Chris a 40 ans. Jusqu’à tout récemment, il croyait appartenir à un clan sans histoire. Erreur! La découverte d’un secret est venue changer la donne. «Il y a deux ans, ma soeur a eu un cancer du sein virulent, confie-t-il. Son médecin a alors demandé les antécédents médicaux de la famille. Évidemment, nous y avons tous contribué. En étudiant le profil des uns et des autres, le médecin a commencé à avoir des doutes sur les liens de sang qui unissaient mon père à ses frères et soeurs.» Des tests génétiques sont venus confirmer ses soupçons: le père de Chris, ses frères et ses soeurs ont la même mère mais, lui, n’a pas le même père qu’eux. Et vlan! «Cette découverte a soulevé des discussions interminables dans la famille. Nous cherchions à savoir qui avait été l’amant de ma grand-mère et qui pouvait bien être le père de mon père. Nous n’avons aucune idée de ce qui a pu se passer, se désole Chris. Et tous ceux qui auraient pu le savoir sont morts!»

Un cas exceptionnel? Pas vraiment. Que ce soit le suicide de maman qu’on déguise en maladie, l’homosexualité de papa qu’on enferme dans le placard, l’inceste familial qu’on enterre avec le grand-père, ou encore le cousin qui se révèle être un demi-frère, les non-dits abondent dans les familles. À une époque pas si lointaine, ces secrets s’expliquaient par la trop grande pression qu’exerçait l’Église. Mieux valait mentir que d’oser transgresser les règles établies. Mais aujourd’hui, en 2009, alors que l’emprise de la religion est minime, que les familles éclatent et se recomposent au rythme des saisons, que l’égalité des sexes est un droit, que les gais ont leur fierté… pourquoi les secrets de famille perdurent- ils? Qu’avons-nous tant à cacher?
«C’est dans la nature humaine d’avoir des secrets!» affirme Lise Langlois, travailleuse sociale et coauteure du livre La psychogénéalogie – Transformer son héritage psychologique. «Il y a toujours eu des secrets de famille et il y en aura toujours. C’est dans la forme qu’ils varient parfois.» Avec la libéralisation des moeurs et de la sexualité, nous n’avons plus à camoufler un divorce ou encore à cacher une grossesse hors mariage. Par contre, certains tabous ont la couenne dure. Ainsi, l’inceste trône toujours au palmarès des secrets de famille les mieux gardés, suivi de près par le sida, le suicide assisté, la faillite, l’homosexualité, la maladie mentale, etc. Selon la psychanalyste Reine-Marie Bergeron, «la très forte pression de la religion a tout simplement été remplacée par celle de la performance et du paraître. Nous sommes dans une société exigeante où il faut performer à tout prix, ce qui nous amène à cacher les “imperfections”».

SE TAIRE POUR SE PROTÉGER

Sonia, 38 ans, en sait quelque chose: «Je suis née en 1970. Je viens d’un milieu intellectuel aisé et supposément ouvert. Mes grands-parents, mes oncles et mes tantes connaissaient le problème d’alcool de mon père. Tout le monde savait que ma mère se faisait battre, mais personne n’en parlait. Ce n’était pas très bon pour l’image de la famille…» Ce silence a été fatal pour la mère de Sonia. Elle est morte dans un accident de voiture alors que son mari conduisait, ivre. Sonia avait 11 ans. Ses soeurs en avaient 12 et 13.

«Après la mort de ma mère, la famille s’est emmurée dans un silence encore plus lourd. Personne n’a cherché à nous aider, mes soeurs et moi, même si tout le monde connaissait les problèmes de mon père et savait qu’il était incapable de s’occuper de nous. Finalement, c’est une amie de ma mère qui est intervenue. Nous avons été placées en foyer d’accueil.»

Plusieurs années plus tard, Sonia a eu une discussion à coeur ouvert avec sa grand-mère. Elle voulait comprendre pourquoi personne n’a jamais rien dit. «Ma grand-mère m’a assurée qu’elle ne se rendait pas compte de la situation, qu’elle ne savait pas, que personne ne savait. J’ai la certitude que ce n’est pas vrai. Je crois que leur silence était plutôt une façon de se protéger. Ils ne pouvaient pas supporter que des membres de leur famille vivent une situation aussi grave et désespérée. C’était sans doute plus facile de fermer les yeux.»

En effet, le déni est un comportement d’évitement qu’on rencontre fréquemment dans les familles. La négation permet de fuir des situations trop gênantes. Rose-Marie Charest, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, le confirme: «Je reçois souvent dans mon bureau des gens qui éprouvent de la culpabilité à propos de gestes qui ont été commis par leurs parents ou encore par leurs enfants. Comme nous nous identifions beaucoup à notre famille, nous avons l’impression que les torts et la souffrance de nos proches nous appartiennent, malgré nous. Alors le déni devient une forme de protection.»
Ce pattern familial, François, 43 ans, le connaît bien. Il est révolté par le déni de ses parents. «Je suis gai, lance-t-il. Mais mes parents ne veulent pas le savoir. Ils ne me posent jamais de questions sur mes amours. Pourtant, ça fait plus de 10 ans que je partage ma vie avec le même homme. Nous habitons ensemble depuis plus de 7 ans, nous songeons même à nous marier, mais Hugo, mon amoureux, exige que je le présente à mes parents d’abord. Ce n’est pas que je ne veux pas, c’est que je ne sais plus comment m’y prendre!»

