En 2009, elle a contribué à faire adopter la Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée par le gouvernement du Québec. En 2013, elle a réussi, avec l’économiste Ianik Marcil et le médecin Alain Vadeboncoeur, à faire annuler deux émissions de téléréalité sur les mini-miss grâce à une pétition de plus de 50 000 signatures. Et en mars dernier, elle a publié un livre sur le culte de l’apparence, La revanche des moches (VLB éditeur). Dès sa sortie, ce livre a connu du succès, ce qui montre à quel point les femmes – dont Mitsou, qui a reconnu avoir longtemps été obsédée par ses courbes – sont touchées par cette question.

Elle, c’est Léa Clermont-Dion. À peine 23 ans. Féministe depuis son plus jeune âge, bachelière en science politique inscrite à la maîtrise à l’Université Laval, assistante de Stéphane Laporte à l’émission La Voix et… ancienne anorexique.

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À 12 ans, Léa Clermont-Dion voulait mourir. Elle se trouvait «tellement moche!», «tellement laide!», «tellement grosse!» écrit-elle à propos de cet épisode sombre de sa vie dans le chapitre le plus touchant de son essai. Quand on lui demande si elle a découvert les causes de son anorexie, elle avoue sa perplexité: «Encore aujourd’hui, je ne comprends pas pourquoi j’étais si malheureuse. Bien sûr, je voulais être aussi mince que les filles que je voyais dans les magazines et que mes idoles, les Spice Girls. Mais il n’y a pas que ça. Je regardais ma mère et elle ne s’aimait pas. C’est comme si elle m’avait transmis son manque d’estime de soi. Il y a aussi le fait que mes parents se chicanaient tout le temps. C’était difficile. Je traînais aussi un immense spleen. Je ne me sentais pas aimée, je ne comprenais pas le monde dans lequel je vivais et je n’avais personne pour m’expliquer ce que c’était de vieillir.»

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Il aura fallu un séjour d’un mois à l’hôpital Sainte-Justine pour que l’instinct de survie de l’adolescente se manifeste. «J’ai vu des filles qui étaient là depuis trois ans et je me suis dit qu’il fallait que je m’en sorte.»

 

 

Depuis, Léa Clermont-Dion se bat contre ses démons intérieurs, et sa lutte s’est transformée en actions politiques. Après avoir co-instigué la Charte pour la diversité corporelle et s’être battue contre les concours de mini-miss, elle a consacré les trois dernières années à l’écriture de son essai. Son but: comprendre pourquoi nous sommes si obsédées par notre physique et pourquoi nous voulons à tout prix correspondre au stéréotype dominant de beauté: celui de la jeune Californienne blonde, grande et mince, avec des dents blanches et une forte poitrine.

Comment se fait-il que deux Québécoises sur trois voudraient perdre du poids? Que 40% des adolescentes du secondaire sont insatisfaites de leur image corporelle? Que le nombre d’injections de Botox a augmenté de 621% depuis l’an 2000?

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Pour répondre à ces questions, Léa a interviewé 23 personnalités québécoises – des artistes et des experts – qui avaient réfléchi sur le corps et la beauté. «Cette enquête, qui est aussi une quête personnelle, m’a permis de comprendre les causes de cette obsession individuelle et collective», affirme la jeune femme. Voici quelques-unes de ses réflexions à ce propos…

Le pouvoir de l’argent

«Une des premières raisons pour lesquelles ce culte de la beauté est si dominant dans notre société, c’est l’argent», soutient Léa Clermont-Dion. Les compagnies de cosmétiques, l’industrie de la chirurgie esthétique et celle des régimes alimentaires font en effet d’énormes profits en nous vendant du rêve et en nous incitant à nous conformer à cet inaccessible idéal de jeunesse et de minceur. C’est ce qu’on appelle la «marchandisation du corps», explique l’économiste Ianik Marcil, interviewé dans La revanche des moches.

L’omniprésence de l’image

«Difficile de ne pas être obsédé par son image dans notre société actuelle, constate Léa Clermont-Dion. Qu’on soit un homme ou une femme, d’ailleurs.» Nous sommes abreuvés de publicités, incités à gommer nos petits défauts à l’aide de Photoshop, et gavés de téléréalités où de vilains petits canards se transforment en héros quand ils ont maigri et se sont fait relooker. Sans compter Facebook, Instagram et compagnie, qui «boostent» notre narcissisme et placent notre apparence au coeur de nos préoccupations.

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Ce qu’elles lui ont appris

«Ariane Moffatt, qui est un beau modèle parce qu’elle s’assume comme elle est, m’a beaucoup marquée quand elle m’a dit: « On traite le corps comme une PME de nos jours. […] Le corps est presque devenu une business. Tu le « shines », tu investis pour qu’il rayonne. Tu veux le développer et parfois le vendre. »»

«En évoquant la « date de péremption » des femmes, qui correspond au moment où elles ne sont plus en âge de procréer, Pol Pelletier m’a confirmé un point crucial: le fait de vieillir représente une immense difficulté pour les femmes. D’ailleurs, on n’en voit pas, des animatrices ou des journalistes d’âge mûr à la télé, à moins qu’elles n’aient eu recours à la chirurgie esthétique.»

À propos de chirurgie, Léa s’est entretenue avec la journaliste Francine Pelletier, qui avoue s’être fait lisser les poches sous les yeux à l’approche de la cinquantaine. La jeune auteure en retient une leçon: «Francine Pelletier m’a fait réaliser que la chirurgie esthétique n’était peut-être pas quelque chose de si condamnable», écrit-elle. En revanche, Mme Pelletier confie que cette opération l’a profondément déprimée: «Je ne pense pas m’être jamais totalement remise du sentiment de culpabilité qui m’a envahie à ce moment. J’avais succombé au chant de la sirène, à la vanité de l’apparence, à ce qui avait gardé des femmes prisonnières pendant des siècles. […] La chirurgie esthétique est un tabou pour les femmes. Brad Pitt, lui, admet volontiers avoir recours au Botox. Sans même être féministe, la majorité des femmes sent très bien que c’est un retour en arrière, que c’est replonger dans les vieux stéréotypes. Personne n’a envie de se sentir responsable de ce recul.»

L’influence de Nelly Arcan

C’est à l’auteure de Putain et de Folle, morte en 2009, que Léa Clermont-Dion dédie son livre. «C’est vrai que je m’identifie un peu à elle, raconte la jeune auteure, car comme elle, je suis pleine de contradictions: je dénonce le culte de la beauté tout en ayant voulu plaire à tout prix. Cela dit, je trouve que son propos est fondamental. Elle décrit et décrie parfaitement l’aliénation des femmes par rapport à leur image!»

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Cette aliénation, c’est ce que la défunte écrivaine a nommé la «burqa de chair»: un voile d’images et de stéréotypes qui enferment les Occidentales dans une prison où elles doivent sans cesse exhiber un corps jeune, dénudé et sexualisé. «C’est justement pour me révolter contre ce qu’on m’a dit de faire toute ma vie – plaire – que j’ai écrit ce livre, conclut Léa Clermont-Dion. J’aurais aimé que Nelly ait la force de le faire aussi…»

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