Manon Garceau: la passion des langues, de Taipei à Barcelone

Manon Garceau, 51 ans, a eu plusieurs vies. Son grand amour des langues l’a amenée à étudier le mandarin dans les années 1990, durant son baccalauréat en études est-asiatiques à l’Université de Montréal. «J’ai toujours été en amour avec le mandarin et la culture chinoise. C’est une véritable passion. Je voulais faire une carrière liée à cette langue, mais je ne savais pas laquelle choisir.»

Pendant ses études, elle transporte ses pénates à Taïwan. «Je savais qu’il fallait que je sois immergée dans un milieu chinois pour parfaire mon apprentissage du mandarin.» Mordue de cinéma, elle annonce à une amie, un peu à la blague, qu’elle part faire des films en Asie.

La blague n’en était pas vraiment une: quelques mois après son arrivée, elle y réalise un court métrage et remporte l’argent au Festival du film de Taipei. Comme la soirée de remise de prix est télévisée, le réalisateur Zheng Youjie, qui cherche une étrangère pour jouer dans son prochain moyen métrage, la remarque. C’est ainsi que, sans même passer d’audition, Manon se retrouve en tête d’affiche d’Un été à Shiding. «C’est l’une des plus belles expériences de ma vie, même si mon chinois n’était pas aussi bon à l’époque qu’aujourd’hui. Le film a été présenté au Golden Horse Film Festival, un festival de cinéma très important. J’ai foulé le tapis rouge aux côtés de stars que j’admirais depuis longtemps.»

Alors qu’elle termine une maîtrise pour devenir professeure de chinois langue seconde, elle tombe amoureuse d’un Barcelonais sur Internet. «Je n’avais jamais pensé vivre en Espagne avant de rencontrer José.» Après quelques mois de fréquentations vir­tuelles et de visites sur deux continents, elle emménage chez lui.

Les deux premières années s’avèrent difficiles. Elle ne connaît personne et travaille intensément à la rédaction de son mémoire. En plus d’apprendre l’espagnol, elle doit s’adapter à une nouvelle vie familiale, son amoureux étant le père de deux adolescentes.

Son diplôme en poche, elle décroche le job de ses rêves: professeure de chinois à l’Institut Confucius de Barcelone. À l’automne 2019, elle obtient aussi un contrat comme interprète auprès des acrobates du Cirque du Soleil, de passage en Espagne.

«Vivre à Barcelone, c’est génial. Je ne subis pas les mauvais côtés du surtourisme là où j’habite, même si je suis à seulement 10 minutes de marche de la Sagrada Familia. Je peux aller à la mer en métro. La Catalogne est une région différente du reste du pays. Je ne me lasse pas de l’explorer! Et puis, le coût de la vie est faible. Pour 10 €, on mange comme un roi le midi, vin inclus. Pour moi, c’est la ville idéale.»

Manon Garceau, à Rasos de Peguera, en Catalogne.

Quand je lui demande pourquoi elle aime tant vivre ailleurs, elle hésite. «Je pense que j’aime être l’étrangère. À Taïwan, les gens d’ailleurs sont traités comme des dieux. À Barcelone, ce n’est pas le cas, mais nous suscitons quand même la curiosité. J’aime aussi découvrir une culture et relever des défis quoti­diens, ne serait-ce que parce que je ne vis pas dans ma langue.»

Et comment se définit­-elle, 20 ans après avoir quitté sa patrie? «Je ne sais pas! lance­-t­-elle, avant de faire une pause. Au Québec, je me sens maintenant comme une touriste. Mon cœur est toujours à Taïwan, bien que j’adore Barcelone. Mais c’est peut-être parce que j’ai vécu 15 années de ma vie à Taïwan. Qui sait? Je me sentirai peut-être plus Barcelonaise que Taïwanaise après que j’aurai passé une quinzaine d’années ici!»

Christine Roger: suivre l’amour en Suisse

Le 31 décembre 1995, Christine Roger fait la connaissance d’un charmant Suisse-Allemand dans un bar de Montréal. À l’époque, elle travaille au Service de créativité média de TVA. «On a échangé des lettres, et je suis allée le visiter six mois après. Ç’a été le véritable début de notre histoire d’amour.» Son copain la rejoint ensuite à Montréal et y reste plus d’une année. «Puis, on est partis au Mexique en van et on a fait le tour du pays de janvier à mars.»

Le couple décide ensuite de s’envoler pour le Vieux Continent. «Dans ma tête, c’était pour une période de six à neuf mois, pour voir comment était la vie en Suisse. Si j’avais su, le 4 décembre 1998, que j’étais en train de quitter mon pays, je ne serais pas partie. Pourtant, avec le recul, je réalise que c’était la meilleure chose qui pouvait m’arriver à ce moment-là.»