Il y a quelques années, François s’est rendu chez ses parents, déterminé à leur annoncer son homosexualité. «J’ai des choses à te dire», a-t-il déclaré à sa mère pour amorcer la conversation. «Avant même que j’ajoute un autre mot, elle est devenue très tendue. Elle m’a demandé d’épargner mon père, qui était très malade à cette époque. Fin de la discussion! J’ai compris qu’elle savait ce que j’étais venu lui dire et qu’elle ne voulait pas l’entendre. Je n’ai pas eu le courage d’aller plus loin.»

Alors, que faire? Parler et risquer de provoquer un malaise profond, ou se taire? La réponse ne semble pas si simple que ça. La psychologue Rose- Marie Charest explique: «Quand quelqu’un ose parler, il n’est pas rare que ça divise la famille en deux clans: ceux qui sont pour le dévoilement du secret, et ceux qui trouvent que c’est trop compliqué et que ça ne fait que causer du tort.» D’où l’importance de peser le pour et le contre. La vérité, oui, mais peut-être pas à tout prix… Rose- Marie Charest invite à faire un peu d’introspection avant de dévoiler un secret. «Il faut se demander quelles sont nos attentes et évaluer si elles sont réalistes. Le but ne doit pas être de se venger, mais bien de se sentir mieux. En outre, il ne faut pas espérer le soutien et la compréhension de tous. Même les gens que nous aimons et qui nous aiment peuvent ne pas comprendre.»
FAUT-IL TOUT DIRE?

Toute vérité ne serait pas nécessairement bonne à dire… Et bien que les librairies regorgent de livres de psycho vantant les mérites de la communication et l’importance de dire, de parler, de nommer, les spécialistes mettent en garde contre cette culture du «tout dire». Dévoiler trop de secrets, ça peut être très néfaste…

La psychanalyste Reine-Marie Bergeron affirme qu’elle rencontre régulièrement des enfants et des adolescents très confus parce qu’ils sont incapables de gérer les histoires de famille. «Un enfant n’a pas à savoir que sa mère est une danseuse ou que son père vend de la drogue, s’indigne-t-elle. Pas plus qu’il n’a à connaître la sexualité de ses parents. Avant de dévoiler un secret de famille, il faut attendre que l’enfant soit prêt à l’entendre et s’assurer que cette vérité ne provoquera pas de déséquilibre psychologique chez lui.»

Il existerait donc de bons et de mauvais secrets? «Absolument, affirme la travailleuse sociale Lise Langlois. Tout le monde a droit à sa vie privée. Chacun d’entre nous a son jardin secret, et c’est très bien ainsi. Un secret devient malsain lorsqu’il empêche quelqu’un d’autre de s’épanouir. La question à se poser est la suivante: “Si je ne dis pas ce que je sais, est-ce que je cause du tort à quelqu’un?” Si la réponse est oui, nous sommes en présence d’un secret malsain.»

À ce titre, les spécialistes interrogés s’entendent pour dire que le meilleur exemple de «mauvais» secret est de cacher ses origines à un enfant. Lorsqu’il est privé de son histoire, celui-ci éprouve souvent de la difficulté à se construire, un peu comme un arbre sans racines. Nous avons tous besoin de savoir d’où nous venons pour comprendre où nous allons. Reine- Marie Bergeron insiste: «Il faut le dire le plus rapidement possible à l’enfant, dès qu’il a quatre ou cinq ans. On peut commencer par de petites histoires, par exemple celle du poussin adopté par la famille lapin. Il ne reste plus qu’à ajouter – “pour toi aussi, c’est ce qui s’est passé”.»
Les enfants qui ne connaissent pas leurs origines risquent de les chercher toute leur vie. Cette spirale du doute a tracassé Laure, 43 ans, une bonne partie de la sienne: «J’avais 26 ans quand j’ai appris qui était mon père. Ma mère m’avait toujours dit que c’était son premier mari, celui qu’elle avait quitté peu de temps avant ma naissance. Je sentais que ce n’était pas vrai, qu’elle me cachait quelque chose… Et de ne pas savoir, ça me rongeait intérieurement. Plus les années passaient, plus cette situation m’angoissait.»

Un jour, Laure en a eu assez de douter. Elle a demandé à sa mère de lui dire la vérité. «Je crois qu’elle savait que c’était important pour moi. Elle m’a tout avoué. J’ai appris que mon père était d’origine allemande, qu’elle l’avait rencontré dans son milieu de travail. La sensation était très étrange: c’est un peu comme si tous les morceaux du casse-tête se recollaient. Mes origines me permettaient de comprendre ma grandeur, ma carrure, la couleur de mes cheveux. Et le plus étrange, c’est que ça expliquait aussi mes goûts artistiques. J’avais toujours aimé la musique classique des romantiques allemands et j’étais fascinée par le cinéma de ce pays.» À partir de ce jour-là, Laure s’est sentie libérée, et a même eu l’impression de renaître, dit-elle. «Et dire que si je n’avais pas insisté, je ne l’aurais jamais su… Ma mère serait morte avec son secret!»

RETROUVER SES PARENTS

Chaque année, beaucoup d’enfants adoptés décident de retrouver leurs parents biologiques ou, du moins, d’obtenir des renseignements sur eux. De même, de nombreux parents souhaitent retracer un enfant confié à l’adoption. En plus d’être chargé en émotion, ce projet d’envergure peut soulever beaucoup de questions… Par où commencer? À qui s’adresser? Combien de temps faut-il pour que les démarches aboutissent? Voici deux sites qui pourraient vous être utiles dans vos démarches:

  • centrejeunessedequebec.qc.ca’
    (consultez la section Adoption, banque mixte, Post-adoption et retrouvailles);

  • www.educaloi.qc.ca
    (consultez la section Parents et enfants).

    Article publié originalement dans le magazine ELLE QUÉBEC en janvier 2009.

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