À première vue, l’école secondaire Saint-Maxime ressemble à bien des écoles de la grande région de Montréal. On y croise des ados de toutes les origines, des jeunes à peine vêtus d’un coupe-vent quand il fait – 20° et des couples qui s’embrassent dans les cadres de porte.

C’est à l’intérieur des classes que l’on comprend la vocation «d’accueil» de l’établissement. La classe d’Isabelle Bourbonnière, par exemple, a toutes les apparences d’une classe de maternelle, avec ses murs remplis d’images colorées et de lettres de l’alphabet. Sauf que les 11 élèves qui sont là ont plus de neuf ans, qu’ils ne parlent pas français et qu’ils sont arrivés l’an dernier des quatre coins du globe, de la Colombie au Burundi en passant par Haïti, la Syrie, l’Irak, la République centrafricaine et la République dominicaine.

«À Saint-Maxime, on a 221 élèves dans les classes d’accueil qui viennent de 70 pays», explique Édith Beausoleil, directrice adjointe responsable de l’accueil et de l’adaptation scolaire. «Jusqu’à l’an dernier, nous étions le seul pôle d’accueil pour les élèves du secondaire à la commission scolaire de Laval. Cette année, deux autres écoles se sont jointes au programme d’accueil pour faire face à l’arrivée des familles syriennes.»

Arrivée de Syriens en 2016, vague de réfugiés haïtiens après le tremblement de terre de 2010… Le visage de l’école Saint-Maxime se transforme en fonction de l’actualité inter- nationale. «Nous ajustons nos services aux besoins de notre clientèle, commente Mme Beausoleil. On a déjà eu des élèves sous-scolarisés, mais les élèves syriens sont très scolarisés, très motivés et préoccupés par leurs études. On a même ajouté à leur cursus des cours de mathématiques réguliers pour qu’ils puissent obtenir leurs unités.»

Quels que soient leur provenance et leur statut de réfugié ou d’immigrant, tous les élèves non francophones suivent le programme ILSS (Intégration linguistique scolaire et sociale) pour apprendre le français, mais aussi pour découvrir la culture sociale et scolaire québécoise.

Les adolescents – qui arrivent parfois en plein milieu de l’année scolaire – sont évalués dès leur inscription, puis ils sont répartis dans une classe ou une autre en fonction de leur niveau de français. Ceux qui sont sous-scolarisés, parce qu’ils ont arrêté l’école ou en raison de difficultés d’apprentissage, vont dans les classes Casa (classes d’accueil avec soutien adapté). Les autres sont aux niveaux débutant, intermédiaire ou avancé. Et les meilleurs en français suivent un programme moitié régulier, moitié accueil.

En moyenne, les nouveaux élèves restent deux ans dans ces classes d’accueil avant de rejoindre le programme «régulier», avec tous les autres élèves du Québec. «Leur progression est très rapide, mentionne la professeure Karima Dahman. Après trois ou quatre mois, mes élèves débutants, qui ne savaient pas un mot de notre langue en arrivant, commencent à en connaître les rudiments et ils sont capables d’avoir une conversation en français au bout d’un an.»

DES ÉLÈVES RÉSILIENTS

S’ils sont impressionnés par la progression rapide de leurs élèves, plusieurs enseignants témoignent aussi de leur résilience. «On voit toutes sortes de situations, confie Karima Dahman. Certains élèves viennent de pays en guerre, comme l’Irak, l’Afghanistan ou la République centrafricaine, dont on parle peu, mais où il y a une guerre civile et beaucoup d’attentats. Ils ont vu des choses abominables et ne sont pas en état d’apprendre quoi que ce soit en arrivant. J’ai eu des élèves mexicains qui m’ont confié avoir vu des gens se faire tuer dans la rue. Des élèves d’Haïti m’ont parlé de la destruction de leur maison ou de leur école après le tremblement de terre. Il y a aussi des jeunes qui sont en colère d’avoir eu à déménager ici ou d’avoir découvert qu’ils devaient apprendre une nouvelle langue alors qu’ils pensaient s’en sortir avec l’anglais.

