Ces derniers mois, j’ai fait une fixation sur le temps hypothétique qu’il me reste à vivre. En calculant, humblement, que je peux espérer «toffer» jusqu’à 65 ans, je me retrouve avec 25 autres années à dépenser. Probablement plus. Potentiellement moins.

Pour mieux visualiser ce qu’il y a devant moi, je regarde l’équivalent par-derrière. Voyons voir… Il y a 25 ans, j’en avais 15, j’étais au secondaire et j’avais une moustache molle. Vingt-cinq tours autour du Soleil plus tard, j’ai quarante ans et du gris dans la barbe. On parle de 9131 journées, en comptant les années bissextiles. Est-ce beaucoup? Ça peut l’être. Est-ce trop peu? J’ai souvent l’impression que ça l’est.

La tête dans ces calculs anxiogènes et un brin macabres, j’ai terminé plusieurs de mes journées avec le sentiment d’avoir gaspillé du temps précieux. J’aurais pu me lever plus tôt. J’aurais pu faire plus. J’aurais pu faire mieux. J’aurais pu pouvoir avoir pu, plus et mieux! Regardez-moi ce gâchis: je suis là, à vivre désorganisé et sans but, comme si les heures s’étiraient à l’infini devant moi, comme si je n’avais pas DÉJÀ 40 ans. L’ai-je mentionné? Eh oui. J’ai eu 40 ans cette année, et ceci explique peut-être cela. (Peut-être? Sans doute!)

Parce que le temps est un escalier qu’on déboule dans une seule direction en ne franchissant qu’une fois le cap des quatre décennies, ma meilleure amie m’a invité à célébrer l’événement dans un chalet. À la fin d’une journée nuageuse, on a pu s’asseoir au bout du quai pour regarder les cumulus et les stratus disparaître et nous laisser avec un majestueux ciel orange. «Tiens, je t’ai fait venir un ciel pour ta fête, a déclaré l’amie. C’était ça ou un télégramme chanté.»

Le soleil couchant a lentement cédé sa place à la plus belle collection d’étoiles de ce côté-ci de la galaxie. Le genre de ciel qui nous rappelle que notre capacité à nous émerveiller de la beauté de l’univers est inversement proportionnelle à notre importance dans cet univers.

Proxima du Centaure, l’étoile la plus proche de notre quai, est située à 268 770 années-lumière, ce qui fait pas mal loin en pédalo. Elle brille depuis cinq milliards d’années, et va le faire pendant encore quatre autres trillions d’années. Pis moi, j’ai 40 ans, going on 65.

Mesurées à l’aune d’un ciel immense dans lequel se danse un ballet cosmique à rendre jaloux le Bolchoï, bien des angoisses et des anxiétés paraissent rapidement un peu niaises. Tout à notre échelle humaine est si petit, tout le reste est si gigantesque. J’avais une amie, l’étoile, et rien à faire d’autre que de contempler le ciel. À toutes les échelles, cette journée était le contraire d’un gaspillage de temps.

Je calcule encore parfois les jours qu’il me reste avant de souffler ma dernière bougie d’anniversaire. Mais quand les chiffres deviennent trop étourdissants, je retourne mentalement sous ce ciel, où tout est si peu important que tout ce qu’il reste à faire est d’apprécier ce qu’on a là, maintenant.

Pour cette remise en perspective, et parce que c’est beau en maudit, surtout à la campagne, je mets « Regarder le ciel » en 68e position de la liste infinie des choses qui font du bien.

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La liste de choses qui font du bien, de Mathieu Charlebois
La liste de Mathieu Charlebois: #30. Respirer (par le nez, mais pas que)
La liste de Mathieu Charlebois: #52. Pleurer (juste un peu)