«Non, je suis capable tout seuuuuul!» Chaque enfant passe par une période où il répète cette phrase deux fois par jour. Au moins. Qu’importe le fait qu’il n’ait encore jamais réussi à attacher son manteau sans aide ou que, même sur le bout des pieds, ses petits doigts n’atteignent pas les bols dans l’armoire du haut: il est capable tout seul.

Heureusement, cette mauvaise habitude nous passe rapidement. Sauf… pour tous les moments où le petit enfant qui est capable «tout seuuuuul» subsiste en nous. On ne s’obstine plus pour des histoires de lait dans les céréales ou de bottes à enlever, bien évidemment. Ce serait gênant. Ce serait gênant, mais ce serait peut-être mieux. Parce que les choses pour lesquelles on refuse de l’aide une fois adulte, ce sont des affaires d’adultes.

C’est s’imaginer qu’on peut arriver sans aide au bout du ménage qui s’accumule. C’est penser qu’on n’est pas encore surmené et qu’on peut encore en prendre. C’est être là pour tout le monde tout le temps parce que l’univers va s’écrouler sinon. C’est croire qu’on peut se sortir d’une dépression tout seul.

Armé de notre ego, de notre fierté et d’une peur ridicule de déranger, on se bat contre l’évidence: c’est trop. Tout déborde, mais on s’entête à continuer, parce que notre instinct nous dit qu’on est censé être capable. Censé… selon qui? Un enfant intérieur qui fait une crise du bacon? Qu’il aille réfléchir dans sa chambre. On est entre adultes, ici.

Alors, un jour, complètement à bout, on ouvre la porte pour faire entrer les autres. On laisse un ami plier notre linge. On laisse une sœur prendre les enfants pour la fin de semaine. On laisse un conjoint porter un peu de notre peine. On laisse les autres entrer, et leur lumière les suit. La vie cesse d’être une brique qui nous tire vers le fond, pendant quelques instants. Il n’y a aucune raison de porter le monde sur son dos quand un ami peut nous prêter sa brouette. Il y en a qui apprennent la leçon plus rapidement que d’autres. Moi, il m’aura fallu 36 ans. J’étais pourtant là pour mes amis, pour ma famille et même pour des gens que je ne connaissais pas tant que ça. Mais moi? Moi, j’étais capable tout seuuuuul! Je me suis tellement obstiné à vivre en autarcie avec mes problèmes que, lorsque j’ai abdiqué, la moindre main tendue avait des allures de miracle. Tous ces gens étaient là pour moi? Depuis tout ce temps? Wow.

Et c’est parce que les autres, souvent, ils n’attendent que ça, de pouvoir nous aider, que je place «laisser les autres nous aider» en 101e position de la liste infinie des choses qui font du bien.

Mathieu Charlebois est un ancien musicien viré journaliste, qui a viré chroniqueur politique, viré auteur d’humour écrivant maintenant sur le bonheur comme s’il connaissait ça.

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