Mais vous savez, ajoute l’enseignante, ce sont avant tout des adolescents. Ils ont des peines d’amour et des besoins de leur âge. Une des choses les plus importantes pour eux est de se faire des amis et d’aller au café du coin avec leur gang la fin de semaine. Il faut aussi voir leur enthousiasme quand ils découvrent quelque chose. Tout est merveilleux pour eux: prendre le métro pour la première fois, aller au mont Royal, glisser sur la neige, visiter l’oratoire Saint-Joseph… Cette année, ils sont tellement contents de partager leur quotidien avec moi que je dois sans arrêt leur rappeler qu’ils doivent aussi se concentrer et travailler.»

Professeure en classe d’accueil depuis 21 ans, Tunya Phung trouve aussi ses élèves très courageux. «On leur demande d’apprendre une nouvelle langue et d’intégrer le programme régulier en un an ou deux: c’est énorme!» témoigne celle qui se souvient encore de l’amour que lui a donné sa professeure d’accueil quand elle était elle-même une petite réfugiée vietnamienne de cinq ans. «Ces jeunes ont aussi beaucoup de responsabilités à la maison, ajoute t-elle. Ils servent de traducteurs à leurs parents, ils s’occupent de leurs frères et sœurs plus jeunes et font la cuisine, le soir, quand les parents suivent des cours de francisation. Ce n’est pas facile, mais ils travaillent fort, réussissent bien au régulier et sont très reconnaissants d’être ici.»

Pour l’orthopédagogue Alia Abed, c’est la transformation des enfants qui est très émouvante. «Je travaille en classe Casa avec des élèves sous scolarisés, explique-t-elle. La plupart du temps, ce sont des enfants qui n’ont pas eu la chance de réussir, parce qu’ils n’allaient pas à l’école ou que, dans leur pays, l’école n’était pas valorisée pour différentes raisons. Quand ils arrivent ici et qu’ils voient qu’ils ont cette occasion d’étudier, ils se transforment complètement. En quelques mois, ils voient la vie autrement, ils se découvrent des forces insoupçonnées, ils gagnent une nouvelle estime d’eux-mêmes. Il faut voir certains jeunes, au bout de quelques mois, se mettre à dévorer les devoirs pour rattraper leur retard. Quand je leur donne une page d’exercices à faire le soir, ils me disent: “Non, non, Madame, je ne veux pas juste une page, je veux tout le cahier!”»

«On reçoit des jeunes qui ont vécu des traumatismes importants, poursuit la directrice adjointe, Édith Beausoleil. Au début, on les voit s’apaiser et se poser, comme on dit dans notre langage. On voit naître ou renaître un sentiment de sécurité chez eux. Ils aiment l’école, ils y sont bien, car ils peuvent y exister comme enfant ou comme adolescent. Après ça, on les voit changer et déployer leurs ailes. Il y a des jeunes filles musulmanes qui ne portent plus le voile, des garçons qui étaient très agressifs au départ, qui sont maintenant capables de s’exprimer sans crier ni bousculer personne…

Dernièrement, j’ai revu une de nos anciennes élèves, qui est aujourd’hui dans un programme de qualification. Quand elle est arrivée chez nous, l’année dernière, elle était complètement analphabète, même si elle parlait un peu le français. Comme c’était l’aînée de la famille, elle avait été parentifiée. Elle était responsable de bien des tâches chez elle, mais n’allait pas à l’école. Cette année, je l’ai vue dans sa classe: elle répondait à toutes les questions, elle écrivait au tableau, elle parlait de géographie! Elle existe maintenant comme adolescente, elle a le droit de se réaliser et d’apprendre. C’est magnifique!»

 

LES ÉLÈVES

Safaa Al-Gburi

Safaa Al-Gburi Photographe: Charles Briand

Nom: Safaa Al-Gburi

Son âge: 13 ans.

Son parcours: Originaire d’Irak, Safaa a passé un an et demi en Turquie avec sa famille avant de s’installer au Québec, en 2015.

Son regret: «Je l’avoue, je n’ai pas travaillé l’année dernière, au primaire, et je n’ai rien appris. Je fréquentais juste des amis libanais ou syriens, et on parlait arabe entre nous. Mais cette année, je suis très motivé. Je ne vois plus ces amis et je travaille vraiment en classe.»

Sa fierté: «Cette année, j’ai très vite appris le français! Maintenant, c’est moi qui traduis tout à mes parents: les papiers de la banque, ceux de la maison, les factures… tout!»

