Mon quotidien est truffé d’artistes, de créateurs, de gens qui font de la magie avec leurs mains, leur voix, leur corps, leur regard. Mes journées sont parsemées de rencontres et d’échanges avec des artisans qui sèment le beau partout où ils passent. Mon métier m’amène à scruter les artistes sous toutes leurs coutures. Je me trouve chanceuse. Vraiment chanceuse. Cette envie de m’entourer de faiseurs de beauté, de bâtisseurs de fantaisie m’a été donnée à la naissance, comme le cadeau d’une fée marraine qui se serait penchée sur mon berceau. J’ai grandi auprès d’un magicien, d’un mime, d’un Patof, d’un homme qui ne se donnait pas comme mission de faire rire ou pleurer, mais de toucher et de dérider coûte que coûte les gens qu’il aimait. Oui, mon papa était un clown. Un clown roumain.

Mon père a quitté la Roumanie dans les années 1970 grâce à son métier de comédien. Il avait pu sortir momentanément de son pays communiste en compagnie de sa troupe de théâtre, qui allait présenter une pièce à Paris. Et c’est là qu’il a fui, par un beau soir parisien, en prétextant une soirée au cinoche avec un ami. Il a alors peaufiné son français, pour ensuite venir vivre son rêve de liberté en Amérique francophone et permettre à deux petites Pogonat de voir le jour en terre libre…

 

 

Grégory le clown a adopté une technique particulière pour survivre à l’exil: faire de son existence un grand spectacle. Avoir un clown pour papa m’a appris à aimer me déguiser en momie avec des rouleaux de papier de toilette, à voir des étoiles là où il n’y en a pas, à aimer les danses spontanées au milieu de la rue et les chansons qui sortent de nulle part. Mon père faisait d’une sortie au restaurant un numéro de cirque, et d’une balade en voiture, un voyage interplanétaire. Il jouait tout le temps. Avec lui, la moindre tâche quotidienne pouvait se transformer en un formidable tour pendable! Quand je suis allée visiter la Roumanie à l’âge adulte, j’ai reconnu, quelque part entre la grisaille des bâtiments communistes et les rubans colorés des gitanes qui volaient au vent, cet esprit joueur et coquin que possédait mon père. J’ai retrouvé chez le peuple roumain cette façon unique de faire un pied de nez aux problèmes, de tirer la langue aux troubles politiques ou sociaux, de sortir un lapin d’un chapeau. Comme pour insuffler de la joie à un pays qui a trop souffert…

C’est bientôt Noël, et mon père n’est plus là pour me faire éclater de rire avec ses airs de pantomime, de grand enfant basané. Mais je porte toujours en moi cette envie de faire de ma vie une comédie musicale. Merci, papa.

Ma Roumanie vue d’ici

  • La Roumanie dans mon panier L’épicerie Bucarest charcuterie et pâtisserie, c’est le seul endroit à Montréal où on trouve les délicieux salamis, les fromages, les feuilles de vigne farcies et les sucreries typiques de Bucarest! (4670, boul. Décarie, Montréal, 514 481-4732)
  • La Roumanie dans ma bouche On trouve très (très!) peu de restaurants roumains au Québec. Il faut donc vraiment profiter du caviar roumain, du cascaval pane (un fromage pané), de la mamaliga (une polenta roumaine) et des beignes offerts à La maison Rustik. Ça goûte… comme mon papa! (5461, rue Sherbrooke Ouest, 514 487-9990)
  • La Roumanie à regarder Au départ, le point de rassemblement de la communauté roumaine, c’était les églises. On trouve donc quelques églises roumaines orthodoxes à Montréal, dont celle de l’Annonciation et celle dédiée à Saint-Jean-Baptiste, particulièrement jolies à visiter. (8080, rue Christophe-Colomb, et 1841, rue Masson)

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