Philippe, 25 ans, affiche une mine satisfaite. Il a enfin acheté le vêtement qu’il convoitait chez Burberry, sa marque préférée: un pull en cachemire vert avec, à l’intérieur du col, le fameux tartan emblématique de la griffe britannique. Philippe l’a payé 700$, une sacrée somme pour cet étudiant. Il avait toutefois économisé pendant des mois avant de passer à l’action: «Je me suis fait plaisir», dit-il simplement.

Philippe n’est pas le seul membre de la génération Y à se payer ce genre de luxe. Bien entendu, les jeunes ne magasinent pas tous chez Holt Renfrew, mais ils sont prêts à débourser davantage que leurs aînés pour des produits haut de gamme. En effet, une étude réalisée par American Express en 2012 démontre qu’entre 2009 et 2011 les dépenses des Canadiens âgés de moins de 30 ans pour des vêtements griffés ont augmenté de 33%, pour des voyages, de 74%, et pour des repas dans de grands restaurants, de 102%. Et ce, malgré un contexte de crise économique.

Une autre étude, celle-ci menée l’an dernier par la banque TD Canada Trust, indique que 36% des Canadiens de 15 à 33 ans avouent avoir du mal à mettre de l’argent de côté et que la même proportion des gens de ce groupe d’âge sont tentés de vivre au-dessus de leurs moyens (comparativement à seulement 19% des babyboumeurs). En d’autres mots, l’acronyme yolo (you only live once) résonne davantage que le sigle REER aux oreilles des membres de la génération Y…

On ne vit qu’une fois

Les auteurs français Grégory Casper et Eric Briones se sont intéressés à ce phénomène, tout aussi présent dans l’Hexagone que chez nous. Dans leur essai La génération Y et le luxe, ils expliquent que les jeunes nés entre 1980 et 2000 ont grandi dans un contexte socioéconomique difficile (chômage latent, écologie en crise, parents qui se séparent, etc.) et qu’ils en ont déduit que cette période de morosité allait durer. Plutôt que d’angoisser devant un avenir incertain, ils ont choisi leur voie: profiter de la vie… avant qu’il soit trop tard.

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Eric Briones précise que ces jeunes, qu’ils soient issus d’un milieu modeste ou plus aisé, assument entièrement leur penchant pour les produits onéreux. Ce n’est cependant pas le cas de leurs parents qui, tributaires d’un héritage judéochrétien, évitent souvent d’afficher des signes extérieurs de richesse. «Au contraire, les Y ne voient aucun mal à dépenser leur argent et le font sans aucun jugement moral. Pour eux, ces achats sont un plaisir, une médaille», décrypte ce directeur du planning stratégique à l’agence de marketing Publicis, à Paris.

Ces jeunes n’ont d’ailleurs pas la même définition du luxe que leurs aînés, estiment les auteurs. Celle des Y inclut bien entendu les vêtements griffés, mais aussi les repas gastronomiques, les services personnalisés ou encore les produits fabriqués sur mesure, conçus par des artisans, ou dont le design est très étudié. Ce qui motive avant tout leurs choix? Le désir de vivre une expérience qui les fera se sentir exceptionnels. «Par exemple, ils considèrent que les produits Apple sont du luxe, car cette marque mise sur le design et offre un service à la clientèle supérieur», explique Grégory Casper, lui-même membre de la génération Y.

En outre, ces nouveaux consommateurs affectionnent l’économie du partage. Par exemple, ils choisiront de passer leurs vacances dans un bel appartement déniché sur un site d’échange comme Airbnb plutôt que dans un grand hôtel. Ou encore ils adhéreront à un service comme Car2Go plutôt que de faire l’acquisition d’une voiture. «Alors que leurs parents économisaient pendant des années pour s’acheter une auto, les jeunes n’en voient pas l’intérêt, estime Arnaud Granata, vice-président des Éditions Infopresse. Ils préfèrent jouir de l’instant présent.»

Je porte, donc je suis

Jacques Hamel, professeur de sociologie à l’Université de Montréal, n’est pas surpris que les Y aient un tel goût pour le luxe. «Il s’agit de la première génération qui a vu ses deux parents travailler, rappelle-t-il. Elle a donc toujours connu le confort et souhaite conserver ce mode de vie aisé, voire l’améliorer.»

