Juin 1993, une copine et moi, quelque part sur l’avenue du Mont-Royal, à Montréal.

Je t’ai rencontrée, ma douce, mon effervescente, un soir d’été de mon adolescence.

Je n’avais pas l’âge légal pour entrer dans les bars, mais j’y allais quand même, évidemment (pardonne-moi, maman). J’avais à peine 16 ans, j’étais amoureuse, et regarder un match de hockey dans une vieille brasserie enfumée était la dernière de mes envies. Les garçons, les livres, le théâtre, la musique, les amis, tout ça était infiniment plus important pour moi qu’une rondelle qui file à vive allure sur la glace. Malgré tout, une amie avait réussi, contre vents et marées, à me traîner à la Taverne du roy (qui n’existe plus, à mon grand désarroi), sur l’avenue du Mont-Royal, pour voir les Canadiens en séries éliminatoires. C’était l’année où ils ont eu la coupe Stanley. C’était l’année de tous les espoirs.

Ce soir-là, j’ai vécu ma première rencontre avec toi, ma chère taverne. J’ai goûté à ton espace de liberté où se côtoient le plus beau et le plus laid. Par ce chaud soir de juin, j’ai découvert, en condensé, les joies du hockey et le bonheur de faire la vague à chaque but; les petites lumières de Noël sur les murs, qui éclairent les grosses Molson «tablette»; les barmaids blondes, toujours tellement blondes, qui travaillent là depuis au moins 30 ans; et les enseignes de Labatt 50 dont les néons ne fonctionnent plus qu’à moitié. Une révélation.

 Depuis ce jour béni où j’ai compris un peu mieux cet univers baigné de bière et de nicotine, j’ai élaboré une théorie sur toi, ma taverne. Tu es la base du nightlife d’une ville. Tu es hors du temps, au-delà des modes, et tu nous donnes accès aux stars de la nuit les plus méconnues du monde, ces piliers de bar qui se retrouvent tous les soirs à ton comptoir. À ceux qui sortent pour voir du monde et non pour se faire voir.

Te visiter, taverne, c’est frôler l’âme, l’essence même d’une ville. C’est côtoyer ses vrais habitants. Pas ceux qui se pavanent pour les touristes sur les grandes allées, pas les fashionistas bien fringuées qu’on pourrait admirer dans n’importe quel pays du monde. Non, ta faune à toi habite ton quartier et n’a pas besoin d’enfiler ses habits du dimanche pour se rassembler. Te fréquenter, c’est sentir l’accent, les habitudes sociales et les codes d’un endroit donné. C’est avoir accès à ses tréfonds, à ses entrailles. Sans lustre ni flafla.

Dans tous les bleds de la planète, perdus ou non, on trouve un petit bar qui te ressemble, aux allures glauques ou kitch, comme hors du temps. Même si tu sens toujours un peu le fond de tonneau, même si tu es mal éclairée, même si tu as déjà été interdite aux dames, tu es belle, ma taverne. Tu es sexy parce que tu ne portes pas de maquillage. Tu es mignonne parce que tu es plus vraie que nature.

Ma taverne, tu seras toujours là pour me ramener à l’essentiel.

Tavernes que j’aime

La vraie taverne est une espèce en voie de disparition. Les hyper-tavernes (anciennes tavernes modernisées) les ont remplacées. Mais voici quelques bonnes adresses de bars mythiques restés intacts, ou presque:

  • Le Bar Bronco Billy’s, à Magog. Pour la faune locale, le juke-box, la collection de chapeaux de cowboys et la piste de danse en métal. (51, place du Commerce)
  • Le Verres stérilisés, à Montréal. La faune y est jeune et étudiante, mais le décor et la bière sont comme dans le bon vieux temps! (800, rue Rachel Est)
  • Le Coconut, à Trois-Rivières. Pour l’ambiance à cheval entre le Québec et la Polynésie, et les cocktails étranges servis dans des noix de coco en plastique. (7531, rue Notre-Dame Ouest)
  • Le Wheel Club, à Montréal. Cette institution montréalaise est un des secrets les mieux gardés en ville. Il faut y aller pour les snacks à moins de 2$ (oui, encore aujourd’hui!), les jeux de fléchettes et les musiciens qui jouent du country et du bluegrass. Attention, ce «club privé pour initiés seulement» n’ouvre ses portes que les lundis soirs. (3373, boul. Cavendish)

 

 

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