De son propre aveu, Zélia est une romantique. Pendant des années, elle a organisé les soirées montréalaises pour célibataires Frenche ou meurs, danse ou crève, dans l’espoir d’y croiser un beau ténébreux qui ferait battre son cœur. Elle a dansé des slows, elle a embrassé des gars et a même fait quelques rencontres intéressantes. Chaque fois, elle aurait voulu que ce soit l’amour avec un grand A, mais ce n’était pas encore «le bon». Celui qui deviendrait le père de ses enfants.

Un jour, cette jolie blonde a cessé de courir les bars à la recherche de son futur chum et s’est plutôt mise à se lever aux aurores pour faire du yoga. Puis elle a pris la décision de mettre sa carrière en veilleuse le temps de faire une maîtrise en gestion. C’est à ce moment-là qu’elle s’est demandé si elle devait continuer à attendre l’amour pour fonder une famille.

«J’ai réfléchi à mon désir d’être en couple et d’avoir un enfant en essayant de me libérer de mes conditionnements, confie-t-elle. Est-ce que c’était un impératif parce que je m’étais imaginé depuis toute petite que je rencontrerais un prince charmant avec qui j’aurais des enfants? Ou parce que j’étais programmée biologiquement pour me reproduire et que mon corps m’envoyait des signaux pour que je m’y mette? J’ai tenté d’être la plus rationnelle possible, parce qu’il me semblait que c’était la décision la plus importante de ma vie. À 37 ans, j’ai réalisé que je n’avais pas envie d’attendre plus longtemps pour avoir un enfant.»

Zélia a entamé ses démarches d’insémination artificielle en novembre 2014. Coup de chance: elle a pu bénéficier de la gratuité du Programme de procréation assistée avant qu’il ne soit aboli, en 2015. Une aide financière très appréciée pour l’étudiante qu’elle était. Quatorze mois plus tard, elle donnait naissance à la petite Romane.

Aucun doute: l’époque où les femmes entraient dans l’âge adulte en se mariant et en fondant une famille est depuis longtemps révolue. Aujourd’hui, nous sommes nombreuses à étudier pendant des années, à miser sur notre carrière et à avoir plusieurs relations amoureuses avant même d’envisager la possibilité d’avoir un enfant. Pas surprenant si, à l’approche de la quarantaine, certaines d’entre nous ressentent soudainement l’urgence de tomber enceinte. «Les trajectoires de vie sont repoussées dans le temps, observe la sociologue Laurence Charton, qui s’intéresse aux changements ayant transformé la famille depuis l’avènement de la pilule contraceptive. Mais il arrive un moment où les femmes sont confrontées à leur âge. Elles ont le sentiment d’être au pied du mur, surtout si elles n’ont pas trouvé de partenaire pour être le père de leur enfant.»

On appelle «mère célibataire par choix» ces femmes qui, comme Zélia, choisissent d’avoir un bébé seules. La clinique de fertilité Ovo estime que cette clientèle est en pleine croissance et correspond approximativement à 25 % ou 30 % des 3000 inséminations qu’elle pratique chaque année. D’autres ont plutôt recours à l’adoption internationale, puisque certains pays, dont Haïti, la Colombie, la Chine et le Vietnam, permettent aux femmes célibataires d’adopter. À l’organisme Enfants du monde, on affirme qu’elles représentent 15 % des adoptants. «On voit de plus en plus de femmes prêtes à entamer les démarches, et certaines sont seulement au début de la trentaine. Elles n’ont pas envie d’attendre un homme pour réaliser leur désir de maternité, quitte à rencontrer quelqu’un plus tard qui endossera le rôle du père», observe la conseillère en adoption Josiane Arsenault Dubé.

À DEUX, C’EST MIEUX?

«On dit: “mère célibataire par choix”, mais ce n’était pas mon premier choix!», lance Sophie, qui est la maman d’un petit bonhomme de trois ans et demi conçu grâce à un donneur anonyme. Pendant longtemps, cette responsable des communications pour un OSBL a cru que son ex serait le père de ses enfants. Mais après 10 ans de vie de couple, elle a réalisé que le projet de fonder une famille avec lui ne se concrétiserait jamais. Après une peine d’amour et quelques essais infructueux sur des sites de rencontre, elle s’est résolue à avoir un bébé seule, à 42 ans.

