En Europe comme en Amérique du Nord, on n’a jamais vu autant de familles se briser alors que les petits sont en très bas âge. Une étude menée au Québec de 1998 à 2010 révèle, par exemple, que le quart des élèves qui fréquentent la maternelle ont des parents séparés. De ce nombre, 20 % ne voient jamais leur père. Quant aux jeunes familles qui demeurent unies, elles ne sont pas nécessairement à l’abri d’une rupture, puisqu’un quart des mères interrogées affirment vivre des difficultés conjugales importantes.

De nos jours, pourtant, fonder un foyer est souvent le fruit d’une longue réflexion, et les couples attendent de plus en plus longtemps pour donner la vie: l’âge moyen d’une première grossesse est de 30 ans. N’empêche que, même s’ils ont été ardemment désirés, plusieurs enfants se retrouvent très jeunes au coeur d’une rupture.

C’est la détresse des mères de famille monoparentale, et celle des enfants qui font les frais de ces séparations, qui a inspiré à la pédiatre (et députée!) française Edwige Antier l’essai Il est où mon papa? L’enfant, le couple et la séparation (Robert Laffont). Cet ouvrage est un véritable cri du coeur lancé aux pères afin de leur rappeler qu’ils sont aussi importants que la mère dans le développement de leurs enfants. L’auteure de nombreux livres sur l’éducation des petits a accepté de répondre à nos questions.

 

Comment expliquer le nombre effarant de jeunes familles qui se séparent?

Des pressions énormes et contradictoires pèsent sur les nouveaux parents, particulièrement sur les femmes, qui se sentent déchirées entre l’attention que nécessite leur bébé et leur vie professionnelle. Puisqu’elles ne veulent pas se retrouver dans une situation financière précaire ou encore être dépendantes de leur conjoint, elles s’efforcent de se dépasser au travail – dans lequel on leur demande de s’investir plus que jamais, peu importe leur profession. C’est sans compter la pression d’avoir une belle image corporelle: rester mince et jolie n’a jamais été autant valorisé qu’aujourd’hui. Lorsqu’elles rentrent à la maison, épuisées, elles retrouvent un homme qui est, de son côté, frustré dans ses attentes, qui ne voit plus sa partenaire comme une amoureuse, mais comme une mère, et qui est exaspéré par tous les soins que requiert leur petit. Lorsque les jeunes pères se sentent coincés entre les demandes de leur femme et celles de leurs enfants, ils étouffent et ont le réflexe de fuir.

 

 

Est-ce pour les aider que vous avez écrit votre livre?

Oui. Je veux leur dire: «Attention, c’est seulement un cap à passer, ne partez pas trop vite! Votre enfant grandira et sera beaucoup plus sage si vous vous en êtes bien occupé. Votre conjointe, qui pour l’instant s’investit surtout dans son rôle de mère, retrouvera son désir de femme si vous lui en laissez la chance.» Les hommes qui viennent d’avoir un bébé et qui ressentent l’envie de tout laisser tomber devraient consulter un psychologue pour chercher à comprendre ce qui se passe, mais surtout, pour respecter leur engagement envers leur progéniture.

 

Vous dites que les jeunes couples ne sont pas assez préparés au fait qu’un enfant nécessite beaucoup d’attention…

Depuis plusieurs années, il est de bon ton d’utiliser l’expression «l’enfant roi» à toutes les sauces et de considérer que les tout petits doivent être disciplinés. Nos amis et nos parents nous reprochent de laisser «trop de place» à nos enfants. Et nous aussi, nous voudrions que ceux-ci nous fichent la paix et qu’ils soient «autonomes» très rapidement. On a oublié que, durant leurs trois premières années d’existence, les enfants sont en apprentissage dans ce grand monde, qu’ils ont besoin de comprendre. C’est normal qu’ils demandent de l’attention constante! Si nous la leur donnons, ils deviendront beaucoup moins turbulents par la suite.

 

Quelle est l’importance du père pour un jeune enfant?

Sa présence est capitale. Un petit a besoin de chacun de ses parents pour se construire «en relief», avec deux visions du monde: celle de papa et celle de maman. Les deux lui permettent de ressentir des choses différentes. Peut-être que maman est plus stricte et que papa est plus joueur, ou l’inverse. Ces deux influences lui permettent d’apprivoiser le monde en stéréo, pas en mono! Et il ne suffit pas au père d’être présent: il faut aussi qu’il soit un allié de la mère.

 

Comment les hommes peuvent-ils prendre davantage leur place comme pères?

Les pères sont des adultes, ils n’ont pas besoin que leur femme leur «fasse» une place. Et il ne s’agit pas non plus pour eux de prendre la place de la mère lorsqu’elle s’occupe de l’enfant. Ils doivent plutôt lui demander de quoi elle a besoin. J’insiste sur ce fait: il est très important que les pères valorisent la mère, qu’ils disent du bien d’elle devant l’enfant. Ainsi, ils rassurent le petit et le confortent dans ses repères. Pour faire comprendre cette idée, j’utilise souvent l’exemple des poupées gigognes: la mère couve l’enfant et le père les couve tous les deux.

 

Qu’en est-il des pères québécois, qui s’impliquent pourtant beaucoup plus dans les soins aux enfants?

En effet, chez vous, les hommes sont moins machos qu’en France. Les pères qui profitent du congé parental, par exemple, comprennent beaucoup mieux combien il peut être fatigant de s’occuper d’un jeune enfant toute la journée. C’est un modèle dont la France devrait s’inspirer. N’empêche qu’il y a quand même énormément de séparations au Québec. Même s’ils ne sont plus en couple avec elle, les pères doivent demeurer l’allié de la mère.

Justement, que faire s’il est trop tard pour recoller les morceaux?

Si la séparation est inéluctable, les parents doivent tout faire pour rester amis. C’est ce qui importe pour les enfants: que papa et maman s’entendent et continuent de s’apprécier mutuellement. Une mère qui dénigre son ex perd toute son autorité et sa crédibilité aux yeux de son petit. Plus tard, celui-ci risque de faire preuve de violence verbale envers elle. Certaines femmes, trop blessées par la rupture, choisissent d’exclure à jamais leur ancien conjoint de leur vie. C’est une grave erreur: leurs enfants pourront leur en vouloir de les avoir empêchés de connaître leur père.

Et, dans le cas où leur père est totalement absent, il faut quand même leur parler de lui, raconter des anecdotes, relater des choses positives. Les recherches montrent d’ailleurs qu’un enfant dont les parents ne sont pas restés en bons termes, ou dont le père a été absent, a fréquemment de graves problèmes d’estime de soi. Les échecs scolaires répétés, la violence et la délinquance sont autant de signaux de détresse envoyés par les enfants qui souffrent…

 

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