La sobriété serait-elle le nouveau noir? Blake Lively, Jennifer Hudson, J. Lo, Kim Kardashian… Un nombre grandissant de célébrités font une croix – totale ou partielle – sur l’alcool.

Mais pas besoin d’être une vedette pour décider de mettre volontairement un frein à sa consommation de vin et de cocktails. Plusieurs professionnelles dans la trentaine et la quarantaine font ce choix. Pas parce qu’elles en sont rendues à cacher leurs bouteilles vides dans le bac de recyclage des voisins. Il s’agit plutôt de femmes qui ont pris conscience du fait qu’elles devenaient dépendantes de leurs verres de vin le soir et que cette habitude avait des conséquences sur leur qualité de vie et leur santé (sommeil agité, maux de tête, teint brouillé, gain de poids… Ça vous dit quelque chose?). Elles choisissent donc de prendre une pause prolongée de l’alcool. L’an dernier, 67 % des participants au défi Les 28 jours les plus longs de ta vie, qui consiste à s’abstenir de boire durant le mois de février, étaient des femmes. Certaines vont plus loin et s’abstiennent pendant 100 jours ou un an. Après avoir relevé ce genre de défi, quelques-unes arrêtent de boire pour toujours. D’autres (rassurez-vous!) opteront pour la «semi-sobriété», c’est-à-dire qu’elles diminueront considérablement leur consommation d’alcool.

Quand un verre devient une bouteille

Il faut dire que nous ne donnons pas notre place quand vient le temps de lever le coude. L’abus d’alcool est en hausse dans la plupart des pays développés, et les femmes sont le moteur de cette croissance. Des vins aux noms aussi évocateurs que MommyJuice, Skinnygirl et Happy Bitch (!), qui visent clairement le marché féminin, ne sont sans doute pas étrangers à ce phénomène… On a beau tenter de se faire croire que notre consommation est modérée, dans les faits, il en est souvent autrement.

Saviez-vous, par exemple, que selon l’étude qu’Éduc’alcool a réalisée en 2012, les Québécois boivent en moyenne 3,3 verres par semaine? Oui, oui, vous avez bien lu. Par se-mai-ne. Je ne sais pas pour vous, mais moi, c’est ce que j’avais l’habitude de boire presque chaque soir en écoutant deux épisodes de Scandal. Il m’arrivait même parfois de carrément finir la bouteille. Comme Olivia Pope, le personnage principal de la série…

Quand j’ai décidé d’arrêter de boire au début de l’année (et d’abandonner Scandal au profit de Gilmore Girls…), je me suis vite rendu compte que j’étais loin d’être la seule à entretenir une relation dysfonctionnelle avec l’alcool. Les communautés virtuelles et les blogues sur le sujet se multiplient: Soberistas, Living Sober, Sexy Sobriety, Sober is the New Black… Les livres aussi. On assiste à un véritable boum dans les pays anglo-saxons. «J’ai l’impression que la sobriété chez les femmes est une tendance émergente», confirme la Britannique Lucy Rocca, qui a lancé Soberistas en 2012 et a publié quatre livres sur ce sujet. Dès la première année, le site a attiré 15 800 membres, et il en compte maintenant plus de 30 000. De ce nombre, 90 % sont des femmes âgées de 30 à 50 ans.

La sobriété 2.0

Pourquoi ce sujet connaît-il un tel succès en ligne? Parce que beaucoup de femmes qui, comme moi, sont nées sans bouton Modération (il était en rupture de stock cette journée-là et, si j’en juge par ce que je lis dans les blogues et sur les sites, il a été back order à plus d’une reprise!) ne se tournent pas vers les Alcooliques Anonymes pour chercher du soutien. Elles ne se reconnaissent pas dans ce mouvement. Elles se tournent plutôt vers Internet.

