Je n’arrive pas à me souvenir du moment exact où j’ai envisagé de faire partiellement reconstruire mes dents et de les faire blanchir. Un projet que je caresse depuis quelques années. Sans être parfaites, elles ne m’avaient jamais préoccupée avant la jeune trentaine; il semblerait qu’au fil du temps, ma vision d’un sourire acceptable se soit transformée jusqu’à ne plus inclure le mien. Ce n’est qu’en 2018, alors que je réécoutais le film Legally Blonde pour la première fois depuis sa sortie, que j’ai pris conscience de l’évolution des standards du sourire idéal. Les dents de la magnifique Reese Witherspoon, sans contredit l’une des plus grandes — et belles! — stars de sa génération, me semblaient si jaunes que j’en ai été choquée. Non pas parce qu’elles étaient particulièrement ternes, mais parce que mon œil s’était peu à peu habitué à voir des dents de plus en plus blanches à l’écran. Durant les deux décennies qui nous séparent de la sortie de cette attachante comédie, le Hollywood smile a évolué jusqu’à devenir si plastique qu’il n’est désormais atteignable que si on en a les moyens. 

La hiérarchie du sourire

«L’humain a toujours vu le sourire comme un symbole de beauté, dit Mary Otto, journaliste indépendante et autrice du livre Teeth: The Story of Beauty, Inequality, and the Struggle for Oral Health in America (The New Press, 2017). Les premiers dentistes au pays écrivaient déjà, dans les années 1800, que les dents apportaient éclat et symétrie au visage.» Mais ce serait l’invention de la caméra et des négatifs, avec lesquels on pouvait non seulement capter, mais reproduire l’image d’une personne, qui auraient contribué à faire de la dentition un important critère de beauté. La popularité grandissante du cinéma, avec ses visages et ses bouches projetés sur des écrans géants, n’a fait qu’accentuer la demande pour des sourires parfaitement blancs et droits : d’abord chez les célébrités, puis chez monsieur et madame Tout-le-Monde.

De l’avis du Dr Alexandre Zappa, chirurgien dentiste et propriétaire du cabinet Zappa Dentiste, à Montréal, le sourire à l’américaine ne porte pas ce nom pour rien. «C’est une tendance résolument américaine. Il suffit de regarder les stars sur les tapis rouges en Europe pour constater que le rapport au sourire est complètement différent selon l’endroit où on se trouve. C’est un phénomène totalement culturel.»

Sans grande surprise, à l’exemple de tout bon standard de beauté, la valorisation d’un sourire parfait découle d’un désir de ressembler le plus possible aux personnes les mieux nanties et il établit une forme de hiérarchie basée sur l’apparence. À l’écran – où le sourire à lui seul permet de distinguer un prince d’un pirate – comme dans la vraie vie, l’état des dents est souvent associé au statut social, à l’éducation et à la propreté. À l’instar de nombreuses autres caractéristiques physiques telles que le poids, la musculature ou la peau, on projette sur le sourire une multitude de qualités morales: le succès et la désirabilité, mais surtout la richesse, ont les dents bien droites d’un blanc éblouissant. C’est qu’avoir de belles dents, d’après Mary Otto, peut coûter très cher: «Bien que les déterminants sociaux de la santé buccale soient nombreux, on conclut souvent que celle-ci n’est qu’une question de responsabilité personnelle. Certes, on peut se brosser ou non les dents, mais étant donné que les soins dentaires et orthodontiques sont difficilement accessibles pour une grande partie de la population, c’est loin d’être une simple question de choix.» Le fait de considérer la santé dentaire comme distincte de la santé globale – un choix de société très discutable, selon la journaliste – contribue encore davantage à faire d’un sourire sain et esthétiquement parfait un privilège réservé aux plus riches.

Amy Troost/Trunk Archive

La nouvelle norme

«Pour moi, le phénomène du sourire parfait suit la même trajectoire que plusieurs autres critères de beauté», explique la Dre Stéphanie Léonard, psychologue spécialisée dans le traitement des troubles de l’alimentation, des comportements alimentaires et de l’image corporelle. «Depuis que quelqu’un a décidé qu’on devait le valoriser, on le voit partout et il nous conditionne de plus en plus, si bien qu’il devient la nouvelle norme, à laquelle on est censés se sentir coupables de déroger. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on ne vit pas dans un monde qui valorise la différence.»

Dans sa pratique, la Dre Léonard affirme voir un nombre croissant d’adultes recourir à des traitements d’orthodontie que leurs parents leur ont refusés quand ils étaient plus jeunes. Dans certains cas, il s’agirait, selon elle, d’un vieux complexe d’adolescence dont ils désirent s’affranchir, maintenant qu’ils en ont les moyens et qu’ils sont en mesure de prendre une décision plus éclairée sur leur propre corps.

