La chute des cheveux touche tout le monde. Selon l’Association canadienne de dermatologie, nous perdons environ de 50 à 100 cheveux par jour. Rien de très alarmant jusqu’ici. Selon la Dre Danita Peoples-Peterson, spécialisée en dermatologie et professeure à la Faculté de médecine de l’Université d’État du Michigan, le problème survient lorsqu’on perd ses cheveux par poignées ou qu’ils cessent carrément de pousser. On parle alors d’alopécie, une maladie auto-immune qui s’attaque aux follicules pileux (des jambes, des sourcils, des cils, etc.) et qui peut survenir à n’importe quel moment dans la vie d’un individu, peu importe son âge, son sexe ou son origine ethnique. Elle peut prendre différentes formes: alopécie par aires (alopecia areata), alopécie de traction, alopécie cicatricielle, etc. Qu’elle soit passagère, chronique, héréditaire ou causée par le stress, l’alopécie est une maladie complexe qui dépasse la simple dimension esthétique. 

Le cas de la femme noire

Une étude publiée en juillet 2019 dans le Journal of the American Academy of Dermatology a évalué les probabilités que l’alopécie par aires et ses sous-types surviennent dans la population américaine. L’étude, qui a analysé plus de 11 000 patients appartenant à 5 groupes ethniques différents, a notamment révélé que les Afro-Américains souffrent de ce problème de santé de façon plus marquée que les Blancs et les Asiatiques. Selon les chercheurs, c’est notamment dû à une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux.

Le cas de Jada Pinkett Smith n’est donc pas unique. Plusieurs célébrités noires féminines comme la top-modèle Naomi Campbell, l’actrice Viola Davis ou encore la mannequin et productrice Tyra Banks en ont également souffert. «Les femmes noires, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, ont toujours subi une pression pour qu’elles correspondent aux standards de beauté occidentaux, par exemple en lissant leurs cheveux au lieu de laisser leur texture naturelle, dit la Dre Peoples-Peterson. Si on ajoute une difficulté comme l’alopécie à ce portrait déjà chargé, on alourdit le fardeau à porter.» L’une des formes d’alopécie les plus répandues chez la femme noire est l’alopécie de traction. «Elle est liée aux techniques de soins capillaires, comme le tissage serré à la racine des cheveux, aux tresses hypercompactes, au gel utilisé en grande quantité dans la raie des cheveux, ainsi qu’au port des foulards», explique-t-elle. Cette forme d’alopécie se caractérise par une nuque et des tempes dégarnies, et elle touche le tiers des femmes afrodescendantes dans le monde. 

La face cachée de l’alopécie

En mars dernier, en Indiana, aux États-Unis, une jeune fille de 12 ans s’est suicidée après avoir été victime d’intimidation liée à la perte de ses cheveux. «C’est très déchirant et perturbant. Ça a ravivé en moi de vieux souvenirs associés à l’époque où j’ai reçu mon premier diagnostic d’alopécie», confie Anthony Gilding, directeur de la recherche scientifique de la Fondation canadienne d’alopecia areata (CANAAF), un organisme pancanadien qui vise à soutenir les personnes vivant avec cette maladie, ainsi que leur famille et leurs proches. Une étude qu’il a menée conjointement avec des dermatologues à Toronto met en lumière les obligations financière et mentale reliées à cet état. L’alopécie par aires, aussi appelée «pelade», affecte environ 2 % de la population mondiale et se caractérise par la perte complète ou partielle des poils. «Les taux d’anxiété et de dépression sont particulièrement élevés chez les patients aux prises avec ce type d’alopécie», révèle Anthony Gilding, qui a lui-même commencé à perdre ses cheveux à l’âge de sept ans. «On perd beaucoup plus que ses cheveux; on perd son estime de soi et sa confiance.»

Chauve, noire et belle

Joy Blenman, la créatrice du blogue Joyful Beauty, en sait quelque chose. Son expérience avec l’alopécie par aires a commencé lorsqu’elle n’avait qu’un an, avant de se transformer en alopecia totalis, qui se caractérise par une perte totale des cheveux du cuir chevelu, puis en alopecia universalis, la forme la plus grave de l’alopécie par aires, qui, en plus du crâne, touche le reste du visage et le corps. 

«Comme je n’avais que 13 mois quand ça a commencé, je ne me souviens pas vraiment de la vie avant mon diagnostic, mais je me rappelle avoir ressenti beaucoup de douleur et de tristesse lorsque j’ai commencé à perdre mes cils et mes sourcils à l’âge adulte», confie Joy Blenman, qui travaille aujourd’hui comme responsable marketing principal à Toronto. Son parcours scolaire a été marqué par l’intimidation et le manque flagrant d’éducation dans son entourage. «Il n’était pas rare que les gens fassent des blagues ou des commentaires sur mon apparence physique… que ce soit des enfants ou des parents!» Ce qui l’a aidée? Consulter une professionnelle de la santé. «Parler avec une thérapeute, également noire, qui ne souffrait pas d’alopécie, mais qui pouvait comprendre l’impact culturel de ce que je vivais, et ainsi m’apporter un soutien professionnel adéquat, a été libérateur pour moi.»

