Avoir des enfants n’est pas une mince décision. Avant de franchir le pas, on se demande si on a le temps, l’argent, la maturité, les ressources et le désir nécessaires. Et en 2022, à ces questions déjà complexes s’ajoutent des réflexions beaucoup plus profondes: devenir parents est-il un choix éthique? La planète sera-t-elle encore habitable quand notre enfant aura 30, 40, 50 ans? À la veille d’une crise climatique sans précédent, de nombreux jeunes adultes mettent une croix sur la parentalité. Mais devrait-ils vraiment renoncer à fonder une famille par souci environnemental? Cinq amoureuses de la planète nous en parlent.

L’écoanxiété: le mal du siècle

Selon une étude récente*, menée dans 10 pays auprès de 10 000 répondants âgés de 16 à 25 ans, 84 % d’entre eux sont inquiets pour l’avenir de leur planète, et près de la moitié affirment que la peur, la culpabilité et le désespoir face aux changements climatiques – et à l’inaction des gouvernements – affectent leur bien-être au quotidien; 40 % sont si anxieux qu’ils hésitent même à avoir des enfants. Contrairement aux générations précédentes, les Z n’ont jamais eu droit à l’insouciance; ils ont vu le jour dans un monde qui ressemble de plus en plus à un film catastrophe. Selon l’actrice, animatrice et autrice Rosalie Bonenfant, dont les cauchemars étaient remplis de désastres naturels quand elle était enfant, les membres de la génération Z sont conscients de l’urgence d’agir sur le climat depuis leur plus tendre enfance; ils ont peur et se sentent impuissants. «Avoir un enfant est un choix qui me paraît plus égoïste que jamais, dit-elle. Je me sens déjà si souvent coupable dans la vie. Je fais de mon mieux, mais je ne suis pas parfaite; et ne pas créer un autre humain me semble une façon concrète de réduire mon impact sur l’environnement. Je sais pertinemment que je vais vivre des catastrophes naturelles. Si mon avenir, c’est de porter un masque à gaz dans une ville inondée, est-ce que j’ai vraiment envie d’avoir un bébé dans ces conditions?»

Oui, les plus jeunes ont une conscience accrue, voire innée, des conséquences dévastatrices de notre mode de vie sur l’environnement, mais ils vivent aussi dans l’angoisse d’un futur apocalyptique, où leur progéniture ne se sentirait ni à l’aise ni en sécurité. «J’aurais aimé ne pas vouloir d’enfants», avoue Geneviève Rajotte Sauriol, qui est deux fois maman et membre de Mères au front, un regroupement de mères et d’alliés qui font pression sur les gouvernements afin que ceux-ci prennent des actions radicales pour protéger la vie sur Terre. «C’est un sujet qui a suscité en moi énormément de sentiments contradictoires. J’ai décidé de devenir mère malgré tout, mais il y a toujours eu un écart entre mes valeurs et mon désir de fonder une famille», reconnaît-elle. Étant donné que toutes les générations d’humains ont fait face à de grands bouleversements, le sentiment de danger, actuellement à son comble, n’a rien de théorique. Et cette ambiance de fin du monde, sans grande surprise, n’est pas très propice aux rêves d’avenir. C’est l’avis de Julie-Christine Denoncourt, conseillère en recherche pour Équiterre: «J’envie les générations passées, qui n’avaient pas à se poser la question de savoir s’ils voulaient des enfants. Si on me disait: “Dans 10 ou 15 ans, le monde sera en parfaite santé”, je pourrais me demander si je désire avoir des enfants. Mais actuellement, à 24 ans, comme je ressens déjà très concrètement les effets des changements climatiques, je n’ai pas vraiment le luxe de m’interroger sur ce que je veux.»

Espoir, racines et communauté

Est-il possible, dans le contexte actuel, de concilier notre désir d’être parents – pour bien des femmes, c’est un besoin biologique et émotif d’une indéniable intensité – avec notre écoanxiété? Dre Joellen Russell, océanographe, climatologue et professeure à l’Université de l’Arizona, répond sans hésiter par l’affirmative. La peur ne devrait pas freiner notre désir d’être parents, selon elle, parce que les enfants font partie de la solution. Dre Russell est aux toutes premières loges de la lutte aux changements climatiques – elle et son équipe étudient les changements de température dans l’océan à l’aide de satellites, de sondes robots et de superordinateurs –, et c’est l’une des fondatrices de Science Moms, un collectif constitué de 11 mamans et femmes de science qui a pour but de démystifier la science du climat, et de motiver les parents à se battre, avec et pour leurs enfants, pour la survie de notre écosystème.