Le couple s’installe d’abord à la campagne, près de Zurich. «On a dû se rendre à l’évidence après quatre mois: si on voulait rester ici, il fallait dénicher un emploi et un appart. Mon amoureux ne parlait pas vraiment le français, mais il le comprenait. On est allés s’établir dans le canton de Neuchâtel, où on s’est retrouvés sans repères, sans famille ni amis. Je me suis sentie comme une étrangère. La première année a été très difficile. Puis, on a découvert Lausanne.»

En 2000, le couple emménage dans cette ville cosmopolite. «Ç’a changé ma vie. Il y a davantage d’expatriés, alors l’ouverture est plus grande. C’était plus facile pour moi de m’identifier aux gens que je rencontrais et de trouver un emploi stimulant.»

Christine Roger, au Lac Léman, en Suisse.

Christine décroche un emploi au Comité international olympique. «Bizarrement, je croyais que c’était un boulot inaccessible. J’ai été engagée comme assistante administrative à la direction générale. Le fait d’être bilingue et d’avoir de l’expérience en communications m’a aidée.» Deux ans après son embauche, elle migre justement vers le Service des communications, où elle travaille toujours. «J’ai pris part à tous les Jeux olympiques depuis 2002. Les plus marquants pour moi ont sans doute été ceux de Vancouver, où j’ai pleuré des premières secondes de l’hymne national canadien jusqu’à la fin des Jeux, tant j’étais émue.»

En 2007, le couple se sépare après 12 ans d’amour. «C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que mes racines avaient poussé, raconte Christine. Je n’ai pas eu envie de rentrer, alors que j’en avais l’occasion. J’ai compris que j’avais atteint un équilibre entre le travail et ma vie sociale. Mon ex a été surpris que je reste, puisque j’avais passé tant d’années à avoir le mal du pays!»

Christine est maintenant dans la quarantaine et elle vit avec un Belge dont elle a, ironiquement, fait la connaissance dans un bar rempli de Québécois pendant les séries éliminatoires de hockey. Elle n’a jamais cessé de suivre l’actualité québécoise, surtout culturelle. «Je regarde encore certaines émissions de télévision, notamment le Bye Bye.» Très heureuse d’avoir le droit de voter aux prochaines élections, elle évoque la possibilité de revenir vivre au Québec un jour. «Tout est ouvert. Je me suis réservé des moments pour aller voir ma mère, dont la santé est devenue fragile. Ça me nourrit, de revenir régulièrement au Québec.»

Elle continue malgré tout d’apprécier sa vie européenne. «Mon travail, mon réseau et ma vie sociale sont en Suisse. J’aime la qualité de vie ici, le climat et la proximité de la nature. Le fait d’être au centre de l’Europe me permet d’explorer facilement le continent. Cela dit, comme mon copain adore le Québec, on dit souvent en blaguant qu’on va venir y vivre à notre retraite.»

Vivianne Lapointe: se réinventer de New York à Los Angeles

Vivianne Lapointe, 36 ans, vit en Californie depuis 10 ans. Elle a quitté le Québec pour New York à l’âge de 22 ans, après avoir travaillé dans une boîte de production télé et comme journaliste à la pige. Une prise de conscience personnelle – elle cherche sa place – lui donne envie d’aller voir ailleurs si elle y est. «Je ressentais le besoin de bouger. Je ne me voyais nulle part au Québec. Je me suis demandé ce que je voulais vraiment faire.» Elle décide de poursuivre sa réflexion dans la Grosse Pomme, où l’artiste Corno la prend sous son aile. «J’ai toujours été très chanceuse. J’ai eu de super bons mentors. Je suis contente d’être partie jeune et d’avoir eu l’audace de le faire. Je n’avais peur de rien. Corno m’a montré que c’était possible de conquérir une ville comme New York.»

Au début, Vivianne effectue surtout des contrats à distance pour le Québec, mais elle déniche un emploi pour une publication liée à l’industrie de la beauté. «C’est ce qui m’a permis d’obtenir un visa.»

En parallèle, elle donne un coup de main à Corno, avec qui elle a noué une grande amitié. «C’était à l’époque de MySpace. Je m’occupais de ses réseaux sociaux et de son site web.»

«La vingtaine a été ma décennie sociale. J’organisais des événements au studio de Corno. Je voulais rencontrer tout le monde, être de tous les partys et devenir l’amie de tous. Cet aspect de ma personnalité m’a énormément aidée. J’ai pris le temps de m’insérer dans la vie new-yorkaise.»

