Jim Lewis et Jim Springer sont des jumeaux identiques célèbres. Séparés à la naissance, ils se sont retrouvés 39 ans plus tard. Ils avaient beau avoir grandi dans des environnements complètement différents, ils partageaient des similitudes stupéfiantes: tous deux se rongeaient les ongles, possédaient la même marque de voiture et passaient leurs vacances sur la même plage. Pour les chercheurs de l’époque, c’était la preuve irréfutable que notre génétique influençait notre personnalité. En revanche, d’autres recherches, comme la célèbre étude des jumeaux nouveau-nés du Québec, démontrent clairement que des jumeaux identiques, même élevés au sein d’une même famille, présentent souvent des différences de comportement marquantes.

Dès lors, on peut se demander quelle part de notre personnalité nous provient de notre bagage génétique et quelle autre, de notre environnement? Il est encore difficile de le savoir aujourd’hui. «Essayer de déterminer si un comportement précis est d’origine génétique ou environnementale, c’est comme essayer de séparer deux couleurs de peinture après les avoir mélangées!» explique Nafissa Ismail, professeure adjointe à l’École de psychologie de l’Université d’Ottawa.

Un bon départ

Chaque être humain naît toutefois avec une base fournie par ses gènes: son tempérament. «Il est inné et plutôt stable dans le temps», explique Geneviève LaGarde, docteure en neuropsychologie. Les experts s’entendent aujourd’hui pour dire que le tempérament comporte cinq grandes dimensions, communément appelées les big five: le névrosisme, l’extraversion, l’ouverture, l’amabilité et le caractère consciencieux (voir l’encadré à la fin de l’article). Chaque individu possède ces cinq dimensions, chacune à une intensité différente. «L’intensité de chaque dimension évoluera de façon différente pour chaque individu, dépendamment de l’environnement dans lequel il gravite», affirme Dre Geneviève LaGarde. Et ce fameux environnement, de quoi se compose-t-il exactement? D’événements stressants, de l’interaction entre nos parents, de notre alimentation, de notre exposition à la pollution, de notre éducation… Ce sont quelques-uns des nombreux facteurs qui agissent sur l’expression de nos big five et qui influent sur la construction de notre personnalité. «De façon générale, plus le cerveau est immature, plus il est sensible aux influences extérieures, ajoute Isabelle Ouellet-Morin, chercheuse affiliée à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal et du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant. La période prénatale, l’enfance, la puberté et l’adolescente sont donc les moments où l’environnement joue un rôle crucial dans l’évolution des cinq dimensions.»

Remonter l’horloge

Si l’enfance et l’adolescence sont les périodes les plus décisives dans l’évolution de notre personnalité, est-il trop tard, à l’âge adulte, pour changer? Selon Dre LaGarde, même si à cet âge la personnalité est bien organisée et plutôt stable, les psychothérapies ont le pouvoir de nous aider. «En utilisant certaines techniques, un psychologue habile peut arriver à induire des changements à long terme dans le cerveau du patient. Le cerveau peut, par sa capacité à construire et reconstruire de nouveaux réseaux, s’adapter et permettre des changements significatifs sur le plan du fonctionnement psychologique. Et ce, tout au long de notre vie!» Bref, ce n’est pas parce que l’encre de notre livre est bien séchée que la fin de l’histoire est écrite! Avec un peu d’inspiration et de bons crayons, il y a toujours moyen d’enjoliver notre destinée.

Zoom sur les big five

Le névrosisme

C’est la propension à l’instabilité ou à la stabilité émotionnelle. C’est aussi la tendance à gérer le stress plus ou moins difficilement.

L’extraversion

C’est la tendance à rechercher la compagnie des autres. Plus une personne est extravertie, plus elle est portée à aimer les contacts sociaux, à s’exprimer et à s’affirmer avec facilité. 

L’ouverture à l’expérience

Esprit ouvert ou fermé? Le premier décrit une personne qui a tendance à être plus curieuse et à l’aise face à la nouveauté. L’autre décrit plutôt un individu qui craint les changements. 

L’amabilité

Selon l’endroit où se situe une personne sur le continuum, elle démontre un intérêt pour la collaboration et les relations harmonieuses, ou est plutôt sur ses gardes et hostile envers les autres.

Caractère consciencieux

Les personnes qui ont tendance à être organisées, disciplinées et à mener leurs projets à terme ont un caractère consciencieux. Les individus désorganisés et négligents se situent à l’autre bout du continuum. 

L’épigénétique: héritier… sans gêne!

Récemment, une discipline est venue apporter un nouveau chapitre aux recherches sur la génétique. Grâce à l’épigénétique, on a découvert que l’environnement pouvait influencer nos gènes, parfois sur plusieurs générations. Autrement dit, il serait possible d’hériter des caractères acquis de nos parents, et ce, sans que l’ADN soit modifié. «Je dis souvent que l’épigénétique ressemble à des ratures qu’on aurait faites sur des passages du livre qu’est l’ADN, explique Isabelle Ouellet-Morin, chercheuse affiliée à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal et du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant. Il est difficile de discerner certains mots, mais sous les ratures, le message – ici l’ADN – est toujours intact.» 

Deux chercheurs de l’Institut Douglas à Montréal sont parmi les premiers à avoir cerné ce genre de ratures sur l’ADN d’humains. En 2009, à partir de cerveaux de suicidés, Michael Meaney et Gustavo Turecki ont montré que les mauvais traitements subis durant l’enfance altéraient des gènes responsables de la réponse au stress. La maltraitance infantile avait donc raturé des passages sur l’ADN de ces individus. Selon Daniel Tessier, vice-président aux plateformes technologiques chez Génome Québec, une portion de l’épigénétique se transmet. «Mais il n’y a rien qu’on puisse trancher au couteau, précise-t-il. Sur le plan de l’épigénétique, il est encore difficile de distinguer ce qui est inné et ce qui est acquis en fonction de l’environnement dans lequel grandira la deuxième génération.» Isabelle Ouellet-Morin croit aussi à la transmissibilité des caractères acquis. «Des recherches montrent que des gens ayant vécu l’Holocauste auraient transmis certaines traces épigénétiques à leurs enfants et celles-ci seraient toujours perceptibles à la deuxième génération», dit-elle. Faudrait-il conclure que plus l’impact de l’environnement est intense, plus l’épigénétique sera affectée? «Ce genre de question demeure en suspens, poursuit la chercheuse. C’est un domaine récent, il reste beaucoup de choses à découvrir.» Néanmoins, l’épigénétique démontre bien qu’environnement et génétique sont en constante interaction. Pour le meilleur et pour le pire, les deux forment un couple dans la détermination de notre personnalité.