Reportages
Pourquoi sommes-nous fascinés par l'horreur?
Il ne se passe pas une semaine sans qu'un film d'horreur sorte sur nos écrans et cartonne au box-office. Pourquoi sommes-nous si fascinés par la peur? Des spécialistes nous répondent.
par : Marie-Claude Fortin- 28 mai 2009
De tout temps, les hommes ont joué à se faire peur. Les monstres et chimères de la mythologie grecque, les loups mangeurs d’hommes des contes pour enfants, les Dracula, Frankenstein et Docteur Jekyll de la littérature du 19e siècle hantent encore aujourd’hui l’imaginaire collectif. Au cinéma, le genre connaît un succès qui ne se dément pas. À preuve, les innombrables suites et remakes que nous avons connus, ces dernières années, de Exorcist: The Beginning à Dawn of the Dead, remake du film culte de George A. Romero.
Pourquoi sommes-nous attirés par les images sanglantes et les monstres en liberté? Qu’est-ce qui nous fascine dans le spectacle d’un Hannibal Lecter (Le silence des agneaux) dégustant à la petite cuillère la cervelle de sa victime encore vivante? «Le plaisir que nous ressentons devant un film d’horreur est similaire à celui qu’on éprouve lors d’un tour de montagnes russes, fait remarquer Frank Lafond, auteur de Cauchemars américains – Fantastique et horreur dans le cinéma moderne. On saute sur notre siège, on retient notre souffle dans les moments de tension, bref, on reçoit une bonne dose d’adrénaline, sans que cela ait des répercussions à long terme. Jouer avec sa peur, c’est retourner en enfance.»
Pour nombre de spécialistes interrogés, les films d’horreur représentent effectivement l’équivalent contemporain des histoires qui ont bercé nos jeunes années. Selon Stéphane Bourgoin, auteur de nombreux essais sur le cinéma d’horreur et les tueurs en série, Hannibal Lecter est donc l’incarnation moderne de l’ogre des contes qui nous terrifiait, enfants.
Carrie / Photo: Aquarius collection
La peur par procuration
«Je ne crois pas aux fantômes… mais j’en ai peur!» disait une femme de lettres du 18e siècle. Pour Norbert Spehner, spécialiste des littératures de genre, cette déclaration ambiguë à souhait exprime bien la subtilité de notre relation à la frayeur. «Vivre, c’est ressentir des émotions: l’amour, la haine, mais aussi la peur…», commente l’auteur de plusieurs ouvrages bibliographiques sur le fantastique, la science-fiction, le roman policier et les tueurs en série. «Or, il se trouve que pour nous qui vivons dans un certain confort matériel, la peur est devenue un luxe. Et de toutes nos émotions, c’est celle qu’on a, Dieu merci!, le moins l’occasion de ressentir.»
Ainsi, si nous allons voir des films d’horreur et lisons des romans de Stephen King ou de Patrick Senécal, c’est en quelque sorte pour «compenser», pour vivre par procuration une expérience inédite. «Une fois le film terminé ou le livre fermé, poursuit le spécialiste, nous nous retrouvons bien à l’abri, dans notre cocon douillet, et contents d’être en vie.»
«L’être humain a cette particularité extraordinaire de pouvoir éprouver des émotions alors qu’il sait qu’elles se rapportent à des fictions», fait remarquer Serge Tisseron, psychiatre, psychanalyste, auteur de nombreux essais dont Comment Hitchcock m’a guéri. «Quand vous allez au cinéma, vous pleurez, vous riez, vous êtes angoissé ou terrifié comme si c’était vrai mais, une fois le film terminé, tout est fini. Et c’est drôlement bon, c’est extraordinairement vivifiant de ressentir la peur tout en sachant qu’on peut y mettre fin à tout moment.»
Malheureusement, il en va autrement dans la réalité. Là, nous n’avons pas de contrôle sur l’effroi que suscitent les journaux et les émissions télévisées, avec les faits divers abominables, les images insoutenables de terroristes décapitant leurs otages, les corps mutilés et les enfants mourant de faim.
À en croire certains spécialistes, c’est d’ailleurs l’impuissance que nous ressentons face aux horreurs de l’actualité qui nous pousse à consommer des films et des romans d’horreur.
Photo: Festival Spasm
À chacun ses traumatismes
«Comme nous sommes pris d’angoisse devant ces images terrifiantes, commente Serge Tisseron, nous cherchons d’autres images qui seront tout aussi effrayantes, mais fictives, et qu’on verra dans un contexte où on aura, cette fois, la possibilité de se rassurer à tout moment en se disant que c’est du cinéma.»
Outre le rôle cathartique que jouent dans nos vies la littérature et le cinéma d’horreur, notre attirance pour les fictions de ce genre pourrait aussi être très révélatrice de notre personnalité. Selon le psychiatre Serge Tisseron, nous choisirions tel ou tel type de film (zombies, tueurs en série, violeurs, etc.) en fonction de nos propres angoisses. «Dis-moi quels sont les films d’horreur que tu recherches, et je te dirai, non pas qui tu es, mais ce que tu redoutes, explique-t-il. Les gens s’orientent vers certains films plutôt que d’autres sans toujours comprendre pourquoi.
