Est-ce que les mères peuvent avoir la paix?» Tel était le titre accrocheur de la lettre d’opinion que Janice Min – l’ancienne éditrice du magazine américain US Weekly – a publiée dans le New York Times en août 2012. Il faut dire que la papesse des stars venait tout juste d’écrire un livre à propos de l’influence des vedettes sur les critères de beauté. Désormais, disait-elle, il n’y a plus que deux physiques maternels acceptables: un corps filiforme, avec pour seul signe de grossesse un minibedon; et une taille ultramince, regagnée en quelques semaines après l’accouchement.

Janice Min – qui a confessé, depuis, sa part de responsabilité dans cette quête de la grossesse minceur – n’est pas la seule à avoir fait son beurre de la publication de photos de bedons et de nouveaux-nés du gratin hollywoodien. Depuis plusieurs années, les revues à potins mettent régulièrement sur leur couverture des personnalités, enceintes, dont on vante les courbes fabuleuses, ou des nouvelles mamans qui sont admirées pour leur remise en forme éclair. Les grandes icônes de ce déballage médiatique? Les top modèles Heidi Klum, Miranda Kerr et Gisele Bündchen, qui, pendant leur grossesse, ont arboré un ventre aux allures de ballon de basket, tout en conservant des jambes de sylphides et des fesses rebondies, et qui ont été de retour sur les passerelles quelques semaines après avoir accouché.

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Quant aux célébrités qui ne respectent pas ces nouvelles exigences, elles sont ridiculisées. On a dit de la chanteuse Jessica Simpson et de la star de téléréalité Kim Kardashian qu’elles étaient énormes et qu’elles ressemblaient à des hippopotames… Mais il y a une limite à la minceur que peut afficher une femme enceinte, et cela, même les tabloïds en conviennent. Ils ont d’ailleurs inventé un terme pour qualifier les femmes qui tiennent à rester ultraminces durant leur grossesse: les mommyrexiques (contraction de mommy et d’anorexique). Dans leur collimateur, l’ex-Spice Girl Victoria Beckham qui, à sa quatrième grossesse, n’a pris que 7 kg – qu’elle a perdus en moins de six semaines –, et la star Nicole Richie, qui avait à peine l’air d’attendre un enfant, alors qu’elle était sur le point d’accoucher. Et la presse à scandale britannique a fait ses choux gras de l’aspect quasi squelettique de la princesse Kate… pour ensuite la critiquer quand elle a osé montrer ses rondeurs postpartum à la sortie de l’hôpital.

Il n’y a pas que les vedettes qui tombent dans le piège de la mommyrexie. On estime qu’environ 5 % des mamans en devenir souffriraient de ce trouble du comportement qui consiste à surveiller son poids pendant la grossesse en suivant des régimes draconiens et en pratiquant des activités physiques intensivement. Si les médecins d’ici et d’ailleurs que nous avons consultés affirment n’avoir jamais traité de cas de mommyrexie, c’est sans doute parce que celles qui s’adonnent à cette pratique le font dans le secret et la honte. 

«C’est très embarrassant. On a peur d’être accusée de vouloir faire du mal au bébé, alors que ce n’est pas le cas. C’est tout simplement plus fort que nous», déclare Maggie Baumann, qui a souffert de mommyrexie au cours de ses deux grossesses. Cette psychothérapeute californienne aide aujourd’hui les futures mamans qui luttent contre les mêmes démons qu’elle. Nombreuses sont celles qui, comme Maggie, souffraient déjà d’un trouble alimentaire avant de tomber enceintes, mais la mommyrexie peut aussi prendre sa source dans le stress lié aux responsabilités maternelles, une relation difficile avec le conjoint ou un manque de soutien familial.

«Personne n’était au courant de ce que je faisais, poursuit Maggie. Ni mon mari ni mon médecin.» Elle comptait compulsivement les calories ingérées et se nourrissait uniquement de yogourt, de fromage cottage, de fruits et de légumes. De plus, elle se soumettait à une routine d’exercices physiques extrêmes, et ce, même après être passée à deux doigts d’une fausse couche.

Résultat de tous ces efforts? Un gain de 14 kg au cours de sa première grossesse, et de 8 kg – ce qui est largement au-dessous des recommandations médicales – durant sa seconde. On estime que les femmes ayant un indice de masse corporel (IMC) normal devraient prendre de 11,5 kg à 16 kg durant leur grossesse. On recommande à celles qui ont un faible IMC d’en gagner un peu plus, soit de 14 kg à 18 kg, et aux femmes qui ont déjà un surplus de poids de se limiter à un gain d’environ 7 kg.

«Si l’aiguille de la balance n’indique pas une prise de poids suffisante, les mères risquent de faire des fausses couches ou de donner naissance à des bébés mort-nés ou prématurés», met en garde le Dr Michael S. Kramer, spécialiste en pédiatrie et en épidémiologie à l’Hôpital de Montréal pour enfants. L’enfant sera sans doute de faible poids et pourrait souffrir de déficience physique et intellectuelle, ainsi que de problèmes de santé chroniques.» Parlez-en à Maggie Baumann. Vers l’âge de quatre mois, sa cadette, Whitney, a commencé à être prise de convulsions, parfois jusqu’à 20 fois par jour. «Le médecin m’a dit que c’était possible que ces crises soient causées par la malnutrition foetale. J’ai alors réalisé que j’avais fait du tort à mon enfant.»

