Reportages
On a testé une patrouille de nuit avec deux policières
Lorsqu'on m'a proposé de suivre deux patrouilleuses du poste 15 pendant toute une nuit, j'ai répondu «oui!» sans même réfléchir.
par : Julie Buchinger- 24 août 2014
J’étais curieuse de découvrir le quotidien des policiers, dont la troublante série télé 19-2, avec Claude Legault et Réal Bossé, m’avait déjà donné un aperçu. J’étais d’autant plus fébrile que j’allais sillonner le quartier de Ville-Émard, où j’ai grandi. Puis, j’ai repensé à toutes les histoires, parfois sordides, qu’on m’avait racontées au cours de mon enfance et qui avaient pour toile de fond ce quartier ouvrier du sud-ouest de Montréal. Je me suis alors demandé dans quoi je m’étais embarquée (il faut dire que j’ai un petit côté froussard!), mais il était trop tard pour reculer.
La semaine suivante, je recevais l’appel du sergent Gingras, rattaché au programme Cobra, qui permet aux civils de suivre un policier dans ses fonctions. «Le quart de nuit commence à 23 h 30 et se termine à 7 h 30. Arrivez plus tôt: vous aurez l’occasion d’assister au fall-in», me prévient-il au bout du fil. Le fall-in, c’est la réunion au cours de laquelle les patrouilleurs se regroupent au poste, échangent sur les points chauds de l’heure et reçoivent leurs assignations pour leur quart de travail. Le jour J, c’est là que je rencontre le tandem de patrouilleuses que je vais suivre durant les prochaines heures. Je suis d’abord frappée par la prestance de Lisa qui, malgré sa petite taille, dégage une autorité naturelle. Il faut dire que je n’ai jamais vu un policier d’aussi près et que l’uniforme en impose: gilet pare-balle épais et rigide, chemise parfaitement repassée, lourde ceinture, arme à feu rutilante portée sur la hanche droite. Voyant mon étonnement, la policière me permet de regarder son arme de près et m’explique, le plus simplement du monde, comment celle-ci fonctionne. Je suis fascinée.
Sans plus tarder, nous nous dirigeons vers la voiture de patrouille, à l’arrière de laquelle je prends place pour ma nuit «en Cobra». À travers l’ouverture dans la vitre qui nous sépare, j’ose poser une première question aux deux policières que j’accompagne: «Qu’est-ce qu’on vous demande le plus souvent lorsque vous dites le métier que vous exercez?» Lisa me répond avec un petit sourire en coin: «Les gens adorent me parler de leurs tickets.» Puis, après un court moment de réflexion, sa collègue laisse tomber: «On me demande souvent si j’ai peur.» Sa réponse me laisse songeuse.
La soirée commence plutôt tranquillement: les premiers appels que nous recevons concernent surtout le tapage nocturne. Puis, nous recevons un appel de priorité 1: une femme vient de faire une chute dans un escalier et est inconsciente. «On le prend!» répond Lisa. «Tiens bien ton café, Julie!» me lance-t-elle avant d’actionner les gyrophares. Je m’agrippe, pas mécontente qu’il y ait enfin de l’action.
Nous pénétrons dans un appartement délabré, où la confusion règne. La victime a repris conscience, mais elle est encore sous le choc, et sa fille essaie d’expliquer ce qui s’est passé, au grand mécontentement de son père, qui tente de s’interposer. Lisa entraîne ce dernier à l’écart et procède à un court interrogatoire. Serait-il possible qu’il ait quelque chose à voir avec la chute de sa femme? Une fois éclaircis les soupçons qui pesaient sur lui, nous bouclons le dossier et reprenons la route.
Lisa profite d’un temps mort pour me proposer une nouvelle «balade». «Que dirais-tu d’aller faire un petit tour dans un bar de danseuses de la rue Notre-Dame?» Malgré mon appréhension, je la suis dans l’établissement miteux et nous faisons le tour des isoloirs (oui, oui!) afin de nous assurer que personne n’y a de relations sexuelles. Puis, nous jetons un coup d’oeil dans les toilettes avant de retourner à la voiture.
À peine me suis-je remise de mes émotions que Lisa me tend une lampe de poche et me propose d’aller inspecter un caniveau squatté par des sans-abris. Un des trois itinérants qui s’y trouvent salue les policières. «Regardez: j’me ramasse comme vous me l’avez demandé! » dit-il, tout fier, en montrant une boîte dans laquelle il a mis ses seringues souillées.
Il est presque 3 h du matin. Je profite d’un moment de répit pour lui poser une question qui me brûle les lèvres. Au poste 15, les femmes représentent 50% de l’effectif policier. Travaillent-elles différemment de leurs collègues masculins? «Un partner, c’est un partner. On ne fait pas de distinction entre les hommes et les femmes. On fait tous le même travail », répond Lisa.
L’heure de la sortie des bars est passée, et le soleil point à l’horizon. «D’après moi, on ne risque plus de recevoir d’appels de priorité 1. C’est dommage, la nuit a été tranquille», se désole Lisa. Curieusement, je n’ai pas l’impression d’avoir passé une nuit tranquille. Mais c’est sans doute la froussarde en moi qui parle.
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