Or, quand on a l’occasion d’en discuter avec eux – et c’est mon métier, de parler avec eux de leur histoire, de leurs inquiétudes ou de leurs traumatismes –, on s’aperçoit qu’ils recherchent souvent, à travers la fiction, à tourner autour de leurs traumatismes ou de leurs angoisses intimes.»
«On peut ainsi être en quête d’images qui correspondent à des pensées ou à des désirs cachés, enchaîne le psychiatre. Il se peut également qu’elles fassent écho à des expériences traumatiques réellement vécues. Par exemple, quelqu’un qui a subi des punitions corporelles dans son enfance va avoir tendance à choisir des films où on en montre. Il va aller voir une sorte de mise en scène de ce qu’il a vécu, pour pouvoir peut-être ensuite le penser autrement, ou le penser à travers la fiction.»
Mais il y a aussi ce qu’il appelle des «traumatismes d’images». «En Belgique, relate-t-il, une enquête menée auprès des spectateurs d’un important festival du film d’horreur a révélé que les festivaliers allaient voir ce genre de films pour retrouver la terreur qu’ils avaient vécue, enfants, devant des images traumatisantes. Des images qu’ils avaient vues au cinéma, ou aux nouvelles, alors qu’ils étaient trop jeunes pour les comprendre. S’ils y revenaient une fois devenus adultes, poursuit le psychiatre, c’était pour avoir la possibilité, cette fois, de maîtriser la situation.»
Ces traumatismes d’images sont aujourd’hui de plus en plus nombreux chez les jeunes, soutient le psychiatre. «Les enfants voient, à un âge de plus en plus précoce, un nombre grandissant d’images qui ne sont pas faites pour eux. Les enfants qui grandissent en voyant aux nouvelles des images comme celles du massacre de l’école de Beslan, en Ossétie du Nord, iront inconsciemment chercher, quand ils seront plus grands, des images d’horreur qui ressembleront à celles de ce massacre. En ce sens, je crois que les films d’horreur ont un très bel avenir devant eux.»
Les ados, fans d’horreur
Les études le prouvent: le public adolescent est un public payant. Les 15-24 ont de l’argent de poche, ils fréquentent les cinémas sur une base régulière et ont un faible pour le cinéma d’horreur. Aux États-Unis, on a même inventé pour eux les John Carpenter, réalisateur d’Halloween, a contribué à donner au genre ses lettres de noblesse. Le thème de l’adolescent pourchassé par un monstre, qu’il a mis en scène dans Halloween, a donné naissance à d’innombrables variations dont Friday the 13th et la série Freddy’s Nightmares: A Nightmare on Elm Street. Il y a aussi les films d’horreur où l’action se déroule autour d’une bande de collégiens, dont Carrie, de Brian De Palma, est un modèle, et bien d’autres variantes du genre, tels The Faculty, Scream, I Still Know What You Did Last Summer, etc.
«Pour les ados, aller voir des films d’horreur est une façon d’envoyer paître les adultes, leur bonne éducation, leurs bonnes manières et toute leur hypocrisie sociale», observe Norbert Spehner. «C’est affirmer son “mauvais” goût envers et contre tous, et être solidaire des membres de la gang qui aiment tous ça, ou presque.
Période de sexualité exacerbée, l’adolescence est aussi le terrain idéal pour flirter avec le couple Éros et Thanatos (les pulsions du sexe et de la mort), qui sont les deux composantes de ce type de films – les histoires de vampire en étant l’illustration parfaite.»
«En allant voir un film d’horreur, fait aussi remarquer Jean-François Vézina, psychologue et auteur de Se réaliser dans un monde d’images, l’adolescent recherche, dans le parcours du héros, quelque chose qui va l’aider à affronter à son tour ses propres peurs.» On comprend leur succès.
Photo: Festival Spasm
Article publié originalement dans le magazine ELLE QUÉBEC
Infolettre
Abonnez-vous pour ne rien manquer des tendances phares et des dernières actus mode, beauté, célébrités, lifestyle.
À lire
Style de vie
Cours de cuisine en ligne : Apprenez avec les plus grands chefs
Soir ou weekend, en solo ou en groupe, les cours de cuisine en ligne, qu’ils proposent de la bouffe réconfort ou exotique, font recette.
par : Lynne Faubert- 03 oct. 2024
Style de vie
#BOUCHEOUVERTE et tête penchée
Notre cheffe de contenu culture et société, Laurie Dupont, instigatrice à sa propre surprise du mouvement #BOUCHEOUVERTE, nous raconte la genèse de ce mot-clic qui est sur toutes les lèvres.
par : Laurie Dupont- 02 oct. 2024
Style de vie
Escapade locale: (re)découvrir les beautés de la région de Québec
La région de Québec est connue pour sa nature généreuse, ses paysages magnifiques et sa ville d’une beauté rare, mais également pour son offre culturelle diversifiée, ses nombreuses activités et ses propositions gastronomiques variées. Tour d’horizon d’une région à (re) découvrir cet automne.
par : Elle Québec- 23 sept. 2024