Trop d’heures passées à fixer un écran d’ordinateur peuvent parfois nous donner d’étranges idées. On se met à fantasmer en voyant le soleil briller à travers les vitres de notre tour de bureaux. On se dit qu’on serait tellllllement plus heureuse si on exerçait un métier plus zen. Si on pouvait échanger notre teint blafard contre un joli bronzage et nos collègues stressés contre de paisibles vaches broutant l’herbe…

Ce sont ces réflexions qui m’ont amenée à chercher frénétiquement une ferme sur le site wwoof.ca, un genre de Réseau Contact agricole qui permet à des cultivateurs de trouver des travailleurs bénévoles en échange du gîte et du couvert. J’aurais pu opter pour une estancia au Nicaragua ou un vignoble en France, car le réseau WWOOF (World Wide Oppor- tunities on Organic Farms) regroupe des fermes écologiques d’une centaine de pays, mais j’ai plutôt jeté mon dévolu sur la Ferme d’ORée (fermedoree.com), une exploitation d’élevage familiale des Cantons-de-l’Est, dont les propriétaires acceptaient de m’accueillir.

Quelques jours plus tard, en route vers mon nouveau «lieu de travail», je me prends à imaginer un domaine bucolique où les animaux gambadent en liberté… Arrivée sur place avec une heure de retard (la faute au trafic et à Google Maps), je réalise que mon rêve n’est pas loin de la réalité. À la seule vue de la forêt verdoyante.  qui se profile devant moi, de l’étang où se rafraîchissent quelques canards et de Joker, un cheval blond particulièrement photogénique, j’ai l’impression d’être plus légère. Je comprends pourquoi mes hôtes, Sarah et Gert, sont tombés amoureux de ce paradis il y a quatre ans, au point d’y emménager avec leurs deux filles et de devenir fermiers.

Gert m’explique que leur quotidien consiste à prendre soin des animaux, en plus d’effectuer moult travaux d’entretien à la ferme. Une fois par mois, Sarah et lui se rendent à Montréal pour livrer leur viande à des particuliers qui ont passé leur commande en ligne. Durant la belle saison, ils cultivent aussi un potager, essentiellement pour nourrir leur famille élargie – dont le nombre de membres varie selon les «WWOOFeurs» qu’ils accueillent.

Ma première mission consiste d’ailleurs à mettre en terre 150 plants de tomates. «Pour nous, jardiner est une récréation», me confie Sarah, tandis que nous arrachons quelques mauvaises herbes. Je souris en me disant que le jardinage est en effet une activité très relaxante… si j’oublie mes jambes endolories à force d’être accroupie, et mes épaules qui cuisent sous les rayons du soleil.

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Après avoir planté les 150 boutures, je ressens un réel sentiment de satisfaction devant le travail accompli. Gert nous fait alors remarquer qu’il en reste encore 150 autres qui ne sont toujours pas mis en terre: le fournisseur a dû doubler par erreur la quantité de plants commandés. Le couple trouve qu’il serait dommage de gaspiller toute cette belle verdure. «Vous allez en manger, de la tomate!» s’exclame en riant Justine, une «WWOOFeuse» originaire de la Franche-Comté, en France. J’essaie pour ma part de dissimuler ma déception devant cette tâche imprévue: je ne vais quand même pas me dégonfler à la première épreuve d’endurance!

Lorsque notre corvée est terminée, nous faisons la tournée des occupants de la ferme pour leur apporter à boire. Nous visitons d’abord les boeufs qui, plutôt que d’être nourris au grain, broutent dans les verts pâturages. Puis, nous allons à la rencontre des porcs de race Tamworth, une espèce en voie d’extinction, qui n’ont aucun mal à trouver leur nourriture dans la forêt avoisinante. Plus tard, tandis que nous répandons du foin sur le sol de la bergerie où logent les agneaux, je comprends mieux le sens de l’expression «suivre comme un mouton». À peine une des bêtes a-t-elle introduit sa tête dans l’embrasure de la porte que des dizaines d’autres arrivent aussitôt en galopant. Un peu affolée, je m’enlève de leur chemin.

