1. Maja Starosta. 26 ans, Pologne.

Avocate spécialisée en droit de l’environnement et militante contre l’atteinte à la biodiversité.

Changement climatique: 5 jeunes activistes répondent à nos questions

Qu’est-ce qui vous a d’abord sensibilisée à l’environnement?

Un voyage à New Delhi. Il a transformé mes perceptions. La combinaison de chaleur extrême et de pollution de l’air rend la ville invivable. Je fais partie d’une poignée de citadins privilégiés qui peuvent y échapper en s’enfermant dans des endroits climatisés et en s’hydratant avec de l’eau potable. Quand je me suis rendu compte de cette chance, ça m’a ouvert les yeux. Au risque d’exposer ma naïveté, il aura fallu que je vive de telles expériences pour m’extirper du cocon douillet de l’inaction.

Quelle est la principale urgence liée aux changements climatiques?

Notre utilisation des énergies fossiles! Sur la liste des gestes à poser pour combattre les changements climatiques et limiter le réchauffement planétaire, aucun n’est plus prioritaire que celui-là. Or, de nouvelles centrales alimentées au charbon sont en construction dans 26 pays, y compris en Pologne, d’où je suis originaire. Dur, dur pour les politiciens de ce pays de songer à un monde libéré des énergies fossiles, parce que les industries appartiennent pour la plupart à l’État, et 80 % de l’électricité produite vient du charbon, qu’on surnomme «l’or noir». Dans de telles circonstances, changer les choses équivaut à vouloir déraciner un arbre à mains nues. On a donc besoin de beaucoup de bras.

Que peut-on faire pour protéger la planète au quotidien?

Consommer moins. Une bonne habitude à adopter consiste à se demander, avant chaque achat, que ce soit une friandise, une paire de chaussures ou une nouvelle voiture, si on en a vraiment besoin. Il faut aussi consommer moins de viande. L’agriculture animale est responsable d’environ 15 % des gaz à effet de serre causés par les humains. Un des plus beaux gestes qu’on peut poser pour la planète sur le plan individuel, c’est de devenir végétalien ou végétarien, ou tout simplement de réduire sa consommation de viande.

À titre de consommateur, qu’est-ce qui compte le plus pour vous?

L’industrie de la mode est responsable de plus d’émissions de CO2 causées par les humains que l’aviation! Même le t-shirt tout simple qu’on achète dans une chaîne de magasins a une longue histoire, qui comprend la culture des matières premières sur des terres agricoles, l’utilisation de produits chimiques, le recours à l’énergie nécessaire pour transporter ce vêtement vers un autre continent… Ce qui semble être un article à prix doux s’avère finalement un achat très coûteux. L’industrie de la mode éphémère nous incite à considérer les vêtements comme des articles jetables qu’on utilise une ou deux fois seulement. Comme individus, on peut consommer des vêtements comme bon nous semble. Plutôt que d’acheter une nouvelle jupe, il vaut mieux réparer celle qu’on a, s’offrir une jupe dans une friperie ou participer à un échange de vêtements avec des amies (plaisir garanti!).

Les actions judiciaires ont-elles évolué sous l’influence du militantisme climatique?

Elles sont en pleine croissance. Bon nombre de poursuites stratégiques, qui auraient été impensables il y a quelques années seulement, obtiennent gain de cause. Une des plus célèbres est la cause Urgenda, grâce à laquelle 900 citoyens ont remporté une victoire contre le gouvernement des Pays-Bas, qui les a exposés au danger en n’agissant pas suffisamment contre les changements climatiques. Une autre action judiciaire a été lancée par un groupe de 16 enfants (dont Greta Thunberg) tout juste après le Sommet Action Climat à New York en septembre dernier. Ils font valoir que cinq pays ont violé leurs droits en continuant à faire la promotion des combustibles fossiles et en échouant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Leur objectif est de faire reconnaître les changements climatiques comme une violation des droits de l’enfant. Des lois avant-gardistes n’ont certes pas encore été adoptées (à ma connaissance), mais l’interprétation des lois existantes change en faveur de ceux qui souffrent des conséquences des changements climatiques et de la pollution environnementale.

