Neuf mois. Le temps pour une femme de mener une grossesse à terme. Ç’a été à peine suffisant pour que Sylvain Cossette, graphiste de 28 ans et père d’Olivia depuis six semaines, se fasse à l’idée qu’il allait être papa. «Cette période m’a aidé à me préparer à devenir père, à créer ma fille dans ma tête. J’ai aussi bu énormément, parce que je me disais que la fête serait finie quand le bébé arriverait.» Malgré tout, le bouleversement a été intense. «À la naissance d’Olivia, j’ai eu des symptômes de mononucléose due au stress.»

Heureusement, tous les hommes ne vivent pas aussi difficilement leur changement de statut. Ainsi, Pierre-Yves Villeneuve, 32 ans, éditeur et père de deux filles – 21 mois et 3 mois -, dit être tombé amoureux de ses enfants dès les premières minutes de leur vie. «Quand Mathilde est née, j’ai pleuré pendant presque 24 heures. Je pensais que la deuxième naissance m’affecterait moins mais, lorsqu’Anaïs est venue au monde, j’ai encore braillé comme une Madeleine.»

Qu’ils soient euphoriques ou traumatisés, les gars éprouvent un choc. Ils ont de bonnes raisons d’être bouleversés, reconnaît Raymond Villeneuve, président du Regroupement pour la valorisation de la paternité: «La naissance leur semble d’autant plus soudaine qu’ils ne ressentent pas de changement physique. Pour beaucoup d’entre eux, c’est un choc émotionnel, même s’ils se préparent à cette transformation du mieux qu’ils le peuvent, par exemple en aménageant la chambre du bébé.»

 

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L’ÉGO AU PLACARD

Tous les pères vous le diront: la naissance d’un enfant, c’est un tournant dans la vie d’un homme. Matthieu Simard, auteur de 35 ans et père d’Antonin, 2 mois, s’est senti investi de la fibre paternelle dès qu’il a croisé le regard de son fils. «Avant, je me considérais comme un ado et je me complaisais dans cet état. Être père, c’est la plus belle manière de devenir adulte: un peu par obligation et beaucoup par goût.» Cette étape de leur vie, les hommes ne l’envisagent pas tous avec le même bonheur. «Les futurs pères considèrent plus facilement les pertes que les gains: manque de sommeil et de liberté, vie sociale entre parenthèses, explique Raymond Villeneuve. Ils voient plus concrètement ce qu’ils vont perdre que ce qu’ils vont gagner en assumant leur paternité.» Lorsque l’enfant arrive, l’adaptation à ce chan- gement de rythme de vie brutal et imposé n’est pas toujours évidente. «Quand on devient papa, on a subitement l’impression de manquer de temps. Je suis passé d’une vie axée sur moi à une existence centrée sur les enfants», se souvient Jean-Louis Vangeluwe,33 ans, directeur d’une compagnie et père de Maelann, 6 ans, et de Fanny, 1 an. «Heureusement, dans le cas du deuxième enfant, les bouleversements sont moins importants, car on sait à quoi s’atten- dre et on a déjà adopté le bon rythme», fait-il remarquer.

 

Pour d’autres, comme Patrick Fontaine, 36 ans, ex-barman, la paternité a été le début d’une nouvelle vie:«À la naissance de Léo, il y a 13 mois, je suis passé d’animal de nuit à papa à plein temps. En effet, c’est moi qui m’occupe du petit, surtout depuis que ma blonde a recommencé à travailler. Je lui fais prendre son bain, je le change, je prépare le souper, et j’aime ça. Avant, ma blonde et moi, on buvait quelques verres, on rentrait tard… Tout ça, c’est du passé. Sur le plan social, on a marqué une sacrée pause. Tout est maintenant axé sur Léo, et c’est correct: j’ai suffisamment pensé à moi jusqu’ici.» Mettre l’enfant au cœur de leur existence et arrêter de se regarder le nombril constituent justement les secrets de ceux qui survivent aux bouleversements de la paternité. «Les études scientifiques ont montré que les meilleurs pères sont ceux qui ont une grande capacité à cesser de se centrer sur eux-mêmes», assure Annie Devault, professeure-chercheuse à l’Université du Québec en Outaouais et coauteure du livre La paternité au XXIe siècle. «Ceux qui perçoivent ces changements comme négatifs ou qui pensent pouvoir conserver leur ancien emploi du temps s’exposent à de grosses déceptions», prévient-elle.