L’entreprise québécoise de boissons énergisantes Guru lui permet ensuite d’acquérir des compétences qui lui servent encore aujourd’hui. «Guru cherchait quelqu’un qui connaissait la ville. Je me suis donc occupée des relations publiques pour ses produits. Je pratiquais, si on veut, une forme de marketing d’influence avant le temps.»

Bien qu’elle aime l’existence dans la Grosse Pomme, elle tisse, au fil du temps, plusieurs amitiés avec des gens de Los Angeles, où elle s’est toujours imaginé vivre. «J’ai décidé d’y déménager à la fin de la vingtaine. C’est la qualité de vie là-bas qui m’a surtout attirée. À L.A., tout est axé sur la santé. Il y a plus d’espace, on n’a pas besoin de se battre pour aller chercher un café le matin, et il y a moyen d’avoir des rituels plus sains. Tout le monde ne perçoit pas cette ville ainsi, mais moi, c’est ce que j’y ai trouvé.»

Elle débarque donc à L.A. avec un objectif précis en tête: créer sa propre entreprise. Ambitieuse, elle veut bâtir un projet qui mette à profit toutes ses expériences. «C’est l’instinct qui m’a poussée vers New York et c’est ce même instinct qui m’a amenée à Los Angeles. J’avais besoin de recommencer à zéro et de faire les choses à ma manière.»

L’étincelle se produit lorsqu’elle est sur la terrasse d’un toit de New York avec des amis. «J’ai eu l’idée de fonder un magazine web qui me ressemblerait, qui s’intitulerait LiveFAST et parlerait de mode, de beauté, de sexe et de voyage.»

Deux semaines après son arrivée à L.A., elle déniche un superbe appartement près des Studios Paramount. «C’était le premier bail que je signais aux États-Unis, et c’est à ce moment-là que je me suis vraiment installée.»

Elle passe les mois suivants à bâtir son projet. «Dès le lancement, la réponse a été très bonne. Toutefois, ce n’est pas LiveFAST qui m’a permis de gagner ma vie. Je travaillais en parallèle comme consultante. Pendant des années, j’ai géré des réseaux sociaux et rédigé des articles pour différents clients.» LiveFAST l’amène cependant à voir du pays, à rencontrer des gens passionnants et à acquérir une expertise devant et derrière la caméra.

Elle réalise aussi un vieux rêve en créant, cette fois, un magazine papier grâce à une campagne qui lui permet de recueillir 70 000 $ sur Kickstarter. «J’ai tout donné pour lancer l’édition imprimée de ce magazine. Après, j’ai vécu une sorte de post-partum et j’ai ressenti le besoin de prendre une pause.»

Vivianne Lapointe, à Los Angeles

Elle travaille alors pour diverses agences de contenu. C’est ainsi que germe l’idée de monter sa propre agence. «Je trouvais que la culture des agences manquait de pep, dit-elle en riant. Il y a trois ans, j’ai donc fondé Pepper, une agence de marketing d’influence. J’agis comme intermédiaire entre les marques, les créateurs et les influenceurs. Un peu comme le ferait une agence de casting. J’ai un studio de photos et je collabore avec de jeunes photographes.» Parmi ses clients les plus fidèles, la marque québécoise Aldo occupe une place particulière. «J’aime pouvoir continuer à travailler avec le Québec, tout en ayant une portée internationale.»

Mariée depuis sept ans – son amoureux était son premier voisin quand elle est arrivée à Los Angeles! –, elle se sent parfaitement intégrée dans son milieu. «Maîtriser deux langues est un avantage énorme. Et avoir bâti mon identité professionnelle sur la côte fait aussi que je travaille vite et efficacement.»

Où se voit-elle dans 10, 20 ou 30 ans? «Ça dépend de la santé de mes parents, et si j’ai des enfants ou non… On ne sait jamais comment la vie va tourner. Je n’ai pas de réponse; j’ai changé d’idée tellement souvent! Chose certaine, j’ai envie d’une existence pleine de plaisir. Je travaille fort, mais il faut que ce soit le fun. La Californie est l’endroit qui me ressemble le plus et qui correspond le mieux à mon style de vie. En ce moment, la scène culturelle bouillonne. C’est un super bon temps pour y être. Je m’y vois au moins pour la prochaine décennie. Après? On verra. Je suis bien ici, mais je serai toujours une petite fille de Longueuil!»

Les Québécois vus par les Barcelonais, les Suisses et les Californiens

Au fil des années, Manon, Christine et Vivianne n’ont entendu que des commentaires positifs à l’égard des Québécois. «Les Québécois ont la réputation de travailler fort et d’être extrêmement gentils, déclare Vivianne Lapointe. Et Montréal est super renommée. Les gens me disent toujours que c’est la meilleure ville au Canada.»