«Dès que j’ai emménagé dans mon condo, je me suis sentie fébrile, irritable. J’avais une vue magnifique sur le fleuve – et pourtant, je n’arrivais pas à me relaxer, ni à dormir. C’était l’enfer!», raconte Emma, une spécialiste en intelligence web, qui a d’abord mis son état sur le compte du stress. «Pire, dès que je rentrais chez moi, j’éprouvais des vertiges et des maux de tête de plus en plus violents. Je suis devenue vraiment inquiète, alors j’ai passé une batterie de tests. Résultat? Rien! J’ai fini par me dire que mes problèmes étaient liés à mon nouveau chez-moi et j’ai songé à le vendre.» C’est alors qu’elle a entendu parler de géobiologie, une pratique plutôt mystérieuse qui soutient que la Terre (géo) influe sur le monde vivant (biologie). «J’étais vraiment sceptique, mais comme je n’avais rien à perdre, j’ai fait venir un géobiologiste chez moi, poursuit la jeune femme de 36 ans. Je sais que c’est difficile à croire mais, quelques jours après sa visite, mes malaises se sont envolés.»

Il nous est tous arrivé de nous sentir mal à l’aise dans un lieu, d’être incapable de nous concentrer dans notre nouveau bureau ou de nous sentir fatigué, stressé, drainé dans l’appartement où l’on vient d’emménager… sans qu’on parvienne à y trouver une explication rationnelle. Dans ce genre de situations, certains se tournent vers le design d’intérieur ou encore vers le feng shui, cette discipline millénaire chinoise fondée sur la circulation de l’énergie vitale (le qi, qu’on prononce «tchi») et l’harmonie des éléments (terre, air, eau, feu, métal), qui fait fureur en Occident depuis des décennies. Mais depuis quelques années, la géobiologie, qu’on appelle aussi «médecine de l’habitat» ou «feng shui occidental», gagne en popularité, tant en Europe qu’ici.

Les failles du chez-soi

L’hypothèse de base de la géobiologie? «La Terre émet des ondes électromagnétiques naturelles, qui proviennent notamment de failles telluriques, explique le géobiologiste et naturothérapeute Nicolas Mérel. Les humains, les animaux et les plantes y sont très sensibles. Ces ondes issues du sol sont des nuisances naturelles qui perturbent notre équilibre.» Ces diverses perturbations expliqueraient pourquoi certains lieux nous enveloppent de façon bienfaisante, tandis que d’autres nous étouffent ou nous angoissent, contribuent à notre mal-être, voire engendrent des maladies. «Notre maison, c’est comme une seconde peau, poursuit Nicolas Mérel. Puisque notre environnement est constamment influencé par le rayonnement issu de
 l’activité tellurique qui remonte à la
 surface de la Terre, il est tout naturel
 que notre lieu de vie agisse sur
 notre bien-être. Le rôle de la géobiologie consiste à détecter les sources
 de nuisance, comme une faille géologique sous la maison, et à harmoniser les vibrations pour rétablir l’équilibre énergétique du lieu.» Et cette pratique sait aussi traquer nos nuisances typiquement modernes: les pollutions électromagnétiques de plus en plus envahissantes provenant de nos ordinateurs, de nos téléphones sans fil, de notre wifi ou des antennes cellulaires à proximité.

Énergie, es-tu là?

Certes. Mais malgré ses explications techniques «terre à terre» et son nom d’apparence scientifique, la géobiologie reste pour beaucoup une pseudoscience, apparue au début du XXe siècle – l’âge d’or du surréalisme et des tables tournantes – et apparentée à la «radiesthésie», soit l’art de manipuler une baguette de sourcier ou un pendule.

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Concrètement, comment ça se passe? Dans un premier temps, on remet au géobiologue le plan de notre maison avec son adresse complète. Muni de ces informations, il l’interroge à l’aide d’un pendule, puis il analyse l’environnement géologique de notre demeure afin d’y détecter un courant d’eau souterrain, une faille ou un nœud qui pourrait nuire à notre équilibre. Dans un deuxième temps, il se rend sur place pour passer au crible chaque pièce de la maison. «Lors de mes consultations, je mesure la qualité de l’air, de la lumière, explique Benoît Tramblay, géobiologue, fondateur et directeur de l’École de la Terre. J’observe aussi le comportement des animaux, qui sont de bons indicateurs de l’énergie d’une maison. Un chien refuse-t-il de rentrer à l’intérieur? Un chat fuit-il une pièce ou est-il agité lorsqu’il s’y trouve?» Un géobiologue s’attarde également aux pièces où l’on passe le plus de temps et où l’on est le plus statique, comme la chambre, la salle à manger et le bureau. «Plus on est immobile, plus on s’expose aux influences électromagnétiques, précise Nicolas Mérel. Accumulés pendant des années, ces effets nuisibles peuvent engendrer des malaises, voire des maladies. Il faut donc les neutraliser.»