2. Vania Santoso. 27 ans, Indonésie.

Cofondatrice d’une marque de mode éthique.

Changement climatique: 5 jeunes activistes répondent à nos questions

Qu’est-ce qui vous a d’abord sensibilisée à l’environnement?

Depuis 15 ans, je me consacre aux actions entreprises pour le climat, et tout a commencé par mon expérience personnelle, que je résumerais en trois points: conscience, durabilité et causes profondes. Ma maison a été inondée à cause de notre ignorance des problèmes environnementaux. Après cette épreuve, ma sœur et moi avons décidé de former un club environnemental dirigé par des jeunes, AV Peduli, pour sensibiliser les gens aux grands enjeux liés au climat. Un an plus tard, on a enregistré l’organisme à titre d’ONG et on a eu la chance de remporter le concours international conjoint de Volvo et du Programme des Nations Unies pour l’environnement. Cela nous a permis d’investir dans un projet de gestion des ordures ménagères en Indonésie.

Pourquoi les jeunes se sont-ils massivement investis dans la lutte contre les changements climatiques dans la dernière année?

C’est grâce à la puissance des médias, qui aident la jeunesse à se sentir connectée à quelque chose de plus grand qu’eux, sur les plans tant numérique que physique. À présent, les médias, comme ELLE, qui publie cet article, nous offrent une vitrine auprès d’un public élargi. Les projecteurs sont braqués sur la participation de la jeunesse, et cela nous aide à découvrir qui fait quoi au sein des mouvements sociaux menés par les jeunes.

De quelle manière l’industrie mondiale de la mode peut-elle s’inscrire dans le développement durable?

Le mouvement Fashion Revolution fait la promotion de la mode durable et exige que les marques de vêtements soient transparentes dans leur processus de production, qu’elles s’assurent de payer équitablement les travailleurs et d’offrir des choix de mode écolos. Tout ça milite en faveur d’une économie circulaire. Actuellement, la main-d’œuvre de l’industrie de la confection reçoit un salaire insuffisant en comparaison avec les prix de détail, qui eux sont élevés; ensuite, la mode jetable mise sur la production de nouvelles collections dans un très court laps de temps, ce qui incite les consommateurs à acheter sans cesse de nouveaux vêtements. La mode écoresponsable, quant à elle, privilégie des créations durables, qui permettent d’atteindre des niveaux de production et de consommation plus responsables. Les marques pourraient aussi adopter des pratiques d’économie circulaire pour réduire les pertes de production en ayant recours au supra-recyclage, en récupérant par exemple des articles auprès des consommateurs.

Avez-vous un message particulier pour nos lectrices?

Un proverbe dit qu’il y a un prix à payer pour tout. L’environnement nous offre «gratuitement» tant de choses: de l’air pur, de beaux paysages et tout le tralala. De notre côté, on doit choisir une philosophie de vie responsable en matière de consommation et de production. Voilà le prix honnête à payer pour les prochaines générations.

3. Joy Egbe. 27 ans, Nigéria.

Fondatrice d’une entreprise d’énergie propre.

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Qu’est-ce qui vous a d’abord sensibilisée à l’environnement?

En 2013, j’ai perdu ma tante, qui était alors enceinte de sept mois. Elle est morte à cause de la pollution de l’air intérieur causée par la fumée émanant de sa génératrice. Selon les statistiques de l’Organisation mondiale de la Santé, la pollution a tué plus de gens que le VIH/ SIDA et la malaria combinés. Ce triste événement m’a motivée à lutter contre les changements climatiques et à favoriser les sources d’énergie renouvelables.

Quelle est la principale urgence liée aux changements climatiques?

À mon avis, la recherche d’énergie propre est le volet le plus urgent. La pauvreté énergétique est l’un des principaux enjeux dans les pays en voie de développement et sous-développés, surtout en Afrique. Si on parvient à résoudre la crise énergétique en remplaçant les combustibles à base d’hydrocarbures par des énergies à zéro émission de GES, comme l’énergie solaire, l’éolien, etc., on réduira nos émissions de 30 %, en plus d’atténuer les effets des changements climatiques. Qui plus est, on pourrait répondre à la demande énergétique des ménages et à celle des transports, qu’il s’agisse de grandes ou de petites quantités.