«Elles n’ont pas envie d’attendre un homme pour réaliser leur désir de maternité, quitte à rencontrer quelqu’un plus tard qui endossera le rôle du père.»

Le processus n’a pas été facile: lenteur du système de santé publique, problèmes médicaux, grossesse ectopique… Heureusement, Sophie a pu compter sur l’appui de ses amis jusqu’à ce qu’elle accouche de son garçon, deux semaines après son 44e anniversaire. «Ils étaient de véritables cheerleaders: lorsque je flanchais, ils m’encourageaient. Sans eux, je ne serais peut-être jamais devenue maman.»

Selon elle, élever un enfant seule demeure tout un défi, c’est pourquoi il est primordial de bénéficier d’un bon réseau. Mais encore faut-il savoir demander de l’aide… «Au début, je me disais que, si j’avais choisi d’élever mon fils seule, je devais assumer ce choix, admet elle. J’avais l’impression que les gens me jugeraient si je leur demandais de l’aide. C’est complètement dingue! Toutes les mamans ont besoin de soutien.»

Zélia aussi a souffert d’isolement, surtout pendant son congé de maternité. «J’étais tellement tannée d’être toute seule! s’exclame-t-elle. Je me suis inscrite à des activités destinées aux mères, comme des cours de yoga ou de massages pour bébé. Mais chaque fois qu’on avait une discussion sur l’allaitement ou l’entraînement au sommeil, quelqu’un mentionnait le rôle du père, et je réalisais que je ne pouvais pas compter sur cette aide-là.» C’est d’ailleurs ce qui l’a amenée à fonder le groupe Facebook «Solo maman par choix de Montréal et les environs», où une centaine de membres échangent maintenant sur des sujets comme la fertilité, l’insémination artificielle, la possibilité de rencontrer l’amour en tant que mère de famille monoparentale ou encore la réponse à donner lorsque notre enfant nous demande: «C’est qui mon papa?».

Isabelle, mère de Lucas, cinq ans et demi, n’a pas hésité à témoigner de son expérience sur ce forum. Lorsque son fils lui a posé des questions sur son père, elle lui a simplement répondu qu’il n’en avait pas. «Il a été triste pendant un moment. Je lui ai demandé pourquoi il aurait aimé avoir un papa. “Pour jouer avec moi”, m’a-t-il répondu. Je lui ai alors dit que, moi aussi, je pouvais jouer avec lui», raconte cette technicienne en soins animaliers de 48 ans.

N’empêche que, s’il en ressent un jour le besoin, Lucas pourra connaître son origine, puisque sa mère a opté pour un donneur de sperme à identité ouverte plutôt qu’anonyme. Pour les mêmes raisons, elle l’a inscrit au Donor Sibling Registry, un registre qui lui permettrait de retracer ses demi-frères et demi-sœurs. «Grâce à ce site, je sais que 22 femmes ont reçu un échantillon du même donneur», ajoute-t-elle.

Selon la psychologue Caroline Cohen, les femmes seules qui décident d’avoir un enfant ne prennent pas cette décision à la légère. «Elles ont tendance à être plus informées et à tâcher d’éviter les carences.»

UNE FAMILLE COMME LES AUTRES

Selon Susan Golombok, directrice du Center for Family Research de l’Université de Cambridge, peu de chercheurs se sont penchés sur le phénomène des mères célibataires par choix. Des études ont démontré que les enfants élevés uniquement par leur mère ont plus de risques de développer des problèmes émotionnels et comportementaux. Par contre, comme elles ne portent que sur les mères de famille monoparentale divorcées ou dont la grossesse était non désirée, il semble que ces défaillances ne soient pas tant liées au fait d’être élevé par une seule personne. «Les conséquences les plus négatives sont associées aux conflits entre parents, aux difficultés socio-économiques, à la dépression et au manque de soutien social, explique la psychologue dans l’essai Modern Families. Des problèmes qui concernent moins les familles formées par une mère célibataire par choix.» En effet, ces dernières sont souvent des professionnelles éduquées bénéficiant d’une sécurité financière. Un profil très éloigné des «filles-mères» qui ont longtemps été stigmatisées.