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Même si elles ne se rendent pas malades comme les mommyrexiques, bien des femmes enceintes s’en font au sujet de leur poids. La Dre Nadia Micali, spécialiste des troubles alimentaires chez les femmes enceintes à la University College London, a publié les résultats d’une de ses recherches récentes: sur 800 futures mamans londoniennes, près du quart reconnaissaient être très soucieuses de leur silhouette. C’est ce que plusieurs professionnels de la santé observent aussi au Québec depuis environ cinq ans. «Plus que jamais, je rencontre des femmes qui font vraiment très attention à leur poids», dit Maréva Lafrenière, accompagnante à la naissance depuis 20 ans. Elles ne sont pas à l’aise de voir leur corps changer et elles ne veulent voir grossir que leur ventre.

De nombreuses femmes sont inquiètes du poids qu’elles prennent au cours de la grossesse, car elles s’imaginent que c’est de la graisse qu’elles accumulent. «En réalité, le gain de poids est réparti entre le bébé, le placenta, l’utérus, le liquide amniotique, les seins et le volume sanguin», explique la nutritionniste Amélie Parenteau dans les cours prénataux qu’elle donne.

Des fausses croyances, il y en a d’autres, comme celle voulant qu’on puisse aisément perdre les kilos en trop dès le premier mois suivant l’accouchement. Pourtant, les médecins, les sages-femmes et les infirmières répètent à leurs patientes qu’il faut une année, parfois même plus pour y arriver. Maman depuis quatre mois, Laurence, 33 ans, entretenait cette illusion. «J’ai pris 20 kg pendant ma grossesse. Tout le monde me disait que j’allais les perdre facilement. Quelle déception ç’a été! Je pensais que ce serait chose faite en un mois ou deux.»

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Cette angoisse liée au poids, on l’observe surtout chez les moins de 35 ans. «Beaucoup de jeunes mamans sont plus préoccupées par le gain et la perte de poids que par les vitamines et les minéraux essentiels au foetus», note Amélie Parenteau. La styliste personnelle Nadine Joannette, qui compte des futures mères dans sa clientèle, le remarque aussi: «Contrairement aux femmes plus âgées, les jeunes souhaitent camoufler leur ventre dans les premiers mois de la grossesse pour ne pas donner l’impression qu’elles ont un surplus de poids.»

Dans notre société actuelle, obsédée par l’image, l’apparence de tout un chacun est continuellement passée au crible, et forcément celle des femmes enceintes, dont le corps devient pratiquement une propriété publique dès que le ventre s’arrondit. Quelle maman en devenir ne s’est jamais fait toucher le bedon par un étranger? «Chaque jour, on m’abordait pour me complimenter», rapporte Tatiana, 32 ans, mère d’un petit garçon de deux mois. «Les gens s’exclamaient: “Wow! t’as juste pris du poids dans la bedaine. Quand on te voit de dos, on ne dirait jamais que tu es enceinte!” Mais que dit-on aux femmes qui grossissent davantage? Ne sont-elles pas belles, elles aussi?» Pour certains, il semble que non. «Un jour, une dame enceinte est arrivée à mon bureau en pleurs», se remémore la nutritionniste Amélie Parenteau. «Elle voulait perdre du poids parce qu’un passager de l’autobus lui avait dit qu’elle était grosse!»

Au banc des accusés: les célébrités et les médias. «Avant les années 2000, très peu de vedettes s’exhibaient pendant et après leur grossesse», remarque Geneviève Dumont, coordonnatrice clinique à Anorexie et boulimie Québec. «Maintenant, c’est une véritable mode. Les célébrités imposent des normes irréalistes, qui causent beaucoup de dommages chez les futures et les nouvelles mamans.»

Au début de sa grossesse, Geneviève, 36 ans, naviguait fréquemment sur le Web pour se comparer aux célébrités enceintes. «Bien entendu, je ne pouvais pas me mesurer à Nicole Richie parce que je suis plus grande et plus costaude qu’elle. Mais quand je voyais à quel point Kim Kardashian avait pris du poids, je me trouvais bien correcte!»

«Peut-être que la pression exercée par les médecins y est pour quelque chose, soutient la Dre Nadia Micali. En raison de l’épidémie d’obésité actuelle, ils recommandent de plus en plus à leurs patientes d’éviter de manger pour deux pendant la grossesse. Certaines femmes en bonne santé, mais sensibles à la question du poids, pourraient mal interpréter ces conseils et ne pas manger suffisamment.»

Comment renverser la tendance? En éduquant les mères. Mais pas de n’importe quelle façon. Il ne suffit pas de leur dire de bien s’alimenter et de faire de l’exercice. «Pour une patiente qui se préoccupe beaucoup de son image corporelle, la grossesse représente la perte de contrôle de son corps, souligne Amélie Parenteau. C’est une grande source de stress, et on doit en tenir compte en tant qu’intervenant en santé.» Par exemple, la nutritionniste invite les futures mères vulnérables à la question du poids à se méfier des renseignements glanés sur les blogues de maternité: «En ce qui concerne l’alimentation et le gain de poids pendant la grossesse, un des sites les plus fiables demeure celui de Santé Canada.»

On doit aussi faire prendre conscience aux futures mamans du caractère fugace de la grossesse et des premiers instants qu’elles passeront avec bébé. «Plutôt que de se concentrer sur leur corps, les femmes auraient intérêt à profiter de cette période, car c’est un moment unique et magnifique dans leur vie», rappelle Myriam Verdo, infirmière au CLSC de la Petite-Patrie.

 

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