Vous avez participé au Sommet de la jeunesse pour le climat, à New York. Comment a été votre expérience?

Époustouflante. On a écouté des jeunes qui consacrent leur vie à résoudre les enjeux les plus pressants du 21e siècle. Le secrétaire général des Nations Unies a été très clair: l’événement n’était pas l’endroit où faire des discours pour être acclamé, mais une plateforme pour bâtir des plans d’action afin de promouvoir les innovations menées par les jeunes, de faire rayonner la sensibilisation des jeunes aux changements climatiques et d’encourager l’adoption d’un mode de vie carboneutre.

Que diriez-vous aux climatosceptiques pour les convaincre en une minute?

Les faits et les données scientifiques ne mentent pas. Les données scientifiques sur les changements climatiques sont obtenues de la même façon qu’en médecine, en ingénierie ou même en théorie universelle – des données en lesquelles les gens ont confiance. Pourquoi quelqu’un refuserait-il de croire à celles fournies sur les changements climatiques?

Avez-vous un message particulier pour nos lectrices?

Les changements climatiques sont bien réels, qu’on y croie ou non, mais on peut agir pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Il faut que notre quotidien reflète cet engagement. On n’a pas de plan(ète) B, il nous faut donc protéger notre plan(ète) A.

4. Haya Almansoori. 20 ans, Émirats Arabes Unis.

Travaille à la création d’électricité à partir de sable chauffé.

Changement climatique: 5 jeunes activistes répondent à nos questions

Qu’est-ce qui vous a d’abord sensibilisée à l’environnement?

À 16 ans, quand j’étais à l’école secondaire, j’ai participé à un concours local appelé Think Science. J’avais demandé à mon enseignant de sciences si quelqu’un de l’école (on était plus de 4000 élèves) y avait déjà participé, et il m’avait répondu que non. J’ai voulu immédiatement m’inscrire. C’est ce qui a tracé ma voie et m’a amenée à inventer une nouvelle manière de générer de l’électricité avec du sable chauffé.

Quelle est la principale urgence liée aux changements climatiques?

Le plus pressant, selon moi, c’est tout ce qui touche à l’énergie. Les problèmes liés à l’augmentation du CO2 découlent principalement des combustibles fossiles, du charbon et d’autres gaz. Ces combustibles pourraient être remplacés par des sources d’énergie renouvelables si on y consacre assez d’argent et d’efforts, au lieu de se limiter à des discours et à des promesses.

Votre travail a-t-il mené à l’adoption d’une politique?

J’ai constaté des changements palpables après avoir travaillé à mon projet pour Think Science. J’ai donné plusieurs ateliers et des conférences à mon école pour guider les jeunes élèves qui voulaient innover et trouver des solutions aux problèmes comme le réchauffement de la planète, et pour les encourager à participer au concours. Depuis, le nombre d’élèves qui s’y inscrivent ne cesse de croître.

À la lumière du soulèvement mondial actuel, comment entrevoyez-vous l’avenir de la planète?

L’avenir sourira à la jeunesse actuelle si les générations qui la précèdent instaurent des règles et une réglementation proactive en matière de climat. La jeunesse a réussi à sensibiliser les gens à cette question. J’entrevois donc un avenir positif pour la planète, même si le pire pourrait arriver.

Que devrions-nous faire au quotidien pour protéger la planète?

Cesser d’utiliser le plastique à usage unique, soutenir la cause et sensibiliser les gens, et opter pour l’achat local.

Et en matière de consommation?

Tout réside dans ce qu’on consomme et dans la manière dont on dépense notre argent, et ces éléments sont liés à l’utilisation du plastique à usage unique. À titre de consommateurs, on peut cesser de les utiliser et choisir des matériaux écologiques. Il est parfois plus facile de changer lorsqu’on est forcé de s’adapter.

