Qu’est-ce qui t’a fait ressentir le besoin de parler de féminisme sur les réseaux sociaux ?

Lorsque les réseaux sociaux sont arrivés on s’est rendu compte qu’en tant que femmes et autres groupes marginalisés on vivait une problématique commune. C’était des sujets qui n’étaient pas abordés par les médias mainstream parce que ces médias sont connus pour être un milieu relativement homogène avec des personnes plutôt privilégiées. Les réseaux sociaux ont apporté une diversité d’opinions qui m’a ouvert les yeux sur certains enjeux. À partir du moment où j’ai vu ces problématiques, je les voyais partout. Comme on dit « what you can see you can’t unsee ». Une fois que tu vois les injustices, c’est impossible de ne pas y faire attention. Et comme journaliste, ça me donnait une panoplie de sujets intéressants.

Qui sont les femmes qui t’ont inspiré et t’inspirent encore aujourd’hui ?

Mon amoureuse est une inspiration de tous les jours. Elle est scénariste. Avec elle, j’ai beaucoup de discussions sur la place des femmes dans la culture. Il y a aussi beaucoup de femmes sur la scène publique qui m’inspirent comme Noémie Mercier qui est une journaliste qui me donne envie de faire mon travail de manière engagée et avec autant de rigueur. Il y a des militantes comme Emilie Nicolas et Dalila Awada qui sont pour moi des inspirations parce que ce sont des femmes qui ont un esprit d’analyse très aiguisé. J’ai récemment sorti une biographie sur Liza Frulla qui est une politicienne associée au Parti libéral et ça m’a ouvert les yeux pour mieux comprendre et respecter le travail des politiciennes, quelles que soient leurs affiliations politiques parce que c’est encore compliqué d’être une femme en politique aujourd’hui.

Quand as-tu pris conscience que les femmes n’étaient pas traitées également aux hommes ? 

La première fois que j’ai eu ce feeling là c’est quand j’ai commencé à publier et que les gens commentaient sous mes articles, j’ai senti qu’il y avait un double standard quand l’article venait d’une femme. Tout de suite, c’était « l’article d’une femme » et non juste l’article d’une personne pensante. Je voyais que ça dérangeait. C’est dur à identifier, car c’est bien caché, mais on le sait quand on est victime de jugements parce qu’on est une femme.

Et comment tu t’es sentie à ce moment-là ?

C’était dans un texte d’opinion qui n’avait aucun rapport avec le féminisme et où l’on m’a « traitée » de féministe. J’ai alors réalisé que pour cette personne être une femme qui prend position et qui a des opinions c’était en soi un acte féministe. C’est là que j’ai réalisé l’existence de ce double standard. Je ne m’étais encore jamais identifiée comme féministe, mais à partir de ce moment-là ça m’a donné le goût de l’être. Encore aujourd’hui même si l’on est égaux en droit, on n’est pas égaux du point de vue de la société.  Ce que j’observe souvent c’est que les femmes n’ont pas droit à l’erreur.

C’est un phénomène que l’on voit dans tous les milieux et qui existe aussi pour toutes les minorités.

Quelle est ta mission? Le but de ton engagement dans ton travail et sur les plateformes où tu partages ?

J’essaye toujours de voir comment on peut arriver à un meilleur vivre-ensemble, à une meilleure façon de se partager le pouvoir et d’abolir les inégalités et les injustices. J’essaye toujours d’avoir cette perspective à travers les sujets que j’aborde. Je tiens compte des inégalités dans tous les sujets variés que je traite en tant que journaliste généraliste. C’est ça qui donne un sens à mon travail parce que raconter des histoires de façon à faire changer le monde et améliorer la vie des gens, ça c’est une mission.

En tant que femme journaliste, à quel genre de situation dérangeante as-tu dû faire face ?

Comme je suis connue pour être féministe je me souviens qu’à un moment donné je travaillais dans une émission et l’on était en brainstorm. Les gens autour de la table discutaient d’une façon d’aborder un sketch avec un coiffeur gay et là tout le monde se retourne vers moi en me demandant: « est-ce qu’on peut rire du coiffeur gay ? » en ajoutant que le personnage ne serait pas caricatural, mais qu’il sera gay. Ça me mettait dans deux positions: soit j’étais la fille qui dit « oui y’a pas de problème, vous allez pouvoir continuer à avoir du fun avec votre personnage de coiffeur gay » soit j’étais la « rabat-joie »  qui demandait qu’est-ce que ça apportait au personnage qu’il soit gay et quel était l’objectif derrière le message. Il a fallu que je fasse l’effort pour les gens de les amener à réfléchir et à arriver à la conclusion que s’ils ont choisi que le coiffeur soit gay c’est parce que c’était drôle qu’il soit homosexuel. Et que c’était là qu’était la problématique. 

Quel est le moment positif marquant de ta carrière ? 

Il y a quelques années avec Lili Boisvert on formait le duo des Brutes et l’on avait fait une capsule sur la féminisation des mots. Dans cette vidéo, on parlait des vrais termes féminisés comme « chroniqueuse » au lieu de « chroniqueure ». Pour nous, c’était important que le féminin des mots soit audible pour que la présence des femmes dans les corps de métier soit bien entendue. Dans cette capsule, on disait que l’on pouvait dire « auteure », mais aussi « autrice », mais on le disait quasiment à la blague et je ne croyais pas beaucoup au fait qu’on pourrait adopter au Québec le mot « autrice ». Mais depuis ces temps-là, le mot a été adopté par beaucoup de médias et même par les métiers du livre. Quand on connaît en plus l’histoire du terme qui existe depuis bien longtemps, mais qui a été effacé pour rendre invisible la présence des femmes et bien on comprend que c’est intéressant de le faire revenir. Donc c’est une petite victoire, mais ça montre que les victoires sont possibles.

Quel message voudrais-tu faire passer aux personnes qui te suivent, te lisent et t’écoutent ?

Quand on est sensible aux inégalités et aux injustices, c’est facile d’être tout le temps dans l’indignation et dans la colère. C’est important d’être conscient(e) que chaque personne vit chaque combat à son propre rythme, que ce n’est pas parce que cette personne ne comprend pas ton enjeu que c’est une mauvaise personne. Je pense qu’il faut faire preuve d’ouverture et de générosité envers les personnes qui ne pensent pas comme nous pour essayer de mieux les comprendre afin de mieux échanger. Pour ça il faut continuer d’être curieux(se), informé(e) et d’être tout le temps dans une perspective de dialogue.

Judith Lussier a sorti en novembre dernier la biographie de Liza Frulla intitulée Liza Frulla : la passionaria. leslibraires.ca


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