C’est un petit cahier aux pages épaisses que j’ai acheté dans un des magasins de l’Empire de la piasse, là où tout a déjà coûté un dollar, jadis, il y a longtemps. Comme nos grands-mères le faisaient, j’y note les meilleures recettes qui passent par ma table.

À une époque où toutes les recherches Google semblent mener vers le site de Ricardo, mon petit livre pourrait n’être qu’un simple trip vintage, mais il est bien plus que ça.

Je ne suis pas un vieux croûton qui rejette la technologie. Au contraire. J’ai même un fichier Excel qui me permet de calculer les quantités de certaines recettes selon le nombre de portions que je veux avoir. Quand je veux, je suis un mélange de Jehane Benoit et de Mark Zuckerberg, l’empire en moins.

J’inscris néanmoins à la main les ingrédients et la méthode pour faire mes meilleures recettes: mon risotto à la courge, ma légendaire sauce aux tomates cerises confites et la sauce piquante fermentée que je prépare chaque année avant l’automne.

Je note mes recettes parce que j’ai confiance que je vais encore me faire à manger dans six mois. Dans cinq ans. Dans 10 ans. Je sors mon stylo et mon écriture du dimanche parce que je crois qu’il y aura encore un Mathieu, dans l’avenir, qui aura faim. C’est une pensée toute simple, celle qu’on va continuer à exister, mais c’est aussi une pensée qui n’est pas donnée à tous, tout le temps.

Je tiens ce petit cahier pour moi, avant tout, mais je ne peux pas m’empêcher d’imaginer qu’un jour, ce sera le cahier de mon fils. Ou celui de ma nièce. Ou le cahier de quelqu’un que je ne connais pas encore. J’ai l’espoir que je vais aimer assez quelqu’un, dans 40 ans, pour lui refiler mon petit livre plein de taches de sauce et d’instructions pas toujours super claires.

Ce que j’apprécie aujourd’hui, quelqu’un pourra aussi l’apprécier plus tard. L’apprécier… ou le regarder en riant, comme on regarde aujourd’hui les photos jaunies d’aspics des années 1970.

Parce que c’est un moyen de se projeter dans l’avenir sans faire une crise d’anxiété, je place «Tenir son propre livre de recettes» en 182e position de la liste infinie des choses qui font du bien.

P.-S. – Accessoirement, le petit cahier nous permet aussi de répondre plus facilement à la question «Qu’est-ce qu’on mange pour souper?», ce qui n’est pas pire aussi, côté bonheur.

Mathieu Charlebois est un ancien musicien viré journaliste, qui a viré chroniqueur politique, viré auteur d’humour écrivant maintenant sur le bonheur comme s’il connaissait ça.

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