C’est ensuite que «l’harmonisation» a lieu. Chaque géobiologiste (ou géobiologue) a son approche et sa méthode de travail, qui allient le plus souvent son ressenti, des outils (pendule, baguette de sourcier, électromagnétomètre, etc.), des huiles et des encens de purification (sauge, oliban, myrrhe, benjoin, etc.) et des «prières» de protection du lieu. «On peut changer la disposition du lit ou de la table de travail afin qu’ils ne reposent pas sur des courants nocifs, précise Benoît Tramblay. Je nettoie toute la maison à l’aide d’une fumigation de sauge, par exemple. Ce faisant, je rétablis le niveau vibratoire et je l’harmonise pour que la demeure soit à nouveau saine et apaisante.»

Aux portes de l’étrange..

Là où les choses se compliquent et où les plus sceptiques crient au charlatanisme, c’est lorsque la géobiologie prétend agir sur le monde invisible. En effet, selon les experts, les lieux s’imprègnent et gardent la mémoire des événements qui s’y produisent, de même que des émotions et des pensées de ses occupants, qu’ils nous renvoient, tel un miroir. «Notre maison est vivante, explique M. Tramblay. Elle renferme tout ce qui y a été vécu, les événements heureux comme les malheureux, les pensées positives comme les négatives. C’est pourquoi, quand on acquiert une propriété ou qu’on déménage dans un vieil appartement, il est très important de ne pas subir les mauvaises énergies de nos prédécesseurs. En purifiant la maison de ses résidus énergétiques, on en devient vraiment le maître.»

Josiane en sait quelque chose. Après avoir acquis la maison d’une collègue qui a décidé de vendre sa propriété après un divorce particulièrement acrimonieux, sa vie a basculé. «Dès que je me suis installée dedans, les catastrophes se sont accumulées: j’ai failli passer au feu, puis j’ai fait une chute dans l’escalier. J’ai eu les côtes et une jambe cassées, ce qui m’a fait perdre mon contrat de coach sportif. C’est une géobiologiste et naturopathe qui m’a tirée d’affaire. Selon elle, les murs contenaient la rage et la tristesse de l’ex-propriétaire. Elle m’a dit qu’il fallait disperser « l’énergie explosive » enfermée dans les murs, puis elle a neutralisé un « nœud nocif » qui polluait l’entrée et l’escalier. Elle m’a même suggéré de me défaire d’un tableau « chargé de hargne » que j’avais racheté de ma collègue. Je n’ai pas tout compris… Mais l’important, c’est que j’ai pu reprendre ma vie comme avant. Ce qui est sûr, c’est que si j’avais su que ce genre de choses était possible, je n’aurais jamais acheté cette maison.»

Instinct immobilier

Est-ce si incroyable? Beaucoup de courtiers immobiliers savent dès leur première visite si une maison sera difficile à vendre, même sans raison apparente. «Chaque maison a son énergie propre, fait valoir Hélène Dumas, courtier immobilier chez Groupe Sutton-Immobilia. On a souvent tendance à l’attribuer au décor, à la qualité de l’architecture et de la construction, voire à l’ordre ou au désordre qui règne à l’intérieur, mais l’expérience me dit qu’il y a également un phénomène intangible à l’œuvre», estime celle qui s’avoue intriguée par la géobiologie. «D’ailleurs, ajoute-t-elle, je sais tout de suite si une maison est bénéfique à des visiteurs: ils s’y sentent bien et leur corps parle. Il suffit de 90 secondes pour savoir si une maison nous plaît. Après, c’est une simple question de rationalisation…»