Mais comment ces jeunes peuvent-ils s’offrir un accessoire Hermès ou un iPad alors qu’ils sont encore étudiants ou qu’ils entament à peine leur carrière? Il faut savoir qu’un grand nombre d’entre eux habitent toujours chez leurs parents et peuvent compter sur leur soutien financier. En effet, Statistique Canada indiquait en 2011 que 42,3% des Canadiens de 20 à 29 ans n’avaient pas encore quitté le domicile familial (un taux qui augmente à 59,3% pour la tranche des 20 à 24 ans). Quant à ceux qui volent de leurs propres ailes, ils sont prêts à se serrer la ceinture Hermès pour pouvoir se payer un jour le vêtement ou l’objet qu’ils convoitent.

Certains Y sont d’ailleurs passés maîtres dans l’art d’acheter à moindre coût des produits haut de gamme: ils traquent les bonnes affaires sur Internet, courent les ventes privées, cherchent les promotions, écument les magasins d’occasion, optent même parfois pour la location et économisent pendant des mois dans le but de se permettre une folie. Quant au reste de leur garde-robe, elle contient bien souvent des vêtements de chez Zara et H&M. «Ces Y sont des professionnels du « mix and match« », constate Grégory Casper.

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Pour eux, mettre la main sur LA trouvaille qui fera mouche, l’objet en série limitée ou l’exclusivité qu’ils ne trouveront jamais chez le voisin est un moyen de se distinguer de la masse, d’être la star de leur groupe. Leur but? Se créer une image qui leur est propre et qu’ils pourront ensuite diffuser sur les réseaux sociaux. «Ils ont un comportement plutôt narcissique, affirme Mariette Julien, sociologue de la mode à l’UQAM. Ils ont besoin d’être regardés, d’en mettre plein la vue, d’avoir l’air de célébrités.»

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ces jeunes ne sont pas pour autant adeptes de la formule «acheter-jeter». Les «trophées» qu’ils dénichent ont pour eux une valeur sentimentale. Ils s’imaginent même parfois les garder plusieurs années, voire les transmettre à leurs enfants. «On assiste d’ailleurs à un regain de popularité des produits iconiques des grandes marques, comme le sac Chanel matelassé, ou encore le trench Burberry. Arborer ces objets est une façon pour les Y de s’inscrire dans le temps, malgré leur mode de vie effréné», renchérit Arnaud Granata.

Dans la mire des marques

Alors qu’elles s’évertuaient auparavant à appâter les parents des Y, plusieurs grandes maisons de mode ont compris depuis que ce sont plutôt les jeunes de cette génération qui représentent une clientèle en or… Pour les séduire, elles misent bien entendu sur leur savoir-faire traditionnel et leur service hors pair, mais aussi, de plus en plus, sur la technologie. C’est le cas de la marque Burberry qui a installé, dans un vieil immeuble londonien authentique, un magasin de l’avenir avec des écrans géants, des iPad et même des miroirs interactifs qui offrent une expérience numérique exceptionnelle. Chez Michael Kors aussi, on a opté pour des stratégies de marketing qui s’adressent directement aux Y. Le pari de cette griffe? Que ses jeunes clientes visitent ses boutiques en compagnie de leur mère… et qu’elles repartent toutes les deux avec un sac à la main!

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Les Y ne sont toutefois pas dupes: il veulent bien payer cher, mais l’objet de leur convoitise doit avoir une valeur intrinsèque. À cet égard, une marque ou un logo ne suffisent pas. «Dior a lancé un t-shirt blanc à 300$, mais ça n’a aucun intérêt! Il ne faut pas nous prendre pour des imbéciles», s’exclame Sacha Giler.

Le luxe doit non seulement justifier son prix, mais également être conçu de manière éthique et durable: «Si je paye un vêtement très cher, je veux qu’il soit écologique, sans produit chimique. En outre, je ne veux pas qu’il ait été confectionné par des enfants au Bangla- desh», précise Genevieve Tanguay-Leduc.

Aucun doute possible: la génération Y sait ce qu’elle veut. Reste à savoir si elle a vraiment les moyens de se l’offrir…

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