L’hiver: «Je déteste le froid! Quand on était en Turquie, je travaillais dans un salon de coiffure pour nourrir ma famille, car mon père ne pouvait pas le faire. Comme on n’avait pas tellement d’argent, je ne pouvais pas prendre l’autobus, je marchais beaucoup et, l’hiver, j’avais les mains en sang à cause du froid.»

La paix: «Je suis content d’habiter dans un pays en paix. C’est la guerre dans mon pays. Deux de mes amis sont morts et mon père a perdu une main.»

Sa passion: «J’adore le soccer! Je joue très bien, mais mes parents m’ont dit qu’il fallait que je me concentre avant tout sur mes études.»

Ce qu’il aime au Québec: La tire d’érable à la cabane à sucre, la poutine et nager dans un lac.

 

Sara Alimoradi

Sara Alimoradi Photographe: Charles Briand

Nom: Sara Alimoradi

Son âge: 17 ans.

Son pays d’origine: L’Iran.

Le français: «Quand je suis arrivée au Québec, il y a deux ans et demi, je ne connaissais qu’un seul mot de français: “merci”. La première année, c’était vraiment difficile. Je ne savais pas si j’allais être capable d’apprendre cette nouvelle langue alors que ça faisait 15 ans que j’en parlais une autre. J’avais mal à la tête à la fin de la journée.»

Sa fierté: «Je parle français maintenant, ça fait tellement de bien! Et ça va très bien à l’école. Je suis aussi très contente de m’être fait de nouveaux amis; j’ai laissé ma famille et mes amis derrière moi quand je suis venue ici.»

Ce qu’elle aime au Québec: «La vie est beaucoup plus confortable et facile ici. Je peux sortir et rentrer quand je veux sans que mes parents s’inquiètent. Et, surtout, il y a la liberté. En Iran, le voile est obligatoire. Ici, on s’habille comme on veut. On peut aussi dire qu’on n’est pas d’accord avec le gouvernement sans que ça pose de problème. On est libres!»

Ce qui lui manque: «Je m’ennuie d’Ispahan, ma ville natale. C’est très vivant, de jour comme de nuit. Ce n’est pas comme Laval, où tout ferme à 21 h!»

 

LES PROFS: UN DÉFI STIMULANT

Comment s’y prend-on pour enseigner à des élèves qui parlent peu ou pas français? C’est le quotidien des professeurs en classe d’accueil. Deux d’entre eux discutent de ce défi.

Karima Dahman

Karima Dahman Photographe: Charles Briand

 Karima Dahman, Professeure en classe d’accueil

«Travailler en accueil a été un coup de foudre, confie Karima Dahman. En classe, j’ai 17 ados au lieu de 32, je suis toute la journée avec eux et ils sont super intéressants. Sans compter que ce n’est jamais routinier, car d’une année à l’autre les élèves et les défis sont complètement différents. J’ai parfois un élève qui arrive en plein milieu de l’année et qui ne parle pas un mot de français, alors que les autres commencent à mieux le comprendre. Il faut que jem’adapte!»

Ses élèves: «C’est sûr que je suis très maternelle avec eux. Ce sont mes élèves! Une classe d’accueil, c’est principalement de la francisation, mais ce n’est pas que ça. Je dois aussi leur transmettre la culture québécoise et la culture scolaire d’ici. Ça permet d’aborder des tas de sujets, de l’histoire du Québec à la tourtière!»

Son défi: «Cette année, j’ai une classe de niveau débutant, c’est-à-dire des élèves qui ne disaient pas un mot de français en arrivant. Avec ce genre de classe, jusqu’à Noël je parle toute seule et je mime beaucoup. Après ça, ils ont plus de vocabulaire et sont capables d’interagir à l’oral.»

Son souci: «Le problème, c’est de trouver du matériel adéquat, car les livres de français pour les petits n’intéressent pas vraiment les ados. Il faut donc créer son propre matériel.»

Son ennemi: «La neige est une distraction terrible quand on enseigne en classe d’accueil! Il faut voir mes élèves quand il y a quelques flocons qui tombent du ciel. Ils sont super excités et n’arrêtent pas de me répéter: “Madame, Madame, il neige!” D’ailleurs, à l’heure du dîner, c’est facile de reconnaître les élèves des classes d’accueil: ils sont les seuls à faire des anges dans les bancs de neige!»

