Annie, qu’as-tu pensé en visionnant la capsule de Sophie et Varda?

C’est réellement un bel échange: on sent toute l’humanité, l’engagement et le désir de briser la stigmatisation autour des maladies mentales de ces deux femmes. C’est un travail important qu’elles accomplissent, en prenant la parole.

C’est vrai que, même si on parle beaucoup d’anxiété et de dépression, la conversation autour du trouble bipolaire est peut-être moins répandue. Les deux femmes parlent de jaser tôt de la maladie, avec les enfants, pour dédramatiser ou déstigmatiser. Qu’en penses-tu?

Je suis moi-même une personne en rétablissement, et j’accepte d’en parler librement: je vis avec le trouble bipolaire. J’ai la chance d’être moi-même maman alors le sujet de la parentalité en lien avec la maladie, ça me touche beaucoup. On sait que 4% de la population vit avec le trouble bipolaire et que de nombreux facteurs, génétiques et environnementaux, entrent en compte. En tant que parent, on se pose plein de questions. Est-ce que je vais transmettre ma maladie? Comment j’explique? Et à quel moment? Le mot clef, à mon avis, est transparence. Plus on ouvre le dialogue avec nos jeunes, plus on en parle de façon décomplexée, mieux c’est. Ils sont capables d’entendre, d’écouter, de comprendre. Et ils en ont besoin, parce qu’ils sentent très bien quand les mystères s’installent, ce qui peut mener à de l’incompréhension, des doutes, de fausses idées et… des tabous!

J’aime beaucoup, dans l’échange, quand Varda dit qu’elle n’est pas sa maladie, qu’elle réfère à sa bipolarité comme à quelque chose d’extérieur à elle – tout comme le fait son ex-conjoint, lorsqu’il l’aide dans les passes plus creuses. 

Oui, c’est important de distinguer la maladie et les symptômes, de la personne et de sa personnalité. Quand on est en période de crise, je dis souvent qu’on voit la vie avec un filtre. On ne reconnaît plus l’autre, le monde tel qu’il est. Mais ça, c’est temporaire, c’est une pause. Ce n’est pas la personne qu’on est: ce qu’on aime, nos valeurs, nos rêves, nos intérêts, ça ne disparaît pas! Chez Relief, on essaie, justement, de redonner aux personnes atteintes du trouble bipolaire ce pouvoir de revenir à elle-même, de dire: attends, la maladie n’est pas tout! Je suis une femme, une citoyenne, une travailleuse. J’ai d’autres rôles importants par lesquels je peux beaucoup mieux me définir.

Les périodes de crise peuvent toutefois représenter un défi pour les proches, parce que la personne peut se comporter de façon étrange, dérangeante. Et c’est pour ça qu’ils ont aussi besoin de soutien. Il y a des ressources, des organismes pour aider l’entourage des personnes atteintes de troubles bipolaires – Relief en est un, mais il y en a plusieurs autres.

Je trouve vraiment important de mentionner, cependant, qu’on peut très bien vivre – et notre entourage aussi! – avec le trouble bipolaire. On peut avoir une vie riche, stimulante, agréable. Il faut le répéter, parce que les fausses croyances sont légion.

Ça doit être éreintant, au fil du temps – pour la personne qui vit ces crises, mais aussi pour la famille, les conjoints, les enfants. Comment regarde-t-on en avant, sans baisser les bras?

L’espoir est vraiment primordial, parce que tout le monde a le pouvoir de reprendre le contrôle sur ses symptômes et sur sa maladie. Chaque personne est profondément unique, et doit donc se demander: quelle est la meilleure façon pour moi de reprendre ce pouvoir-là? C’est beau, de pouvoir se dire ça. Varda en est en merveilleux exemple, elle s’est relevée souvent.

J’imagine, cependant, que pour reprendre ce pouvoir, on doit avoir besoin d’aide professionnelle, qui peut être difficile à obtenir pour plusieurs.

Oui, et Varda le dit très bien dans l’échange. Quand on a besoin de soutien, c’est maintenant. Pas dans six mois, pas dans deux ans. Tout de suite! Quand on l’écoute, on comprend que ce qu’elle raconte, c’est du vécu. Et qu’elle en fait une cause personnelle. Elle veut que les gens qui passent ou sont passés par la même chose qu’elle ne se heurtent pas à un refus, à des listes d’attente. Et ça, c’est plus qu’important. Ça prend des voix qui s’élèvent pour plus de ressources en santé mentale. Je dis souvent: entre la tête et le tronc, on n’a pas de séparation! On fait partie d’un tout. Le corps et l’esprit, ça va ensemble. Et qui de mieux placé que nous-mêmes pour savoir exactement quand ça ne va pas, et de quoi on a besoin dans l’immédiat pour se soigner? C’est pour ça que des ressources comme Relief existent, et qu’on travaille pour un meilleur accès à de l’aide, pour tout le monde qui tend la main.

La maladie vient souvent avec une importante baisse d’énergie. Varda le dit bien, durant certains épisodes, elle n’est pas en mesure de prendre soin d’elle-même. La maladie vient aussi avec des épisodes de dépression, voire des pensées suicidaires. C’est pourquoi on doit avoir accès à des psychiatres, à des psychologues, à des ressources qui vont pouvoir renverser ces filtres et ces pensées-là, nous ramener à un état plus stable.

Si vous avez des pensées suicidaires, des ressources existent pour vous aider. Composez le 1-866-APPELLE ou visitez suicide.ca

Si la conversation entre Sophie et Varda nous a fait nous poser des questions quant à notre propre santé mentale, si on pense s’être reconnu dans quelques propos, que proposes-tu comme premier pas pour aller mieux ou pour mettre le doigt sur ce qui ne va pas?

Le premier outil que je conseillerais à quelqu’un qui soupçonne être atteint d’un trouble bipolaire est de tenir un journal de l’humeur. Il existe plusieurs modèles, des journaux écrits, des applis, etc. On invite la personne à tenir un journal au fil des jours et à noter comment elle se sent, à décrire ses humeurs et à les placer sur une échelle – ce qui permet ensuite de produire un graphique de l’humeur qui permettra d’avoir un meilleur portrait de la situation. C’est un outil qu’on peut ensuite partager avec son infirmière, son psychologue, son médecin.

Ensuite, de ne pas hésiter à demander l’aider d’organismes comme Relief. C’est normal de se questionner, et il faut en parler à quelqu’un. Il y a des gens qui sont là pour nous écouter, pour nous accompagner, pour répondre à nos interrogations. C’est tentant d’utiliser Google pour essayer de trouver pourquoi on ne se sent pas bien, mais ça ne remplace pas une ressource fiable, des professionnels compétents qui vont prendre le temps de vous entendre et de vous diriger aux bons endroits pour que vous le repreniez, ce pouvoir sur vous-même.

Relief est un organisme qui soutient les personnes vivant avec l’anxiété, la dépression ou la bipolarité, ainsi que leurs proches, en leur permettant de continuer d’aller de l’avant grâce à différents outils. Pour en savoir plus sur leurs services de soutien gratuits et leurs ateliers d’autogestion, visitez relief.ca.

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