Même si je suis la présidente du club des jeunes femmes d’à peine 30 ans qui ont l’écoanxiété dans le tapis, je me suis procuré une voiture cette année. Pour aller voir ma mère à Bromont et la filmer en train de faire du snowboard (j’suis fière), aller visiter les amis qui se sont exilés à la campagne, m’éviter de prendre quatre Uber par jour pour vaquer à mes occupations de travailleuse autonome qui stresse un peu chaque fois qu’elle sort des rues étroites mais réconfortantes du Petit Laurier.

J’ai fait l’acquisition d’une voiture de base. Mes critères:

– Bolide capable de me transporter du point A au point B en toute sécurité;

– Couleur noire;

– Fenêtres automatiques (mes petits bras de poulet seraient tout le temps raqués à force de tourner la manivelle);

– Système pouvant me permettre d’écouter mes balados féministes sur les menstruations, le patriarcat et la colère des femmes en toute liberté.

Des désirs automobiles de base, quoi!

Je me suis rendue chez un concessionnaire près de chez moi, j’ai négocié ma location une, deux, trois fois. J’appelais ma mère pour avoir son avis. Elle me répétait de tenir mon bout, mais moi, j’avais juste envie de pleurer, parce que je ne connaissais rien et que personne là-bas ne prenait la peine de m’expliquer. Je sentais qu’ils se disaient tous: «La p’tite madame sait pas ce qu’elle fait; on va en profiter pour booster nos ventes ce mois-ci.»

Quand j’ai enfin signé mon contrat, la petite main tremblante, je suis passée à l’étape supérieure, c’est-à-dire à la visite dans le bureau du monsieur «important» qui essaie de me vendre des cossins supplémentaires en me faisant super peur avec de gros chiffres et mille sortes d’assurances. Et après ça, il m’a demandé:

– Pourquoi vous achetez une si petite voiture, madame?

– Ah… parce que j’ai envie de me stationner facilement en ville. Les rues sont étroites sur Le Plateau!

– C’est le parking parallèle qui vous stresse, hein?
– Ah non, pantoute, je suis super bonne avec ça!
Le monsieur «important» part à rire et continue:
– Non, mais… Je comprends que c’est difficile… Ma femme et mes filles ont ben de la misère aussi.
– Monsieur, je conduis à Montréal depuis que j’ai 16 ans.

Je me débrouille bien avec les parkings parallèles.
Mais il ne m’écoutait pas. À la place, il a sorti une feuille blanche et un stylo.
– Regardez, c’est simple…
Et il s’est mis à faire un schéma pour m’expliquer comment me stationner en parallèle. Au début, j’ai essayé de le trouver bienveillant, mais, bien vite, je me suis rendu compte que ce comportement-là me rendait mal à l’aise. Je l’ai laissé finir son dessin, tout fier de me rendre service, je l’ai pris en photo sans qu’il me voie, j’ai pris la feuille, je l’ai pliée en deux, je l’ai fourrée dans ma sacoche en le remerciant et je suis partie. Pompée par en dedans.

Mais ce que j’aurais dû faire, c’est l’interrompre, lever le ton un peu, peut-être, le regarder drette dans les yeux et lui répéter une dernière fois que je n’ai pas besoin de lui, que je sais, que je suis capable, que ça va faire.

À la place, je me suis tue.

Comme quoi il faut vraiment que je continue d’écouter mes balados féministes, le volume à fond, dans ma petite voiture que je stationne comme une reine badass sans l’aide d’un schéma réalisé par un monsieur «important».

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