmer de vouloir de l’attention, pourquoi ne pas comprendre qu’il a justement besoin d’attention et lui en donner? se demande Robert*, père d’un adolescent survivant. Ça n’a aucun sens de voir la détresse psychologique grave comme un signe de faiblesse! Quand notre enfant nous envoie un appel à l’aide, il faut y répondre, non pas le juger de souffrir ainsi. S’il en est rendu là, c’est probablement qu’on a raté plusieurs signaux qu’il nous avait envoyés avant. Ce n’est pas toujours évident de se connecter avec notre ado, mais c’est à nous de faire des efforts continus pour garder les canaux de communication ouverts, afin que le jour où ça n’ira pas, il soit capable de venir vers nous.»

Mille et un visages

Selon Martin Enault, porte-parole de l’organisme Revivre – qui offre des services d’aide et des formations d’autogestion aux personnes aux prises avec l’anxiété, la dépression et les troubles de l’humeur –, pour garder les canaux de communication ouverts, il faut commencer par se défaire de nos idées préconçues au sujet des personnes souffrant d’idéation suicidaire, qu’il qualifie de fausses et de nuisibles. Cet entrepreneur, conférencier et PDG lutte contre l’anxiété et la dépression depuis toujours, et c’est pour attirer l’attention sur les différents visages des troubles de la santé mentale qu’il a décidé de s’engager auprès de l’organisme Revivre. «On croit à tort que les problèmes de santé mentale n’affectent qu’un seul type de personnes, dit-il, alors que celles qui en souffrent se trouvent dans toutes les sphères de la société. Les idées suicidaires touchent une multitude de personnes haut placées dans tous les domaines.» Par son engagement, il espère combattre les préjugés associés associé à la maladie mentale et montrer par l’exemple qu’elle n’est pas un obstacle au succès professionnel, financier ou interpersonnel.

«C’est facile de voir quelqu’un qui pense au suicide comme un loser, vivant seul dans son sous-sol; mais ce n’est pas ça, la réalité. Les gens qui songent à mourir sont partout, à vivre leur vie, à faire de leur mieux dans un système mal fait et épuisant où il est difficile de se retrouver.» Dans le milieu de travail de Martin Enault, où l’image de soi est tellement forte qu’on croirait que tout le monde maîtrise pleinement sa vie, la souffrance psychologique est aussi présente que n’importe où ailleurs. «Je connais une tonne d’entrepreneurs qui ont des idées suicidaires et qui n’en parleront jamais, confie-t-il. Pourtant, parler, ça aide tout le monde; près de la moitié de la population vit avec un trouble de santé mentale! C’est important pour moi de combattre les préjugés et d’utiliser mon privilège en tant qu’individu pour illustrer la diversité qui existe parmi les personnes vivant avec ces problèmes-là.»

Quelques ressources

  • Association québécoise de prévention du suicide aqps.info
  • Association canadienne pour la santé mentale cmha.ca 
  • Revivre revivre.org
  • Centre de prévention du suicide de Québec cpsquebec.ca
  • Ligne d’intervention nationale: 1 866 APPELLE

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