«J’adoooore les bébés, lance-t-elle en riant. Je suis mère et scientifique, et ma vie entière est menée par le désir de léguer un monde en santé à mes enfants et petits-enfants.» Avoir des enfants est bien entendu un droit, selon la professeure, mais sur un continent aussi riche que l’Amérique du Nord, c’est également un privilège qu’il faut reconnaître et utiliser de manière responsable, soit en mettant tout en œuvre pour faire de nos enfants de bons citoyens, de bons Terriens et des acteurs de changement. «On est très chanceux, ici, dit-elle. On a énormément d’argent et de ressources, d’excellentes universités, des ingénieurs incroyables; c’est notre responsabilité d’utiliser ces nombreux privilèges afin de rendre la planète plus saine pour tout le monde.» Même en l’absence d’une prise en charge gouvernementale digne de ce nom, assure-t-elle, les changements que font les individus et les entreprises portent réellement leurs fruits, et ils sont en grande partie responsables de la baisse de 18 % des émissions de carbone par rapport au point le plus haut aux États-Unis en 2007. «Si les États-Unis peuvent le faire, tout le monde peut y arriver! (Rires) On enseigne à nos enfants à partager et à ramasser leurs traîneries dès la maternelle, dit-elle. Étendons maintenant ce raisonnement à l’échelle de la planète. Il existe de nombreuses sources d’énergie propre et renouvelable, et de nouvelles technologies sont mises au point chaque jour. C’est sur ça qu’il faut se concentrer. Parce que si on ne regarde que ce qui va mal, on terrifie nos enfants et on leur enlève leur sentiment d’autonomie.»

Devant un défi d’une telle ampleur, l’anxiété, qui peut servir de source de motivation temporaire, finit immanquablement par nous paralyser. Cultiver l’espoir, celui qui sera assez fort pour nous faire mettre un pied devant l’autre quand on n’aura plus la force d’avancer, est essentiel à notre survie. «La problématique environnementale en est une de consommation, affirme Colleen Thorpe, directrice générale d’Équiterre. On a remplacé les liens sociaux par la consommation.» Selon elle, l’espoir réside dans la volonté de se reconnecter à sa communauté, d’étendre sa bienveillance et sa collaboration au-delà de sa famille nucléaire – un modèle fortement valorisé dans un régime capitaliste, parce qu’il pousse chaque ménage à posséder un exemplaire de tous les objets possibles et imaginables.

On pourrait donc concilier notre désir d’être parents avec celui de protéger l’environnement en abordant la famille autrement, soit en misant sur le partage des biens et des ressources, mais aussi sur l’entraide et la connexion des uns avec les autres. «Devenir parents ne fait pas automatiquement de nous de meilleures personnes, ajoute Colleen Thorpe, elle-même deux fois maman, mais ça permet une ouverture sur notre propre humanité. Et si on accepte pleinement ce rôle, si on parvient à sortir du cadre de la famille nucléaire, à élargir notre regard, on trouvera une belle occasion de grandir, d’être plus sensible à la réalité des autres. L’engagement est essentiel. Comme les arbres, qui communiquent entre eux par leurs racines, l’être humain vit en interdépendance avec sa communauté. On a tous besoin de cette connexion.»

Pour certains, cette connexion ressemble à un retour aux sources, à la recherche d’un équilibre entre le macro et le micro. Pour Geneviève Rajotte Sauriol, qui demeure à Saint-Élie-de-Caxton, c’est faire partie d’une collectivité résiliente: «Je gère mon écoanxiété en tentant de ne plus trop penser à l’échelle de la planète, parce que c’est trop, sans pour autant me limiter aux gestes individuels, dit-elle. Dans mon village, on s’échange plein de trucs pour ne rien acheter de neuf inutilement: des vêtements et des jouets pour bébés, une tondeuse communale, un poulailler collectif. On favorise les choses faites à la main, la transmission des savoirs entre les individus et les générations, on s’entraide pour que les connaissances et les aptitudes des uns profitent aux autres. Je me sens moins impuissante, et ça m’empêche de faire des crises de panique. Je me dis que, quoi qu’il arrive, si on s’entraide, peut-être qu’ici, on va être OK. Que mes filles auront toujours un endroit où elles seront en sécurité.»

En avant, toutes

Tandis que l’humanité avance, lentement mais sûrement, vers l’un des plus grands défis de son existence, des enfants naissent tous les jours. Qu’on choisisse ou non de devenir parents, nous avons la responsabilité de leur léguer une planète habitable. Les êtres humains, aussi imparfaits soient-ils, sont capables d’empathie et de résilience. Mais, pour avancer, ils ont besoin de croire.

«On a installé une affiche de Rosie the Riveter (icône de la culture populaire américaine) dans notre laboratoire, dit Dre Russell, parce que c’est Rosie qui va nous sauver. Ce seront les mères, les sœurs, les tantes, les maris et les amoureux qui vont se relever les manches pour abaisser la courbe. Les individus et les entreprises, un par un, à coups de bonnes décisions, vont changer les choses. Avec et pour nos enfants. Les données le montrent déjà. On sait déjà comment faire; ce n’est qu’une question de volonté. Ce ne sera pas facile – ce n’est déjà pas facile –, et des gens vont vouloir abandonner, mais on va réussir. On va gagner. On va sauver le monde.»

On va sauver le monde. 

*Young People’s Voices on Climate Anxiety, Government Betrayal and Moral Injury: A Global Phenomenon, septembre 2021, financée par l’ONG internationale Avaaz. 

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