Autrefois, chacun avait son métier. D’un côté, il y avait les cover-girls – Christie Brinkley, Cindy Crawford et Christy Turlington – dont le boulot consistait précisément à poser pour les photographes et à sourire pour les pubs de cosmétiques. De l’autre, il y avait les actrices et les chanteuses qui se consacraient au septième art ou à la musique. Mais depuis une dizaine d’années, les choses ont changé. Les mannequins ont presque disparu de la couverture des magazines et elles ne sont que très rarement sollicitées par les maisons de beauté. Bref, on dirait bien que les top modèles se sont fait voler le premier rôle par les célébrités.

Stars contre top modèles

Les contrats publicitaires entre les marques et les personnalités ne sont pas un phénomène totalement nouveau. «Les stars de cinéma ont toujours représenté des marques», explique Nora Rifon, professeure au département de publicité de l’université d’État du Michigan. La chercheuse, qui s’intéresse à la présence des vedettes dans la publicité, fait remonter ces lucratives associations aux années 1940. Elle précise qu’à l’époque les starlettes se faisaient surtout les porte-paroles des compagnies de… tabac. Ce procédé marketing visait à donner une aura de glamour à la cigarette. Nora Rifon souligne d’ailleurs que de nombreuses études ont démontré le succès de ces campagnes.

Photo: Charlize Theron pour le parfum J’adore de Dior

Mais pourquoi les produits se vendent-ils mieux lorsque les stars en font la promotion? Parce que, contrairement aux mannequins, dont on connaît à peine le prénom, les people sont un peu comme des amis dont on suit le quotidien sur Internet, sur Twitter, à la télé et dans les magazines. Leur carrière, leur famille et leurs amours n’ont plus de secret pour nous. On connaît par coeur leur mode de vie et leurs valeurs. Et c’est justement ces valeurs que les marques de beauté tentent de mettre à profit. C’est que la consommatrice voit dans la star beaucoup plus qu’une beauté époustouflante. Selon le cas, elle y reconnaît une brillante artiste, une mère dévouée, une femme d’affaires accomplie… Autant de rôles que ne peut incarner un mannequin anonyme. Les people permettent donc aux compagnies de véhiculer une foule de messages sans même avoir à les écrire, ce qui tombe fort bien, vu que le public lit rarement les publicités… Stratégique, avez-vous dit?

À quelques exceptions près, les cover-girls n’évoquent «rien de plus qu’un beau corps et un joli visage», dit Youcef Nabi, le président de Lancôme International. Et leur carrière est relativement courte. «On compte très peu de mannequins ayant franchi le cap de la mi-trentaine, ce qui n’est pas le cas des chanteuses et des actrices.» Même si elles sont magnifiques – un atout essentiel pour devenir l’égérie d’une marque de cosmétiques -, les célébrités proposent au public des idéaux de beauté plus accessibles que ceux que véhiculent les top modèles. M. Nabi explique d’ailleurs qu’il est plus facile de s’identifier à une comédienne comme Julia Roberts ou Penélope Cruz qu’à une mannequin de 19 ans aux mensurations improbables. En somme, la pub nous vend un rêve accessible, qui n’est pas trop éloigné de la réalité.

 

Photo: Naomi Watts pour le parfum Angel de Thierry Mugler

Une visibilité partagée

Peu importe le prestige du porte-parole, la vraie vedette de la publicité, c’est toujours la marchandise. Youcef Nabi croit néanmoins que ces associations publicitaires profitent aux deux parties. «C’est la raison pour laquelle autant de stars prêtent leur image aux marques de beauté. Ces contrats leur permettent de faire parler d’elles dans un autre registre que celui de leur carrière. Ces campagnes leur assurent une visibilité même lorsqu’aucun de leurs films n’est à l’affiche ou qu’aucun de leurs succès ne joue à la radio.»

Mais, pour que la stratégie rapporte, la star doit être choisie avec soin. Youcef Nabi reconnaît qu’il «faut que le casting soit juste. Il est impératif que l’image de l’ambassadrice corresponde aux valeurs de la marque.» Autre aspect important: le people ne peut pas être plus célèbre que le nom qu’il représente. «Sinon, la star risquerait d’éclipser le produit, et la campagne échouerait», souligne-t- il, en précisant qu’une grande marque comme Lancôme ne peut pas se contenter d’une seule célébrité pour ses messages publicitaires. «Il faut à tout prix éviter de surexposer les égéries afin de ne pas lasser le public.» Multiplier les vedettes a un autre avantage: ça permet à la compagnie d’exprimer les nombreuses facettes de son identité. Ainsi, chez Lancôme, «Kate Winslet suggère la grâce; Julia Roberts, l’authenticité, et Penélope Cruz, la sensualité.» Chez Lise Watier, Mitsou Gélinas célèbre les origines québécoises de la compagnie. Leah Miller, l’animatrice de So You Think You Can Dance Canada, elle, fait rayonner la marque dans tout le pays. De plus, l’entreprise ne fait appel à ces célèbres figures que pour promouvoir ces produits-clés. Elle recourt plutôt à des mannequins pour ses autres publicités.

Que les top modèles se rassurent, donc: pas question pour elles de défiler dans les bureaux de l’assurance emploi. Certains cosmétiques peuvent encore se passer des stars. C’est le cas en ce moment des shampoings, des savons et des gels de douche. Les personnalités posent surtout dans les publicités de biens de luxe, comme les produits de maquillage ou les fragrances. Elles sont aussi utilisées lorsque les entreprises veulent mousser les formules auxquelles les consommateurs résistent un peu. C’est le cas des colorants capillaires vendus dans les pharmacies. Par exemple, pour inciter la clientèle à essayer ses kits de coloration maison, Garnier compte sur Sarah Jessica Parker. En revanche, cette compagnie laisse la promotion de tous ses autres produits capillaires aux bons soins des mannequins. «Pour les consommatrices, c’est très rassurant de savoir qu’une célébrité comme Sarah Jessica Parker fait confiance au produit », note Sheila Morin, la directrice du marketing de Garnier pour le Canada. Devant ce message, on se dit que si l’interprète de Carrie Bradshaw arrive à se faire sa propre coloration, pourquoi pas nous?