Selon le Dr Zappa, il est impossible de nier l’influence des célébrités et des images véhiculées sur les réseaux sociaux, mais on peut tout à fait s’offrir le sourire de ses rêves tout en priorisant sa santé mentale, physique et émotionnelle, pour peu qu’on soit patient et bien accompagné.

«Il n’y a aucune honte à avoir des dents croches ou moins blanches, affirme le dentiste. Le plus important, selon moi, c’est de trouver le ou la dentiste avec qui on se sent bien, qui nous écoutera – qui ne nous jugera jamais! –, qui prendra le temps d’explorer les différentes options avec nous et de répondre à nos questions.» 

«Certains soins cosmétiques peuvent causer des dommages à long terme, et on ne devrait jamais fragiliser une dent saine pour des raisons purement esthétiques. Transformer son sourire peut être un magnifique cadeau qu’on s’offre, pourvu que tout soit fait dans le respect et le consentement.» Dans sa pratique, le Dr Zappa laisse toujours passer de 6 à 12 mois après la première consultation avant d’entamer une procédure esthétique importante, une approche qui permet d’observer l’évolution de la bouche et des besoins de sa clientèle au fil du temps. Il recommande de s’armer de patience et d’attendre d’avoir réuni les conditions idéales, ce qui diminue le stress et les risques de complications. «Parfois, le simple fait qu’on s’occupe de la santé dentaire d’une personne, qu’on traite, par exemple, une petite facette ou qu’on fasse un simple blanchiment, suffira à satisfaire cette personne, qui désirait au départ un soin intégral.»

À tout âge

En réponse à la demande grandissante pour des soins d’alignement et de blanchiment des dents, de nouvelles techniques moins onéreuses et moins invasives apparaissent tous les jours. Le marché suit une courbe similaire à celui des soins de beauté esthétiques en général, de plus en plus populaires, accessibles et normalisés.

«Les traitements orthodontiques à l’aide de coquilles amovibles, de type Invisalign®, sont parmi les soins les plus demandés ces dernières années, explique la Dre Danièle Larose, dentiste généraliste de la clinique Santé dentaire Larose, à Saint-Laurent. On fait aussi beaucoup de reconstructions à l’aide d’un [ciment] composite artistique. Elles sont très réalistes et exécutées en un seul rendez-vous, et permettent de rallonger les dents et de remplir des espaces, par exemple, de manière complètement réversible et sans abîmer la dent.» Quant à la clientèle, la Dre Larose affirme que ce sont principalement des adultes qui se rendent à son cabinet pour recourir à ces interventions esthétiques. «Avec l’augmentation importante du télétravail, davantage de gens ont fait appel à nos services. À force de voir leur visage toute la journée sur Zoom ou Teams, ils finissent par être agacés par leurs petites imperfections. L’âge de mes patients peut atteindre 90 ans!»

Pour la fleuriste et pâtissière Kim Mayer, qui a pris la décision de se faire poser des broches à l’âge de 27 ans, l’expérience s’est avérée révélatrice, bien que douce-amère. «Je suis complexée à cause de mes dents depuis l’enfance; en plus, j’ai un problème à la mâchoire à cause du manque d’espace dans ma bouche, mais ma mère n’a jamais voulu que je reçoive un traitement orthodontique. J’y ai donc eu recours dès que j’ai pu le faire. Ça m’a coûté 8000 $. Je me sens mieux, mes dents sont plus droites et en meilleure santé, mais mes broches n’ont pas guéri mon manque de confiance en moi comme par magie. Une vie entière à se retenir de sourire parce qu’on a honte de son apparence, disons que c’est plus profond qu’une simple intervention esthétique.»

Un sourire «parfait» peut certainement nous faire nous sentir mieux dans notre peau – ce qui n’a rien de surprenant dans un monde comme le nôtre où l’apparence physique a une importance démesurée –, mais celui-ci n’a rien de magique. En matière de beauté – celle qui subjugue et qui bouleverse –, la confiance en soi et l’authenticité l’emporteront toujours sur la conformité. Est-ce que je m’offrirai mon sourire de rêve, un jour, si j’en ai les moyens? Probablement. Mais d’ici là, je continuerai de sourire à pleines dents.

Amy Troost/Trunk Archive

Combien ça coûte?

Traitement orthodontique à l’aide de coquilles amovibles: de 2000 $ à 10 000 $, ou plus selon le degré de complexité
Blanchiment professionnel: de 200$ à 1000$
Reconstruction avec ciment composite artistique: de 175 $ à 895 $ par dent
Facettes de porcelaine: de 900 $ à 2500 $ par dent, selon le degré de complexité

PSST! Les traitements esthétiques sont généralement moins chers chez un dentiste généraliste que chez un spécialiste. Depuis 2020, certaines hygiénistes dentaires sont également autorisées à effectuer le blanchiment des dents en cabinet privé. 

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