 Ce retrait de l’égo, Pierre-Yves Villeneuve le ressent dans toutes les sphères de sa vie. «Avant, j’étais entièrement tourné vers moi-même. Grâce à la paternité, j’ai revu mes priorités. Même le travail en prend un coup: j’en apporte moins à la maison, parce que je manque d’éner- gie et d’intérêt pour ça. J’ai mieux à faire.»

 

UN PÈRE N’EST PAS UNE MÈRE…

Les premiers mois qui suivent la naissance tiennent du casse-tête pour les jeunes papas, car ceux-ci se retrouvent devant un petit être qui ne maîtrise pas le langage. La relation se limite donc presque uniquement aux soins. Or, les hommes préféreraient que leurs rapports avec leur enfant passent par le jeu… En fait, beaucoup de jeunes papas doutent de leur capacité à bien s’occuper de leur rejeton, et il semble que plus de 4 % d’entre eux souffrent d’une dépression post-natale similaire à celle que vivent de nombreuses mamans. La solution pour être heureux? Ne pas rester simple spectateur, conseille Raymond Villeneuve. Toutefois, c’est plus facile à dire qu’à faire, comme l’explique Sylvain Cossette: «Au début, on se sent terriblement impuissant et un peu perdu. On a peur de ne pas en faire assez. En fait, on apprend notre rôle avec le temps, alors que la femme se glisse dans la peau d’une mère dès la naissance de l’enfant.»

Diane Dubeau, spécialiste de la paternité et du développement des enfants à l’Université du Québec en Outaouais, constate en effet que les pères doutent souvent de leurs compétences, tandis que les femmes se sentent mères dès qu’elles sont enceintes: «Elles partent avec une longueur d’avance. C’est à elles d’aider leur conjoint à trouver sa place.» C’est là tout le paradoxe: d’un côté, les femmes souhaitent des pères qui s’engagent plus dans l’éducation de leurs enfants; de l’autre, elles trouvent parfois difficile de leur faire une place, surtout qu’en matière de soins la mère reste la référence. «Il peut être très anxiogène pour les hommes de se sentir surveillés chaque fois qu’ils s’occupent de leur bébé, explique Germain Dulac, sociologue spécialiste de la condition masculine et paternelle. Ça peut même les conduire à se désengager des soins à donner à l’enfant.»

Pour éviter que ça se produise, les deux parents doivent jouer leur rôle. Évidemment, nombre de clichés sont réels: la femme est plus mère poule que l’homme, et celui-ci est davantage porté à entraîner le bébé vers l’action et le risque. Cela dit, ces différences sont non seulement normales, mais elles sont également bonnes pour le développement de l’enfant, rappelle Diane Dubeau: «Même si chacun des parents prodigue des soins équivalents, le père doit faire les choses à sa manière.» Germain Dulac est de son avis: «L’homme ne doit pas imiter les attitudes maternelles. Il doit laisser sa nature propre s’exprimer: il a une voix plus grave, des mains plus grosses, il prend le bébé dans ses bras de façon différente. Il agit autrement avec l’enfant, et c’est très bien ainsi.»

 


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LE COUPLE DANS TOUT ÇA?

Il n’y a pas que les pères qui soient déboussolés par l’arrivée d’un rejeton. Le fait de passer d’un duo à un trio est une des choses les plus difficiles à expérimenter pour un couple. Les mois qui suivent la naissance peuvent être des plus dévastateurs, et beaucoup n’y résistent pas, affirment les spécialistes.

C’est ce qui a failli se produire dans le cas de Martin, un technicien de 33 ans, quand son premier enfant est né: «Ma blonde ne me trouvait pas assez présent et me faisait continuellement des reproches. On se disputait sans cesse. Pas moyen de se reposer et de retrouver notre intimité: il fallait s’occuper du bébé en permanence, malgré les frustrations et la fatigue. Ç’a été une sacrée épreuve!»

Martin n’est pas le seul à avoir perdu pied dans cette nouvelle dynamique. Beaucoup d’hommes voient leur couple se transformer après une naissance et ne comprennent pas ce qui leur arrive. Ils se sentent exclus en raison de la fameuse relation fusionnelle mère-enfant, surtout pendant l’allaitement, et ont l’impression de perdre leur conjointe. Ils se posent aussi bien des questions sur leur vie sexuelle – fréquemment inexistante parce que la mère est épuisée -, souvent sans trouver de réponses. «Ils ne doivent pas chercher à retrouver un couple qui, de toute façon, n’existe plus sous sa forme ancienne», dit à ce propos Diane Dubeau. «Heureusement, les études montrent que cette baisse de satisfaction est passagère. C’est une période de transition. Après, les parents inventent une manière de vivre qui permet au couple de refaire son nid dans la famille.» Nous voilà rassurées!

 

 

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