«La société a tellement véhiculé une image négative des mères célibataires que j’avais moi-même des préjugés envers elles, admet Sophie. C’était avant de rencontrer des femmes qui ont élevé seules leurs enfants et de constater que ceux-ci étaient devenus des adolescents heureux et bien dans leur peau.»

Selon la psychologue Caroline Cohen, les femmes seules qui décident d’avoir un enfant ne prennent pas cette décision à la légère. «Elles ont tendance à être plus informées et à tâcher d’éviter les carences, par exemple en côtoyant une figure masculine pour pallier l’absence de père», observe-t-elle. Ces dernières doivent toutefois éviter la tentation de devenir «l’amie» de leur enfant et d’entretenir une relation symbiotique qui risque d’être étouffante. «Il faut bien s’entourer pour favoriser une diversité de contacts et de liens affectifs. Et il est primordial que chacun ait son propre cercle d’amis», soutient la psychologue.

Bien que ce nouveau modèle de maternité semble plus populaire que jamais, la sociologue Laurence Charton croit que notre idéal de famille demeura toujours lié au couple. Sophie se dit d’ailleurs prête à rencontrer l’âme sœur, maintenant que son fils est plus vieux. «Les étapes ont simplement été inversées», dit-elle. Quant à Zélia, les études et la maternité la tiennent pour l’instant beaucoup trop occupée pour se projeter dans le futur. «Attendre l’appel d’un gars ou essayer d’interpréter ses textos? Je n’ai pas envie de revivre ça. Je ne suis même plus certaine de vouloir qu’un homme entre dans ma vie… à moins, peut-être, qu’il ressemble à Jamie Fraser de la série Outlander

HOMME CHERCHE MAMAN

«Lorsqu’on est un homme gai, le projet de fonder une famille est plus difficile», déplore Brendan, qui a toujours voulu avoir un enfant. Son ex-conjoint et lui avaient le projet de faire appel à une mère porteuse, mais lorsqu’il s’est retrouvé célibataire, à 40 ans, cet universitaire torontois a plutôt décidé d’opter pour la coparentalité. C’est grâce au site de rencontre modamily.com qu’il a rencontré Tatiana, la mère de son fils, Milo. Ce site permet de trouver non pas l’âme sœur, mais plutôt une personne de l’autre sexe avec qui avoir un enfant. «On a tout d’abord appris à se connaître pendant un an, raconte Brendan. Un peu comme un couple, on prenait des cafés, on soupait ensemble et on buvait souvent beaucoup de vin! Elle m’a présentée à sa famille, je lui ai présenté la mienne. Aujourd’hui, je considère Tatiana comme une très bonne amie, mais aussi comme un membre de ma famille.» Pour l’instant, le petit Milo, qui a à peine trois mois et demi, habite chez sa mère la plupart du temps, mais dès qu’il aura un an, Brendan en aura la garde partagée à 50 %.

Le phénomène des pères célibataires demeure très marginal, mais un article publié dans The Guardian, en 2013, affirmait qu’un nombre croissant d’hommes seuls, homosexuels et hétérosexuels, étaient prêts à payer plus de 100 000 $ US pour les services d’agences américaines de mères porteuses.

Au Canada, il est illégal de rémunérer une femme pour qu’elle porte un enfant, ce qui rend cette option moins accessible. En matière d’adoption internationale, quelques pays acceptent en principe les demandes d’adoption de personnes seules, mais la plupart démontrent peu d’ouverture envers les hommes, surtout s’ils sont homosexuels, affirme Josiane Arsenault Dubé, conseillère en adoption pour l’organisme Enfants du monde. Pour Brendan, la coparentalité demeure la meilleure option: «Les jours où j’ai la garde de mon fils, je suis tellement heureux de passer du temps avec lui! Et lorsqu’il est avec sa mère, je retrouve ma vie de célibataire.»