Le corps humain dans sa totalité

Depuis le début de ses études en médecine, Sandrine Filiatrault souhaite revenir exercer dans les communautés autochtones afin d’unir le savoir médical des Occidentaux à celui des Premières Nations. Quelle est la différence entre les deux? Sandrine explique que la médecine traditionnelle autochtone observe l’humain à travers ce qu’on appelle la roue de la médecine. Cette roue se divise en quatre parties, qui sont tout aussi importantes les unes que les autres: émotionnelle, mentale, spirituelle et physique. «Contrairement à la médecine occidentale, qui observe ces parties séparément et se concentre sur l’aspect physique ou mental, dit-elle, la médecine autochtone étudie le problème en tenant compte des quatre parties afin de créer un équilibre ou de le maintenir.» Elle précise qu’à ses yeux, ces deux types de savoir travaillent en complémentarité. «On ne peut pas traiter un cancer uniquement avec des plantes. Par contre, les plantes peuvent soulager certains effets secondaires de la chimiothérapie, et des cérémonies dans une tente de sudation peuvent aider à soulager un patient de certaines douleurs physiques, en plus de combler ses besoins spirituels et émotifs.»

En tant que femme médecine innue, Kathleen André consacre sa vie à soigner les gens, et ce, gratuitement. Les gens de sa communauté peuvent frapper à sa porte jour et nuit pour lui demander des conseils ou des soins. «Une femme médecine innue, c’est quelqu’un qui a acquis auprès des aînés le savoir de médecine de son peuple, dit-elle. Pour moi, cette femme est sacrée. C’est la gardienne d’un savoir millénaire.» Elle raconte que pendant des siècles, les connaissances médicales se sont transmises oralement de mères en filles. «À cause des pensionnats autochtones, on a été coupées de nos mères, qui n’ont pas pu nous transmettre leur savoir. Ce que j’ai appris de la médecine innue, je l’ai appris d’une aînée de la communauté.» Elle parcourt aujourd’hui les communautés dans le but d’en apprendre le plus possible: «La médecine innue, c’est une somme de connaissances infinie. Je ne peux pas dire que j’ai fini d’étudier. Toute ma vie, je serai en apprentissage.»

La nature au cœur du savoir

Dans la médecine autochtone, il y a un aspect tangible, un lien indissociable de la nature. «Notre savoir se base sur la nature accessible», explique Sandrine. C’est dire que les traitements et les remèdes ont été trouvés sur le territoire.

Kathleen apporte une nuance importante au sujet de la préparation des remèdes. «Il y a un temps pour cueillir les plantes, et il y a un temps pour les préparer, en suivant des règles précises.» C’est comme pour n’importe quel médicament. Par exemple, bien qu’il soit naturel, le thé du Labrador peut être dangereux si on ne prend pas la bonne dose. Il ne suffit donc pas de connaître les plantes et leur pouvoir de guérison pour les utiliser; d’où l’importance des femmes médecines, porteuses de ce savoir.

«Il ne suffit pas de connaître les plantes et leur pouvoir de guérison pour les utiliser; d’où l’importance des femmes médecines, porteuses de ce savoir.»

Les racines de l’ignorance

Dans l’imaginaire populaire, le savoir médical autochtone relève du folklore. Pourquoi en savons-nous si peu sur ce qui a su guérir des communautés pendant des siècles? Selon Sandrine, les raisons sont multiples, mais tout commence au moment où la société occidentale a voulu «tuer le sauvage». «En coupant tout lien avec la culture autochtone, on a rejeté le savoir et mis un frein à la tradition orale, qui favorisait la transmission des connaissances de génération en génération», souligne Sandrine. L’industrie pharmaceutique a aussi un rôle à jouer dans cette histoire: si le savoir ancestral est si bien gardé, c’est en partie parce que les Autochtones craignent de voir certaines des ressources naturelles exploitées à des fins lucratives.

Quand tout passe par la réconciliation

Selon Kathleen, nous sommes encore loin de l’union entre la médecine occidentale et la médecine autochtone. «Avant tout, il faut s’asseoir et parler de ça tous ensemble. Pour moi, ce sont deux médecines parallèles, qui n’ont pas la même philosophie à la base.» Pour Sandrine, toutefois, tout n’est pas perdu, puisqu’elle remarque avec enthousiasme un mouvement d’ouverture chez les médecins. «La culture médicale change, et c’est très encourageant.» Tandis que la longue route vers ce qu’on espère être une réconciliation est entamée, peut- être pourrions-nous en profiter pour reconnaître l’immense richesse du savoir médical des Premières Nations. Qu’on soit d’origine autochtone ou non, cette union des savoirs médicaux pourrait amener la qualité des soins prodigués aux patients à un niveau supérieur.

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