Je viens d’une famille de chasseurs et de pêcheurs. Mon grand-père adorait taquiner la truite et pouvait fileter une perchaude les yeux fermés. Le cousin de mon père, lui, a possédé une pourvoirie pendant de nombreuses années. Quant à ma mère, elle a déjà abattu un orignal! Pour ma part, malheureusement, je ne semble pas avoir hérité de ce gène du coureur des bois. À preuve, je ne compte plus les fois où j’ai emmêlé le fil de ma canne à pêche à force de mouliner à l’envers et j’ai déjà failli me tirer dans un pied avec la carabine à plombs de mon frère! Pourtant, lorsque la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs (FédéCP) m’a invitée à participer au programme Fauniquement femme, j’ai sauté sur l’occasion. Grâce à cette fin de semaine d’initiation à la chasse et à la pêche, j’espérais bien pouvoir prouver à mes proches que je n’étais pas une cause perdue…

Au mois de juillet dernier, armée de mon courage et du meilleur chasse-moustiques qui soit, j’ai donc pris place à bord du train Montréal-Jonquière, en direction de la Seigneurie du Triton. Cette prestigieuse pourvoirie – elle a déjà été fréquentée par Winston Churchill et des membres de la famille Rockefeller -, située un peu au nord de La Tuque, accueille le camp Fauniquement femme depuis sa création, en 1999. C’est dans ce havre de paix et de verdure que la vingtaine de participantes et moi-même allons apprendre à apprêter une truite fraîche, à pêcher à la mouche et au lancer léger, à tirer à l’arc, à la carabine et au fusil, de même qu’à manier un moteur hors-bord.

«Comme son nom le laisse entendre, le camp Fauniquement femme s’adresse exclusivement à la gent féminine, explique Stéphanie Vadnais, responsable des relations publiques pour la FédéCP et coordonnatrice du programme. Il vise à stimuler la relève, car il y a quelques années, le nombre d’adeptes de la chasse et de la pêche était à la baisse. Or, dans ce domaine, la relève ne passe pas seulement par les jeunes, elle repose aussi sur les femmes.»

L’initiative semble avoir porté ses fruits car, depuis son lancement, quelque 40 000 Québécoises ont suivi l’un des cours du Programme d’éducation en sécurité et en conservation de la faune, lesquels mènent à l’obtention du certificat du chasseur. Du côté de la pêche, plus du tiers des permis sont désormais délivrés à des femmes.

Apprendre à l’abri du regard 
des hommes


Il faut dire qu’en participant au programme Fauniquement femme, on attrape rapidement la piqûre! D’abord, le fait de se trouver uniquement entre apprenties chasseuses et pêcheuses crée un climat beaucoup plus propice à l’apprentissage et au dépassement de soi. «Lorsqu’on va à la pêche, mon chum et moi, c’est toujours lui qui conduit la chaloupe. En fin de semaine, mon objectif, c’est d’apprendre à manier le moteur moi-même», m’explique Isabella, pendant que le train longe la majestueuse rivière Saint-Maurice. Le lendemain, lorsque cette trentenaire prend les commandes de sa propre embarcation, après avoir soigneusement écouté les explications de Rachel, notre monitrice, un large sourire illumine son visage: «Je vais enfin pouvoir aller pêcher toute seule!»

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Tout comme Isabella, Cindy s’est inscrite dans le but de devenir le plus autonome possible. «Mon conjoint est un maniaque de chasse et de pêche et, comme j’ai moi-même un intérêt pour la nature, j’aimerais beaucoup l’accompagner dans ses sorties. J’espère que cette formation me permettra de le suivre sans que je dépende de lui», dit-elle.

D’autres souhaitent plutôt profiter de cette occasion pour initier une amie ou une parente à leur passion. «Quand j’étais petite, mon père m’amenait toujours à la chasse avec lui et, en grandissant, j’ai continué à pratiquer ce sport. Plus tard, j’ai transmis ma passion et mon savoir à mon mari, qui n’avait jamais chassé auparavant. Aujourd’hui, il est aussi mordu que moi, si ce n’est plus! Cette fois-ci, c’est ma belle-mère que j’initie. Je me suis donc inscrite avec elle», révèle Kathy, qui est sans doute la participante la plus expérimentée de notre groupe.