Photo: Julia Roberts pour Lancôme

Star 2.0

Alors que la majorité des grands noms de la beauté s’offrent des stars archiconnues, Nina Ricci a choisi de faire appel à une artiste émergente pour promouvoir Nina L’élixir, sa nouvelle fragrance. Pour trouver l’héroïne de ses publicités féériques, la griffe française a étudié la candidature de 150 jeunes talents féminins avant d’arrêter son choix sur une batteuse, compositrice et interprète de 22 ans du nom de Florrie Arnold. Originaire de Bristol, en Angleterre, la ravissante demoiselle, qu’on compare à Lily Allen, est pressentie comme la prochaine sensation de la pop britannique. Elle a déjà collaboré à l’album Yes, du groupe Pet Shop Boys, et lancera prochainement son premier disque.

Coup de génie ou pari risqué? Les observateurs croient que, pour une maison d’envergure comme Nina Ricci, il s’agit d’un risque calculé. En fait, la campagne Nina L’élixir est un bel exercice de marketing 2.0, par lequel la marque rejoint son public cible en recourant à YouTube et aux réseaux sociaux comme Facebook. Pour séduire les jeunes femmes de 15 à 25 ans, Nina Ricci a donc imaginé un conte de fées moderne qui prend la forme d’un minividéoclip dans lequel Florrie Arnold interprète une version remixée de la chanson Sunday Girl, de Blondie. Bien que son succès ne soit pas assuré, on ne peut qu’applaudir l’audace et la créativité de cette campagne. Qui sait, peut-être la maison Nina Ricci est-elle en train de réinventer le rôle des stars en publicité… Nina L’élixir, de Nina Ricci (82 $ le 50 ml d’eau de parfum).

Le Québec: une société distincte

Au Québec, 10 % des messages publicitaires, tous domaines confondus, font appel à la notoriété d’une personnalité du showbiz. Nos artistes ont fait leurs débuts dans ce domaine en 1969, à l’initiative du publicitaire Jacques Bouchard, fondateur de l’agence BCP. C’est en s’inspirant des pratiques en cours aux États-Unis qu’il a produit les annonces des poudings de Laura Secord avec René Simard et, plus tard, réalisé la fameuse campagne d’Air Canada avec Dominique Michel.

Ce n’est pas un hasard si ces pubs demeurent inscrites dans notre mémoire collective. Selon Luc Dupont, le Québec est un marché distinct où les artistes chouchous jouissent d’un plus grand pouvoir d’influence que les stars internationales. Son expérience lui a montré «que les Québécois s’identifient plus volontiers aux vedettes nationales» qu’aux étoiles hollywoodiennes. Ainsi, les femmes d’ici auraient l’impression d’avoir plus de choses en commun avec Mitsou Gélinas, l’ambassadrice de Lise Watier qu’elles ont vue s’épanouir à la télé, qu’avec une actrice oscarisée habitant une villa à L.A. Quant à l’idée de ressembler à une top modèle aux jambes interminables, la Québécoise estime qu’il s’agit d’un pari perdu d’avance. La preuve qu’elle sait encore faire la différence entre le rêve et le gros bon sens!

Photo: Florrie Arnold pour le parfum Nina L’élixir, de Nina Ricci

Les ratés de la publicité

Hélas, il arrive parfois que la romance tourne mal. Luc Dupont, ex-publicitaire, auteur de plusieurs ouvrages sur la publicité et professeur de culture populaire à l’Université d’Ottawa, donne comme exemple la marque de rasoirs Bic qui, dans les années 1980, a appris à ses dépens que son porte-parole, le joueur de tennis américain John McEnroe, ne se rasait jamais la barbe avant un tournoi. En 2002, la compagnie Pepsi a connu le même genre d’embarras quand son ambassadrice, Britney Spears, a été surprise avec un Coca-Cola à la main.

Les marques ne sont pas non plus à l’abri des éclaboussures que pourraient leur causer les écarts de conduite de leurs porte-paroles. On se souvient qu’en 2005 Burberry, Chanel et H&M ont toutes trois résilié leur contrat avec Kate Moss – la top devenue célèbre grâce à son style inimitable – après la publication d’une photo révélant les penchants de celle-ci pour la cocaïne. Plus récemment, Gillette d’abord, puis Gatorade ont rompu leurs liens avec le golfeur Tiger Woods, dont les infidélités faisaient la une de tous les tabloïdes.

Autrefois, les stars pouvaient exercer un plein contrôle sur leur image publique. Mais de nos jours, avec les téléphones cellulaires dotés de caméras vidéo et les paparazzis qui semblent avoir oublié la notion de vie privée, elles vivent en quelque sorte en liberté surveillée. «Leurs moindres faits et gestes sont captés et retransmis en temps réel», constate Luc Dupont. Dans ces conditions, les égéries des maisons de beauté doivent en toutes circonstances se montrer sous leur meilleur jour, qu’elles assistent à un gala ou sortent simplement s’acheter un café. Bref, elles sont condamnées à être toujours à la hauteur de l’image de perfection que renvoient les publicités où elles figurent…

Photo: Angelina Jolie pour la publicité Le lait, en 2003

 

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