C’est le cas de Lucy Rocca, qui a arrêté de boire en 2011. «Je n’avais pas envie d’aller chez les AA parce que je ne me suis jamais considérée comme une alcoolique. Je buvais trop le soir, mais j’étais fonctionnelle au travail le lendemain et j’étais capable de m’occuper de ma fille. De plus, je suis athée, et l’aspect « religieux » me rebutait. Et en tant que mère de famille monoparentale, il m’aurait été difficile de me déplacer pour assister aux rencontres. » C’est ainsi qu’elle a créé Soberistas, un espace en ligne axé sur l’idée de communauté. «Ce site permet aux femmes de briser l’isolement, de parler ouvertement, sans être jugées, de la place qu’occupe l’alcool dans leur existence et de ses nombreux effets », explique la fondatrice. On y trouve des blogues, des conseils, des webinaires avec des spécialistes, un club de lecture, une foule de liens intéressants et pertinents.

«L’alcool est le stéroïde de la femme moderne: une substance qui lui donne la force d’affronter le monde complexe d’aujourd’hui et lui permet de faire face à ses différentes responsabilités», souligne Ann Dowsett Johnston, auteure de l’essai Drink: The Intimate Relationship Between Women and Alcohol. Forcément, ça peut avoir une incidence sur notre vie. «Certaines femmes considèrent qu’elles n’ont pas autant de patience avec leurs enfants qu’elles le voudraient, d’autres trouvent que l’alcool affecte leur performance au travail. Même si leur consommation n’a pas de conséquences dramatiques, elles sentent bien que quelque chose ne tourne pas rond. Elles ont envie de voir à quoi ressemblerait leur vie sans alcool», explique pour sa part la pétillante Rebecca Weller, de Sexy Sobriety, un site au design aussi léché que celui de Goop. Cette coach en santé de 40 ans a décidé en 2014 d’arrêter de boire pendant 100 jours et s’est sentie tellement bien qu’elle a poursuivi l’expérience. Elle a lancé son site en novembre dernier pour aider celles qui ont envie de suivre son exemple. Elle souhaitait présenter la sobriété comme une aventure et non pas comme une privation.

TEST: Êtes-vous alcoolique?

Celles qui s’inscrivent à son défi de 90 jours (moyennant 99 $, soit le prix de trois ou quatre bouteilles de vin) ont accès à des recettes de mocktails (boissons sans alcool), des peptalks, des entrevues inspirantes, etc., le tout présenté de façon sexy et humoristique. Attention, toutefois: si votre version d’eau citronnée est additionnée de vodka ou que votre jus vert matinal tire plutôt sur le rouge et est vendu en bouteille à la SAQ, il serait peut-être sage de consulter un professionnel de la santé au lieu de tenter l’aventure de la sobriété en ligne..

L’abstinence sans pénitence?

La confiance, l’estime de soi, la créativité, la productivité, voilà quelques-uns des effets bénéfiques que la sobriété procurerait. «Une fois que les femmes ont acquis des outils plus santé pour gérer leur stress quotidien, comme une meilleure alimentation ou la méditation, elles constatent souvent que l’alcool ne leur manque pas du tout», soutient Rebecca Weller.

Arrêter de boire change-t-il vraiment la vie? À en croire les divers blogues et les livres publiés sur le sujet, on serait porté à croire que oui. La linguiste Danièle Archambault, auteure d’Une année sans alcool, se montre plus circonspecte. Son webcomic, une oeuvre de fiction basée sur son expérience personnelle, ses observations sur le monde qui l’entoure et ses recherches sur la place de l’alcool dans la société, raconte l’expérience de Catherine, une jeune femme dans la trentaine qui décide de ne pas boire pendant une année. Difficile de ne pas se reconnaître dans ce personnage quand on tente soi-même cette aventure. Je pense entre autres au moment où, après quelques mois d’abstinence, Catherine s’aperçoit, en montant sur le pèse-personne, que non seulement elle n’a pas perdu de poids, mais qu’elle en a pris! Une scène d’anthologie… et une situation qui m’est aussi arrivée. Ou encore lorsqu’elle regarde la télévision les premières semaines et prend conscience que tout le monde boit: dans les films, les séries, les émissions de variétés… Pas pour rien que je me suis mise à la lecture!

Bref, bien que Catherine, le personnage imaginé par Danièle Archambault, reconnaisse les effets bénéfiques de la sobriété, elle ne tombe pas dans le dithyrambe pour autant. Il faut dire que ce certain engouement pour la sobriété volontaire laisse l’auteure dubitative. «Pour Catherine, ne pas consommer d’alcool, ça n’a rien de glamour. Au contraire! Les gens sont convaincus que si elle a arrêté de boire, c’est parce qu’elle est alcoolique. Et plus quelqu’un arrête longtemps, pire c’est. Elle sent le jugement dans les regards posés sur elle», déplore la linguiste.