Le suprarecyclage des bouteilles en plastique gagnera-t-il en popularité?

J’étudie à l’Université américaine de Sharjah, où on a commencé à recueillir des bouteilles en plastique destinées à devenir une serre. Le suprarecyclage et la création de nouveaux produits en plastique issus de ce procédé se répandront à mesure qu’on sera témoins du fléau causé par les plastiques à usage unique. Une fois recyclées, les bouteilles usagées peuvent servir dans les imprimantes 3D, entre autres. Parmi les nouvelles formes les plus inspirantes, en plus de la serre construite à l’université où j’étudie, j’aime les chaussures Nike Flyknit, entièrement faites de polyester recyclé, qui ont permis de détourner des dépotoirs plus de 4 milliards de bouteilles en plastique.

5. Federica Gasbarro. 24 ans, Italie.

Étudiante en sciences biologiques et coordonnatrice de Fridays For Future.

Changement climatique: 5 jeunes activistes répondent à nos questions

Qu’est-ce qui vous a d’abord sensibilisée à l’environnement?

Quand j’étais étudiante en géographie il y a des années, j’ai commencé à me soucier des changements climatiques. J’ai découvert le lac Poopó, en Bolivie. C’est le deuxième plus grand lac du pays, mais en 2016, il s’est asséché de manière irréversible en raison du réchauffement de la planète et des impacts anthropiques. Dès lors, le sujet m’a interpellée et j’ai décidé d’entreprendre des études en sciences biologiques pour comprendre du point de vue technique la crise qu’on vit.

Quelle est la principale urgence liée aux changements climatiques?

Malheureusement, tous les aspects de ce problème sont importants. Cependant, la déforestation est celui qui me préoccupe le plus. Les arbres absorbent le CO2 et libèrent de l’oxygène, mais les taux actuels de dioxyde de carbone sont très élevés. Ainsi, si on abat les arbres, qui sont d’extraordinaires alliés, on aggravera une situation déjà critique. Il nous faut agir maintenant afin de limiter les dégâts, sans quoi l’avenir nous échappera.

Votre travail a-t-il mené à l’adoption d’une politique?

On a réussi à faire déclencher l’état d’urgence pour le climat. Ç’a été ardu, mais on y est parvenus. Au cours de l’année dernière, le ministre de l’Environnement de l’Italie a fait plusieurs choses. Ma préférée: l’autorisation pour les pêcheurs de rapporter jusqu’au rivage le plastique qu’ils attrapent dans leurs filets!

Qui sont vos modèles, passés et/ou présents?

Greta Thunberg, bien sûr. J’admire son courage et sa détermination, et j’essaie d’en avoir autant! Je voue aussi une grande admiration à Phyllis Omido, une activiste environnementale qui vit dans un bidonville près de Mombasa, au Kenya. Elle s’est vigoureusement battue pour la fermeture d’une fonderie qui déversait des produits chimiques dangereux et polluants dans les eaux du bidonville. Elle a découvert que son propre lait maternel était contaminé au plomb et risquait d’empoisonner son bébé. Après avoir protesté, fait campagne et organisé des manifestations, après des années ponctuées de souffrances causées par des abus et une période d’emprisonnement, Phyllis Omido a réussi à faire fermer la fonderie en 2014.

À la lumière du soulèvement mondial actuel, comment entrevoyez-vous l’avenir de la planète?

Je suis une personne très optimiste et j’entrevois de belles choses, mais elles ne se produiront que si on continue à faire la grève pour obtenir une justice climatique et que si les chefs d’État agissent concrètement en ce sens. Certaines mesures ont été adoptées, mais ça ne suffit pas. On doit respecter l’Accord de Paris, décarboner l’économie et le transport des gens et des marchandises.

Quel est le geste le plus important à poser en matière de consommation?

Selon moi, l’achat d’articles jetables et de mode éphémère est la pire chose à faire. Je suis une fille, j’adore la mode, mais j’essaie, quand c’est possible, d’acheter des pièces durables ou de privilégier le coton. La solution du problème réside dans nos choix, qui entraîneront un changement de marché et d’économie.