Bounouar Belfatmi

Bounouar Belfatmi Photographe: Charles Briand

Bounouar Belfatmi, Professeur de mathématiques en classe d’accueil

Arrivé il y a quatre ans à Saint-Maxime, Bounouar Belfatmi a eu toute une surprise quand on lui dit qu’il enseignerait les mathématiques à des élèves qui ne parlent pas français. «Je me demandais si j’allais faire le clown ou le mime pour expliquer ma matière», confie-t-il en souriant. Depuis, l’ancien ingénieur dit avoir trouvé sa voie.

Sa mission: «Pour moi, enseigner en classe d’accueil, ce n’est pas un métier, c’est une mission. Je suis moi-même un immigrant. En 2003, quand je suis arrivé d’Algérie, je n’avais que deux valises. Je n’ai pas pu exercer mon métier, alors j’ai refait des études pour enseigner, et ça n’a pas été facile. En aidant ces élèves et en parlant à leurs parents, j’espère faciliter leur intégration au Québec.»

Son défi: «Il faut sans cesse s’adapter et composer avec les niveaux des élèves pour que chacun progresse au mieux. Évidemment, il y a aussi le défi de la langue. À chaque début de chapitre, je reprends le vocabulaire du thème abordé pour que tout le monde sache de quoi on parle.»

Ses élèves: «Pour la majorité des élèves en classe d’accueil comme pour leurs parents, la réussite scolaire est très importante. Ils sont donc motivés et ils travaillent fort. Ça donne d’ailleurs de beaux résultats. Hier, un de mes élèves de l’année dernière m’a appelé pour me dire qu’il avait eu 93 % à l’examen de mathématiques de quatrième année du ministère. C’est extraordinaire!»

DE LA SYRIE AU QUÉBEC

Depuis deux ans, bien des familles syriennes sont arrivées au Québec. Leurs enfants, eux, sont en classe d’accueil.

Fouad, Hadil, Diana, Rama, Majd… Quand je demande aux élèves de la classe de Tunya Phung, à l’école Saint-Maxime, de me dire leur nom, 8 sur 13 me disent également qu’ils sont nés en Syrie. En fait, cette année presque les deux tiers des élèves en classe d’accueil de cet établissement sont d’origine syrienne.

«Un de nos défis actuels est d’ailleurs d’empêcher les élèves syriens de se parler en arabe entre eux, car ils sont nombreux dans les classes», fait remarquer le professeur de mathématiques Bounouar Belfatmi. «La plupart de nos élèves ont été parrainés par des membres de leur famille déjà installés à Laval», dit la directrice adjointe Edith Beausoleil à leur propos. «Beaucoup de ceux que j’ai dans ma classe ont transité par le Liban ou la Turquie, ajoute Karima Dahman, et ils n’ont pas trop souffert de la guerre.»

Les enseignants de Saint-Maxime ne sont pas les seuls à avoir beaucoup d’élèves d’origine syrienne dans leur classe. L’année dernière, le nombre d’élèves nés en Syrie a explosé dans les classes d’accueil du Québec compte tenu de l’arrivée de quelque 7400 réfugiés syriens dans la province. Ils sont ainsi passés de 216 élèves en 2014-2015 à 1208 en 2015-2016.

La classe de Tunya Phung

Cette année, 8 élèves sur 13 dans la classe de niveau avancé de Tunya Phung sont d’origine syrienne. Ils sont au Québec depuis un an, et ils parlent déjà français. Photographe: Charles Briand

 

Fares Tamraz, Femy Nissrallah et Diana Assaf

Fares Tamraz, Femy Nissrallah et Diana Assaf Photographe: Charles Briand

 «Il y a des gens qui pensent que tous les Syriens sont des terroristes. C’est faux! Il y a des médecins, des ingénieurs… la plupart des gens sont normaux en Syrie. Ils n’aiment pas la violence.» 

– Fares Tamraz, 17 ans.

«Notre famille a beaucoup facilité notre installation au Québec. J’ai des oncles et des tantes qui sont ici depuis 25 ans. Quand on est arrivés, on est restés pendant un mois chez un de mes oncles, il nous a aidé à remplir les papiers administratifs, ceux pour la voiture, pour la maison…»

– Femy Nissrallah, 18 ans.

«J’avais appris le français à l’école, en Syrie. Ça m’a beaucoup aidée! Au début, j’avais du mal à comprendre l’accent québécois, mais ça s’est réglé au bout de trois mois. J’aime beaucoup cet accent… et la neige aussi!»

– Diana Assaf, 16 ans.