Des mentores en or

La passion et la vaste expérience des monitrices – toutes bénévoles – est un autre ingrédient qui fait le succès de Fauniquement femme. Bien que je n’aie jamais vraiment aimé taquiner le poisson – ne vous demandez pas pourquoi petite, je finissais toujours par faire plein de nœuds dans le fil de ma canne -, j’aurais pu écouter Joannie De Lasablonnière, notre professeure de pêche à la mouche, pendant des heures! Non seulement est-elle une excellente conteuse d’histoires de pêche, mais elle sait vulgariser comme nulle autre les techniques du parfait moucheur. Un exemple? Pour expliquer le mouvement de balancier que doit effectuer la main pour réussir un beau lancer, elle ne prononce que deux mots: oreille et… téton. «Je suis coordonnatrice de la maison des jeunes Point de mire, à Montréal. Il y a une vingtaine d’années, notre directeur a lancé un programme d’initiation à la pêche à la mouche pour les adolescents qui fréquentent notre organisme. Lorsqu’on leur dit « oreille, téton », ils pouffent tous de rire, mais ils comprennent le principe et ils s’en souviennent», explique celle qui est l’une des seules femmes au pays à être instructrice de pêche à la mouche certifiée par l’International Federation of Fly Fishers. Il n’y a pas de doute, les participantes de la 16e édition de Fauniquement femme, moi la première, ne sont pas près d’oublier comment déployer correctement leur ligne!

Gisèle Pétrin-Bahl et Manon Goudreau, les deux responsables de l’atelier sur le tir au fusil et à la carabine, font elles aussi des miracles. Car si certaines participantes ont déjà joué de la gâchette, d’autres ont une véritable phobie des armes à feu. «J’ai peur à cause de la représentation que les médias en font, parce que c’est dangereux et parce que les accidents arrivent si vite avec des armes à feu. Or ce genre d’accident n’est pas banal… Ce n’est pas comme une écharde dans un doigt!» me confie Mariève qui, la veille de l’atelier, ne savait toujours pas si elle parviendrait à surmonter cette peur. Heureusement, les monitrices ont su trouver les bons mots pour la mettre en confiance, et la jeune maman a fini par faire feu. «Finalement, ce n’était pas si pire que ça!»

De la théorie à la pratique

À l’instar de Mariève, la cinéaste Julie Lambert avait une peur bleue des armes à feu. «J’étais du genre à figer quand j’en voyais une», raconte-t-elle. Au cours de l’été 2013, elle a tout de même participé au camp Fauniquement femme, afin de se préparer pour le tournage de son documentaire Un film de chasse de filles. «J’avais vraiment la trouille lorsque je me suis présentée à l’atelier de tir. Mais dès que j’ai appuyé sur la détente, il s’est produit un déclic: non seulement je n’avais plus peur, mais en plus, j’aimais ça! Malgré tout, je me disais que je ne serais jamais capable de tirer sur un animal», dit-elle.

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Quelques mois plus tard, après avoir accompagné plusieurs chasseuses sur le terrain, la réalisatrice attendait elle-même, carabine à l’épaule, qu’un chevreuil pointe le bout de son museau devant sa cache. «Jusqu’à la toute dernière seconde, je me suis demandé si j’aurais le courage de presser la détente le moment venu. Et je l’ai fait.» Cette végétarienne convertie a choisi de faire empailler sa prise. «Il s’agit probablement du plus petit chevreuil empaillé au monde, mais je voulais vraiment tout conserver de lui, afin de lui rendre honneur», explique-t-elle.

Julie compte bien remettre ça, cet automne. «Je n’ai plus de viande de bois dans mon congélateur; il est temps que je fasse des réserves!» Quelques participantes de ma cohorte, dont Cindy et Kathy, envisagent elles aussi de demander leur permis de chasse cette année. D’autres, comme Annie et Anne-Sophie, planifient un voyage de pêche entre filles.

Quant à moi, je me suis découvert une véritable passion et même un certain talent pour le tir à l’arc. J’ai en effet été la première de mon groupe à atteindre le cœur de la cible! Cible que j’ai d’ailleurs ramenée fièrement à la maison, afin de prouver aux membres de ma famille qu’à défaut d’avoir hérité de leur gène du coureur des bois, j’avais peut-être hérité de celui de Robin des Bois…

Partie de chasse pour femmes seulement

S’il est assez facile d’organiser une sortie de pêche, une partie de chasse, elle, demande un peu plus de préparation et d’équipement. Or, une fois leur séjour à la Seigneurie du Triton terminé, bien des participantes de Fauniquement femme souhaitent poursuivre leur apprentissage des différentes techniques de chasse sur le terrain. Pour répondre à cette demande, Hélène Larente, l’une des monitrices du camp, qui est également directrice générale de la zec Dumoine, en Abitibi-Témiscamingue, a mis sur pied le programme Cerfemme, qui initie chaque automne une poignée de nouvelles femmes à la chasse au cerf de Virginie. Depuis quelques années, elle organise également des séjours d’initiation à la chasse à l’ours, réservés aux femmes. De plus, elle a récemment lancé un projet-pilote de chasse
 à l’orignal, lui aussi destiné uniquement aux apprenties chasseuses. Qui a dit que la chasse était une chasse gardée masculine?  

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