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«Nous vivons dans une culture « alcogénique », où il est considéré comme « anormal » de ne pas boire, rappelle Ann Dowsett Johnston. C’est un défi permanent de demeurer sobre.» Danièle Archambault est d’accord: «Autant Catherine ne cherche pas à convaincre les gens d’arrêter de boire, autant elle aimerait qu’on ne cherche pas à la convaincre de boire!» Mais les mentalités sont peut-être en train de changer. Quelques bars trendy sans alcool ont récemment vu le jour en Europe et aux États-Unis. À Stockholm, des soirées sobriété pas ringardes attirent les foules. Effet de mode ou tendance lourde? Difficile à dire pour le moment, mais on lève notre verre (de jus) à ces initiatives.

Femmes, alcool et santé: c’est trop injuste…

Les femmes ne métabolisent pas l’alcool de la même façon que les hommes (non, nous ne sommes pas leurs égales sur ce plan!). Les risques pour la santé augmentent donc plus rapidement chez les femmes. Et ce, non seulement lorsque leur consommation d’alcool est supérieure aux recommandations formulées dans les Directives de consommation d’alcool à faible risque du Canada (10 verres par semaine, à raison d’un maximum de deux consommations par jour), mais aussi lorsqu’elle est modérée. On parle d’accroissement du risque de cancers des voies aérodigestives supérieures, de cancer du foie, de cancer du sein et de cancer colorectal, de cirrhose, d’hypertension artérielle, de diabète… Cheers!

Elles témoignent

Julie, 39 ans, relationniste de presse

«L’automne dernier, j’ai cessé de boire durant un mois. J’avais eu un été assez festif avec mes amis (rires), et mon travail m’amène à aller dans des lancements, des ouvertures de restos, des premières, des évènements où l’alcool coule à flots. Je voulais savoir si j’étais capable d’arrêter tout un mois. La réponse est oui. Je n’ai pas trouvé ça dur. J’ai trouvé ça plate, par contre! (rires) Je me demandais comment j’allais « dater » sans prendre un verre. Ce n’est pas facile de rencontrer un gars pour la première fois et de ne commander que du Perrier! Parfois, ça me manquait aussi de ne pas boire chez moi. Quand je m’installais dans mon divan avec un verre de vin, je prenais du temps pour moi. Mais je me suis aperçue que je pouvais prendre du temps pour moi sans prendre d’alcool. Je réfléchis désormais davantage aux verres que je vais boire… et à ceux que je ne boirai pas.»

Marie-Ève, 34 ans, designer

«Je n’avais pas de limites concernant l’alcool. Un verre de vin, ce n’était jamais assez. J’étais capable de ne pas boire pendant deux ou trois jours, mais je savais que j’avais un problème. En plus, j’avais pris du poids, je me sentais « encrassée ». Bref, j’avais envie de faire un grand ménage de printemps. Avec l’aide d’une nutritionniste, j’ai entrepris d’éliminer le sucre de mon alimentation. J’ai donc dû renoncer à l’alcool pendant trois mois. Les premières semaines, ç’a été l’enfer! Je ne sortais plus, je ne voyais plus mes amis; la tentation était trop forte. Puis j’ai trouvé ça plus facile. Et après le troisième mois, j’ai décidé de continuer parce que les effets bénéfiques étaient trop tripants. J’avais plus d’énergie, je dormais beaucoup mieux. Je ne me lève plus le samedi à 13 h à cause d’un lendemain de veille. Au contraire, je profite à fond de mes weekends, j’ai le temps de faire plein de choses. C’est un des aspects que j’apprécie le plus. Je ne dis pas que je ne boirai plus jamais. Ça m’est arrivé à deux occasions durant les vacances. Ça n’a toutefois rien à voir avec ma consommation d’avant. Je sais maintenant que je peux avoir du fun dans un party ou dans un souper sans être obligée de consommer de l’alcool. Mais, avoue-t-elle, il y a un hic: j’ai recommencé à fumer, moi qui avais arrêté depuis plus de deux ans…»

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