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Une fois la vague passée, je réalise que j’ai perdu mes lunettes de soleil (la seule coquetterie que je me suis permise pendant mon séjour à la ferme, contrairement à Paris Hilton et à Nicole Richie). Je finis par les retrouver miraculeusement, après une fouille minutieuse durant laquelle je saisis cette fois le sens de l’expression «chercher une aiguille dans une botte de foin» (décidément!). Malheureusement, les sabots des agneaux ont réduit à néant tous mes espoirs de porter à nouveau mes verres fumés.

Dire que je suis épuisée à la fin de cette première journée relève de l’euphémisme. Au souper, j’accueille avec bonheur le délicieux gigot d’agneau et le verre d’hydromel (un alcool à base du miel produit à la ferme) qui me sont offerts. Contrairement à d’autres établissements du réseau WWOOF, ici, les «WWOOFeurs» mangent avec la famille, ce qui donne lieu à des repas joyeusement animés. Il faut dire que ces travailleurs bénévoles offrent un sacré coup de main à Gert et à Sarah, d’autant plus apprécié que l’exploitation d’une ferme implique un dur labeur et qu’elle n’est pas forcément rentable. Pour joindre les deux bouts, Gert raconte qu’il enseigne aussi l’économie au cégep, à Montréal, où il habite seul durant l’hiver. «Pour moi, travailler à la ferme, c’est en quelque sorte des vacances!» ajoute-t-il.

Le lendemain matin, en m’extirpant du lit avec l’impression qu’un tracteur m’est passé sur le corps, je me dis que Gert et moi n’avons pas la même conception du mot «vacances»… Après avoir nourri les agneaux et Joker le cheval, puis englouti un copieux déjeuner composé d’oeufs frais et de bacon, je me dirige vers la grange où se trouvent les poussins. La veille, nous avons reçu deux boîtes en carton remplies d’oisillons, et ma tâche de la matinée consiste à déménager les poussins plus âgés pour faire place à ces mignonnes petites boules de plumes. Délicatement, je saisis un à un les corps palpitants des gros poussins pour les déposer dans des cages portatives. Après un moment, Sarah vient me rejoindre et empoigne une, deux, trois, quatre volailles par les pattes, en une seule fois. Je dois admettre que sa technique est beaucoup plus efficace!

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Je réalise assez vite que cet exercice n’était en fait qu’un échauffement: Sarah m’annonce que nous devons maintenant transférer les poules parce que leur pré n’est, semble-t-il, plus assez vert. Et, bien entendu, ces poules sont en liberté. Premier constat: attraper un poulet qui court est bien plus difficile qu’on pourrait le croire. N’ayant pas encore tout à fait assimilé la «technique des pattes», je m’efforce d’agripper l’un d’eux par la poitrine et de le maîtriser malgré ses battements d’ailes et ses coups de bec. De peine et de misère, je parviens enfin à mettre ma première volaille dans la cage et à en refermer la porte. Ouf! Mon coeur bat aussi fort que si je venais d’exécuter une douzaine de push-ups. Autour de moi, environ 80 poules affolées s’égosillent, bien décidées à ne pas se faire capturer. Dire que certains payent cher pour participer à un boot camp au gym, alors qu’ils obtiendraient le même résultat – gratuitement! – en se rendant utiles dans une ferme.

Après cette intense séance d’«agro-fitness», Gert et Sarah proposent aux «WWOOFeurs» de prendre une pause bien méritée. À bord de leur pickup, nous roulons quelques minutes sur un sentier qui s’enfonce dans la forêt et qui débouche sur un lac paisible. Là, les deux pieds dans l’eau fraîche, je me remets tranquillement de mes émotions. Je serais tentée de rester plus longtemps avec mes nouveaux amis, à prendre soin des animaux et à jardiner dans le potager… mais, hélas, je dois rentrer à Montréal: les dossiers s’empilent déjà sur mon bureau.

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