Joy Blenman a créé son blogue afin d’inspirer d’autres personnes qui, comme elle, ont toujours cherché à se reconnaître dans les médias, mais qui se butaient sans cesse à une représentation limitée de la femme noire, celle arborant de longues tresses ou une perruque. Elle y partage entre autres des astuces beauté pour les personnes atteintes d’alopécie et invite tout le monde à explorer sa propre beauté intérieure et extérieure. «En grandissant, je me suis sentie incroyablement isolée. Je sais ce que c’est que de ne pas se sentir à la hauteur à cause d’une perte de cheveux. Je veux encourager les gens et leur faire comprendre que les choses s’améliorent peu à peu», affirme la blogueuse.

Un cheveu à la fois

Pour Michal Harewood, cofondatrice de l’Académie Inhairitance, à Montréal, comprendre la science derrière notre type capillaire est nécessaire pour faire face à la perte des cheveux. Elle est atteinte d’alopecia areata et elle se base notamment sur ses recherches à l’Université Concordia pour aider sa clientèle dans le traitement de l’alopécie. «Je me vois comme une solution au problème», affirme celle qu’on surnomme aussi «Natural Hair Whisperer» (Celle qui murmure à l’oreille des cheveux) en raison de ses grandes connaissances en matière de cheveux afros naturels. «Chaque jour, je continue à travailler et à chercher des solutions à ce problème.»

L’Académie Inhairitance, située dans le quartier Saint-Henri, à Montréal, est affiliée au salon de coiffure InHAIRitance et propose des services pour tous les types de textures – que les cheveux soient crépus, frisés ou ondulés –, en plus d’offrir une grande variété de ressources pour traiter des problèmes de santé comme l’alopécie. «Il existe différents types d’alopécie et chacun requiert un œil attentif, des herbes naturelles et un accompagnement psychologique avec un ou une thérapeute», note l’experte.

La chute capillaire de Michal Harewood a commencé il y a 17 ans, à la suite du décès de sa mère. «Après que cette dernière a succombé à son cancer, mes cheveux ont commencé à tomber chaque fois que j’étais stressée. C’était déjà traumatisant, mais mon état a empiré au début de la pandémie», explique-t-elle. La cofondatrice de l’Académie Inhairitance n’est pas du genre à se cacher; elle a donc pris les grands moyens pour traiter sa maladie. «J’avais l’habitude d’aider les gens à faire repousser les cheveux sur leur cuir chevelu, mais, dans mon cas, le vrai problème était d’ordre psychologique.» Tout comme pour Joy Blenman, la thérapie l’a aidée à rebâtir sa confiance en elle, ce qui lui a permis à son tour d’aider d’autres femmes dans sa situation. «L’alopécie est un périple qui est souvent semé d’embûches. Je ne suis plus attachée à ma crinière comme je l’étais quand je portais mes boucles naturelles. Je suis maintenant une baddie ET une baldie

Des solutions existent

Des experts comme Michal Harewood contribuent à la démocratisation de ce savoir auprès de la population, que ce soit par le curriculum de l’Académie Inhairitance ou encore en partageant des conseils sur des techniques comme l’aiguilletage, l’exfoliation du cuir chevelu et l’utilisation d’un shampooing alcalin afin d’apporter des pistes de solution.

Selon la Dre Amy McMichael, professeure et présidente du Département de dermatologie de la Faculté de médecine de l’Université de Wake Forest, en Caroline du Nord, des huiles anti-inflammatoires et stimulantes peuvent également être utilisées pour réduire l’inflammation du cuir chevelu. «Nous essayons de réduire la réponse inflammatoire, car nous savons que les globules blancs attaquent les follicules pileux. L’objectif est donc de traiter le problème à la base, ce qui peut aussi se faire par des antibiotiques ou par l’injection de stéroïdes.»

La spécialiste ajoute que l’important est de détecter et de traiter la maladie le plus tôt possible: «L’alopécie affecte considérablement la qualité de vie d’un individu. Elle peut être permanente, ce qui est parfois déprimant. Si vous commencez à remarquer des symptômes, une douleur ou une sensation de brûlure au cuir chevelu, n’attendez pas qu’une importante perte de cheveux se produise pour consulter un expert. Faites-le d’emblée!»

Vivre pleinement… avec ou sans alopécie

Bonne nouvelle: l’alopécie n’est pas une tare. Elle n’affecte ni les facultés physiques ni les facultés cognitives d’un individu. Elle change une vie, certes, mais elle ne constitue pas une condamnation à perpétuité, comme le dit la blogueuse Joy Blenman. «Il est possible de mener une belle existence tout en étant aux prises avec l’alopécie. À bien des égards, elle peut vous rendre plus courageux, plus curieux, plus confiant et plus empathique envers les autres.»

On parle beaucoup des aspects négatifs de l’alopécie, mais qu’en est-il des points positifs? «Il y a une grande liberté dans le fait de pouvoir changer son apparence et de porter des perruques différentes, ajoute Joy. Il y a de la beauté dans l’alopécie, une beauté très spéciale et unique.»

Comptes instagram à suivre  

L’actrice américaine Jada Pinkett Smith a toujours parlé ouvertement de son alopécie et elle partage régulièrement des capsules vidéo avec ses millions d’abonnés. En prime: beaucoup de looks glamour!

La page Instagram de la blogueuse Joy Blenman regorge de trucs et d’astuces beauté pour les personnes qui veulent en apprendre plus sur l’alopécie ou qui sont simplement à la recherche d’inspiration de looks pour la vie de tous les jours!

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