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Un point de vue que partage Patricia Chang, architecte de formation et courtier immobilier agréé chez Immeuble Westmount. «Certains visiteurs auront un coup de foudre pour une propriété dès qu’ils franchiront l’entrée… Tandis que d’autres ressentiront une lourdeur dans l’atmosphère ou auront envie de conclure la visite au plus vite, sans trop savoir pourquoi, raconte celle qui s’adonne également au feng shui depuis une vingtaine d’années. Chaque maison raconte une histoire: la mémoire des murs, c’est réel!» Ça l’est d’autant plus lorsqu’une tragédie, tels une mort violente ou un suicide, s’y est produite.* «Dans des cas extrêmes, précise Patricia Chang, je m’empresse d’en avertir les futurs occupants et de faire purifier l’énergie de la demeure. C’est capital pour que les futurs occupants s’y sentent bien et attirent l’énergie saine et positive dans leur vie.» Cela dit, bien que certains acheteurs se révèlent particulièrement sensibles au «passé» ou à l’«âme» d’une maison, d’autres y sont plutôt indifférents. «C’est le cas de 15 à 20 % des acheteurs, estime Hélène Dumas. Ce sont des clients rationnels, imperméables à ces considérations. Quant aux autres, s’ils ont un coup de cœur pour une maison qui répond à leurs besoins et respecte leur budget, je les encourage à faire confiance à leur instinct. Il nous trompe rarement!»

«Il y a 10 ans, un ami géobiologiste est venu faire l’étude de mon appartement, sur le Plateau-Mont-Royal, raconte Sonia, une physiothérapeute. Je n’avais pas de problèmes majeurs, mais comme ma fille ne dormait pas bien, j’étais ouverte à cette idée. Dès qu’il est entré dans la chambre de ma fille, il m’a recommandé de changer l’orientation de son lit – de prime abord, c’est très feng shui. Mais, ensuite, il a repéré ce qu’il a appelé un « couloir d’anges ». Selon lui, ça nuisait au sommeil. Je n’y croyais pas trop. Puis il m’a dit qu’une présence indésirable hantait la penderie – et là, j’ai eu un frisson. Ça m’a rappelé la fois où, deux ans auparavant, ma fille m’a dit qu’elle n’aimait pas l’homme derrière moi, alors que je lui lisais une histoire… Depuis qu’il a neutralisé l’entité nocive et harmonisé chaque pièce de la maison, tout est rentré progressivement dans l’ordre.» Brrrr… Faut-il croire aux esprits malins pour faire appel à un géobiologue? «Je pense que la question n’est pas là, poursuit Sonia. Pour moi, le géobiologiste est un peu un architecte de l’invisible: sa fonction est d’aider une personne à se sentir bien chez elle…»

Entre science et ressenti

Fait intéressant, le géobiologiste peut se révéler particulièrement utile lorsqu’il s’agit de vendre une propriété, comme en témoigne Patricia Chang: «Je l’ai constaté maintes fois: un bon travail de géobiologie peut remédier à des problèmes complexes que le feng shui ne peut régler. Une fois harmonisée, non seulement une maison se vend plus vite, mais les acheteurs constatent une amélioration de leur qualité de vie.» Elle conclut: «J’estime qu’il est essentiel d’être conscient de son lieu de vie et de comprendre comment il peut nous affecter. Il n’y a rien d’ésotérique là-dedans!»

Alors, la géobiologie, on y croit, ou non? Quand on sait que la science ne peut pas tout expliquer, est-ce raisonnable de chercher la direction à suivre dans le mouvement d’un pendule?

Nicolas Mérel, qui se désole qu’on fasse appel à son expertise en dernier recours, pense que oui. «Généralement, les gens ont épuisé toutes les ressources à leur disposition avant de nous consulter. Mais si l’on a un mal-être inexpliqué et persistant malgré un bilan de santé positif et une bonne hygiène de vie; si l’on a repeint une pièce, déplacé les meubles, changé l’orientation du lit et qu’on se sent toujours fatigué ou qu’on n’a pas envie de passer du temps chez soi, un géobiologiste peut nous aider à retrouver l’équilibre.» Reste à savoir si les sceptiques seront confondus…

* En vertu du Code de déontologie de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) et du règlement de l’Association des courtiers et agents immobiliers du Québec (ACAIQ), le vendeur d’une propriété a l’obligation de divulguer à des acheteurs potentiels qu’un suicide ou une mort violente (non naturelle) y est survenu.

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